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PMA : « Si j’arrive à faire changer le regard de 10 personnes sur la monoparentalité, j’aurais gagné ! »

Un désir irrépressible d’être mère. A 35 ans et célibataire, Elodie Laloum a décidé de faire un bébé toute seule via une PMA en Belgique, avec une insémination artificielle par donneur anonyme. C’était il y a onze ans. Si plusieurs témoignages de ce type sont déjà parus, celui-ci apporte un plus. Car c’est en BD que l’histoire d’Elodie et de Ness est racontée, ce qui permet de se représenter précisément leur quotidien, leurs difficultés et leurs joies. Un amour fou qui se lit aussi sur le tatouage de la maman, qui a fait graver le nom de sa fille sur son poignet. 

Pour 20 Minutes, elle analyse les différentes facettes de son histoire maternelle, en espérant qu’elle contribuera à faire changer de regard de ceux qui fustigent le fait que l’on puisse décider d’être parent solo.

Comment expliquez-vous votre profond désir de maternité ?

J’ai toujours eu envie d’avoir une grande famille. A 28 ans, je suis tombée enceinte alors que je prenais la pilule, mais comme mon compagnon ne voulait pas être père, j’ai dû avorter et cela a été une grosse déception qui m’a beaucoup marquée. Trois ans plus tard, j’ai dû subir une nouvelle IVG car je ne connaissais mon amoureux que depuis trois semaines. Puis mes amis sont tous devenus parents et mon désir d’enfant est devenu obsessionnel. Et plus mon horloge biologique avançait, plus cela me hantait. Je ne voulais pas rater le coche. J’ai pensé à adopter, mais on m’a dit qu’en tant que mère célibataire, je passerai après les couples et que j’aurais un enfant de plus de 7 ans avec un handicap. Je n’étais pas prête pour cela. Je me suis donc orientée vers les PMA avec donneur anonyme, qui me correspondait très bien, car j’avais envie de donner la vie.

Vous avez attendu que votre fille ait 11 ans pour écrire l’histoire de sa naissance et de votre cheminement à deux. Pourquoi était-il important de laisser passer tout ce temps avant de vous lancer dans ce récit ?

Je souhaitais avoir l’aval de Ness pour raconter notre parcours commun. Elle était très contente, car elle avait envie que son histoire familiale particulière soit partagée. C’était une façon de la normaliser pour elle. Cet ouvrage, je voulais l’écrire pour laisser une trace indélébile à Ness et pour que personne ne puisse lui raconter une autre version de ce que nous avions traversé ensemble.

Quand vous avez décidé de recourir à la PMA avec donneur anonyme, votre décision a-t-elle suscité des critiques de la part de votre entourage ?

J’ai perdu mon meilleur ami. Il a pris ma décision comme une négation de la masculinité, comme si je voulais signifier aux hommes que je n’avais pas besoin d’eux, ce qui était totalement inexact. Il considérait mon acte comme égoïste, comme une sorte de caprice. Et il a prononcé cette phrase atroce : « Tu n’as jamais pensé que si tu n’avais pas de mec, c’est peut-être que tu ne méritais pas d’avoir un enfant ? ». J’ai aussi subi les remarques insidieuses de certains membres de mon entourage, et leur absence de réponse quand j’avais besoin d’aide.

Vous racontez qu’en 2012, les opposants au mariage pour tous s’attaquaient aussi à la PMA. Comment l’avez-vous vécu ?

Je me suis sentie agressée, culpabilisée. J’ai éprouvé un sentiment d’injustice.

Vous écrivez : « J’ai enfin trouvé ma raison de vivre ». En quoi avez-vous changé depuis que vous êtes maman ?

Je suis hypersensible et avant la naissance de Ness, j’étais affectée par beaucoup de choses. Le fait de devenir maman m’a obligée à rester droite dans mes bottes. Je veille aussi à minimiser les risques. Au ski, j’emprunte la piste bleue au lieu de la noire.

Vous décrivez la difficulté des premiers mois lorsque l’on est maman solo, entre dépression post-partum, reprise du boulot et pleurs du nourrisson. Quelle aide avez-vous reçue pendant cette période ?

Comme j’étais indépendante, j’avais organisé mon remplacement pendant tout mon congé maternité. Mais 10 jours après la naissance de ma fille, la personne qui devait me suppléer m’a plantée. J’ai dû reprendre le boulot coûte que coûte. Je travaillais quand Ness dormait et la pression était lourde. Et j’ai reçu beaucoup moins d’aide familiale que prévu. Ce n’est que lorsque Ness a eu 2 ans et demi que j’ai pu la confier toute une nuit ! Par la suite, comme tout parent, j’ai connu des hauts et des bas dans mon expérience de la maternité. Mais il ne faut pas toujours associer la maman solo à une galérienne !

Le fait d’être maman solo a-t-il été un frein pour rencontrer un homme ?

Certainement. Même si je pense que mon plus gros frein à une rencontre, c’est mon caractère ! Mais j’espère qu’un homme pourra trouver sa place entre nous.

Comment avez-vous parlé à Ness de sa conception ?

Je lui ai toujours parlé de son histoire et je me suis fait aider par un pédopsy. Elle ne raconte pas sa vie aux inconnus, mais en parle très librement à ses amis.

Redoutez-vous son adolescence ?

Un peu, car j’ai été omniprésente pour elle. A 11 ans, Ness a déjà une vie sociale riche : elle va chez les scouts, en colos, à des anniversaires. Et cela ne va aller qu’en s’intensifiant, ce qui est tout à fait normal. J’ai bien conscience qu’il va falloir que je reconstruise ma vie de femme dans les prochaines années !

Vous racontez comment l’exemple de votre famille a réussi à faire changer de regard certaines personnes sur la monoparentalité. L’avez-vous vécu comme une fierté ?

En vacances, j’ai rencontré un couple catholique qui m’a confié après quelques jours être contre la PMA. Mais en nous voyant évoluer devant eux, ils m’ont dit qu’ils trouvaient Ness bien élevée et très équilibrée. Cela m’a fait très plaisir de voir que des idées formatées sur la PMA pouvaient être ainsi déconstruites. Si grâce à cette BD, j’arrive à faire changer le regard de 10 personnes sur la monoparentalité, j’aurais gagné ! Aujourd’hui, une famille française sur quatre est monoparentale. Il serait temps d’accepter collectivement cette pluralité. Et que lorsque je rencontre des inconnus pour la première fois, qu’ils ne me posent plus la question : « Tu élèves une fille seule, pourquoi, tu es lesbienne ? »

La PMA pour toutes a été autorisée en 2021 en France, quelles transformations sociétales en ont découlé ?

Même si ce droit existe, les listes d’attente sont très longues, ce qui contraint de nombreuses femmes à aller en Belgique ou en Espagne pour se faire inséminer. Donc il y a encore des progrès à faire. De plus, notre société ne prend pas encore assez en compte les nouvelles formes de famille. J’en ai eu la preuve lorsque j’ai dû inscrire ma fille en CM2. Le formulaire à remplir exigeait le nom du père de l’enfant pour passer à la case suivante. J’ai dû écrire des lettres au hasard pour parvenir à valider le document !