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Vincent Roland, patron de Worldline Belgium : « Nous sommes un processeur systémique : l’économie peut s’écraser si Worldline connait une défaillance »

Né du rachat de Banksys par l’entreprise Atos, Worldline est aujourd’hui le plus grand acteur européen dans le domaine des moyens de paiement. L’entreprise emploie quelque 18 000 personnes à travers le monde, dont 1 500 en Belgique, l’un de ses centres névralgiques. “Banksys était un pionnier des paiements électroniques, conscient de l’importance de fournir une solution allant de A à Z. Cette ADN reste très présente chez Worldline”, se félicite-t-il.

Argent liquide, cartes bancaires, cartes de crédit, smartphones, QR code… Les modes de paiement se multiplient à une vitesse de plus en plus rapide.

Je n’ai jamais vu autant de moyens de paiement, bancaires ou non, être créés aussi rapidement. La difficulté, c’est que des systèmes se rajoutent en permanence, mais qu’aucun ne disparaît : ils continuent tous d’exister en parallèle. Chaque moyen de paiement est particulier et unique dans son fonctionnement. Vous devez donc avoir des systèmes agiles.

Une partie de notre métier, c’est de toujours être en avance. Le cycle de vie d’un moyen de paiement, en moyenne, c’est dix ans. Nous devons donc dès aujourd’hui travailler sur les produits de masse attendus dans dix ans. Outre nos équipes qui y travaillent en interne, nous avons aussi un innovation center à Paris où nous analysons les nouveaux usages.

Comment gérez-vous ces évolutions permanentes ?

Gérer un système de paiement, c’est un peu comme un avion en plein vol sur lequel vous devez réparer un moteur, changer les sièges, et remplacer le pilote, le tout en évitant qu’il s’écrase. C’est notre plus gros défi opérationnel : on ne peut pas arrêter la machine, mais elle doit s’adapter en permanence.

Les gens pensent que notre métier est similaire à celui d’un opérateur téléphonique. Mais nous ne nous chargeons pas de simplement valider les opérations. Nous travaillons sur une chaîne monétaire excessivement régulée et exigeante au niveau de la protection des consommateurs, à juste titre d’ailleurs.

Excessivement régulée, c’est-à-dire ?

Nous sommes qualifiés de processeur systémique : l’économie peut s’écraser si Worldline connaît une défaillance. Il faut savoir que nos services financiers sont chargés de faire des ordres de paiement pour l’équivalent d’un milliard d’euros chaque jour. Quand vous êtes systémique, les régulateurs, pour nous la Banque nationale de Belgique, viennent vérifier que vous fassiez votre boulot correctement. Ils se promènent parfois dans nos bâtiments et essayent de voir s’ils peuvent pénétrer dans nos programmes.

Vous parlez de processeur systémique : de quelle masse de transactions parlons-nous ?

En 2022, Worldline Belgium a traité plus de 3,4 milliards de transactions électroniques sur toute l’année, soit une hausse de 16 % par rapport à 2021. Au niveau global, Worldline a atteint les 50 milliards de transactions.

La crise sanitaire a-t-elle marqué un véritable tournant pour le secteur des paiements électroniques ?

Le Covid a surtout donné un énorme coup d’accélérateur au paiement sans contact. Il simplifie grandement les paiements, tant pour le commerçant que pour le client : en moins de deux secondes, c’est réglé. Je vois mal un retour vers les autres méthodes de paiement.

Vous venez de lancer un partenariat avec Samsung qui vise à transformer les smartphones en terminaux de paiement. Le téléphone, c’est l’avenir du paiement selon vous ?

Worldline est convaincu que le téléphone, c’est la carte intelligente. La carte est légère, facile à transporter, mais elle est peu intelligente. Par contre, grâce à son écran, le téléphone offre bien plus de possibilités : on peut choisir avec quoi on veut payer, comment on veut payer, les modalités, etc. On va aller beaucoup plus loin dans la flexibilité des paiements électroniques. Puis le niveau de sécurité actuel d’un smartphone montre qu’il est tout à fait compatible avec les paiements électroniques.

Pour toutes ces raisons, nous investissons beaucoup dans les paiements par téléphone. On va se diriger vers des parcours plus intelligents et plus agréables pour les consommateurs.

Dans le débat sur l’intérêt du liquide face au paiement électronique, vous semblez déjà dans une réflexion bien plus avancée en parlant de l’intérêt de la carte face au téléphone…

Quel est le sens sociétal de pouvoir payer en liquide partout ? C’est surréaliste, tant pour la sécurité que la facilité. Il faut se rendre compte que quand on va retirer un billet au distributeur pour aller payer son pain à la boulangerie, le billet est arrivé par camion sécurisé jusqu’au distributeur, et qu’il retourne de la même manière jusqu’à la banque nationale. Je ne peux pas comprendre qu’on dise que le cash est vital : aujourd’hui, tous les gens sont nés avec le paiement électronique.

L’émergence de l’intelligence artificielle promet des transformations majeures dans de nombreux secteurs. Peut-elle également révolutionner les paiements ?

Nous sommes très embarqués dans l’IA. Nous avons au quotidien énormément de communications avec nos clients : est-ce que ma transaction est passée, quand l’argent va-t-il arriver, etc. L’intelligence artificielle permettrait de répondre plus rapidement à beaucoup de questions. L’IA pourrait aussi simplifier pas mal de procédures, notamment au niveau de la validation de toute une série d’informations. Elle pourrait aussi intervenir en cas d’incident, pour établir le diagnostic.

Notre avantage c’est qu’aujourd’hui, avec la taille de Worldline, nous sommes susceptibles d’intéresser les grands prestataires de services en intelligence artificielle.

”Nous avons développé un système qui permet un paiement en bitcoin”

Worldline est leader européen des plateformes de paiement, et quatrième mondial derrière… trois entreprises américaines (Fiserv, Global Payment et FIS). Comment parvenez-vous à tirer votre épingle du jeu ?

Nous sommes actifs dans un domaine qui impose d’être suffisamment grand que pour survivre. C’est la raison pour laquelle les Américains ont un si grand rôle, étant donné le volume qu’ils ont à traiter. Au final, c’est une économie d’échelle : au plus vous êtes grand, au plus le prix par transaction baisse. Mais il faut aussi être agile, car dans nos marchés spécifiques, il faut pouvoir s’adapter.

La force de Worldline, c’est d’être un leader européen. Nous sommes présents en Australie, en Amérique latine ou encore en Afrique. Les grandes plateformes américaines ont essayé d’envahir le reste du monde, mais on peut difficilement dire que l’opération a été un succès.

Pourquoi ?

Ils ont par exemple sous-estimé le fait que rentrer en Europe, c’est rentrer dans chaque pays européen, avec ses propres spécificités. L’avantage pour Worldline, c’est d’être né dans cette complexité : nous avons appris à la gérer dès le départ et à faire preuve d’une plus grande flexibilité.

De quoi vous permettre de vous installer plus facilement ailleurs dans le monde ?

Worldline est l’un des plus gros processeurs en Inde, où nous prenons en charge les opérations pour le compte de banques locales. On est actif dans une centaine de banques en Asie en tant que processeurs, notamment en Thaïlande, en Indonésie, en Malaisie, en Chine, à Hong Kong ou encore à Singapour. Nous sommes le troisième acteur en Australie, le premier en Nouvelle-Zélande, et nous sommes désormais présents au Japon. Nous avons aussi une joint venture, avec CFAO et TotalEnergies, présente dans 14 pays d’Afrique de l’Ouest.

Et les États-Unis ?

Le marché américain n’est pas dans nos priorités. Nous sommes présents aux États-Unis, mais on y sert des acteurs américains actifs hors des États-Unis, et des clients étrangers présents sur le sol américain.

Qui dit multiplication des pays, dit multiplication des devises…

Nous travaillons avec toutes les monnaies du monde (une cinquantaine, NdlR) : une de plus ou une de moins ne change pas fondamentalement les choses.

Même s’il s’agit de cryptomonnaies ?

Il y a quelques années, nous avons eu les premières demandes de clients liées au bitcoin. Notre premier utilisateur était le Chedi Andermatt, l’hôtel le plus luxueux de Suisse. On a donc développé un système qui permet un paiement en bitcoin : aujourd’hui, tous nos clients disposant d’un terminal peuvent théoriquement avoir accès à ce mode de règlement.

Quand on travaille avec une nouvelle monnaie comme le bitcoin, le principe reste de réaliser une conversion, comme avec n’importe quelle autre devise. La question est plus de savoir si c’est un marché qui tient la route : faire des développements spécifiques pour une monnaie très exotique, si elle n’est utilisée que trois fois par an sur quelques terminaux, ce n’est pas rentable.