France

On a assisté au procès opposant le directeur de France Soir à un médecin

Edit : Xavier Azalbert était défendu par Arnaud Dimeglio et non par Jean-Charles Teissedre.

De quoi la « Veuve » est-elle le nom ? Est-elle une allusion à la guillotine, comme l’a évoqué un collectif de médecins et d’internautes en réaction à une tribune parue sur le site de France Soir en 2021 ? Ou bien est-elle une allusion aux veuves du Covid-19, comme on pouvait le lire sur le site de France Soir quelques heures après la parution de la tribune ?

C’est une « métaphore », a expliqué jeudi Xavier Azalbert aux juges de la 17e chambre du tribunal de Paris. Le directeur de publication du site qui a été épinglé pour avoir relayé des informations non fondées venait donner sa version des faits dans le procès qu’il a intenté en diffamation contre le médecin urgentiste Mathias Wargon*. Pressé par une juge de préciser le sens de cette métaphore, l’entrepreneur répond : « Je viens du monde de l’entreprise. Très souvent, dans une entreprise, on dit que des têtes vont tomber. » Il rappelle que la phrase est précédée d’« un procès devra se tenir ». Il n’est pas écrit qu’« un procès s’est tenu », se défend-il. « France Soir est un petit média, comment peut-on prêter à ce média l’intention de restaurer la peine de mort en France ? », plaide-t-il. Xavier Azalbert dit assumer la publication de ce texte, qu’il qualifie de « brûlot » lors de l’audience.

« Ce que je lis n’est pas propre »

Ce long texte, publié sur le site de France Soir le 22 août 2021, avait été l’objet d’une émission sur BFMTV le 2 septembre. Mathias Wargon, chef des urgences de l’hôpital Delafontaine à Saint-Denis, avait été convié à débattre avec Xavier Azalbert dans Polonews. Celui-ci reproche au médecin sept propos tenus lors de l’émission, dont ceux-ci « ah ouais il est bien l’article hein, il nous prend un peu pour des cons monsieur Azalbert mais il est bien ». « Et la fin, et la fin quand même […] parce qu’il y a des trucs un peu dégueulasses, […] il y a une phrase que personne n’a notée mais moi j’ai repris votre texte, j’ai fait de l’analyse de texte c’est immonde. »

« J’ai été choqué par certaines phrases [de la tribune] », explique aux juges Mathias Wargon, connu pour son franc-parler et qui a dénoncé un « procès bâillon ». « Mon opinion, c’est que ce que je lis n’est pas propre. On n’écrit pas des choses comme ça. » Le médecin, qui n’est pas nommé dans la tribune à la différence de certains professionnels de santé, confie s’être rendu dans l’émission « pour défendre ses confrères ».

Une grande partie de l’audience est consacrée au contexte de 2021. A l’époque, la campagne de vaccination, qui a débuté en décembre 2020, est défendue par des médecins sur les réseaux sociaux, tandis que des sites, dont France Soir, défendent l’usage de molécules comme l’hydroxychloroquine pour traiter le Covid-19. Le contexte est tendu. « J’ai des patients qui arrivent aux urgences qui pensent être protégés par l’hydroxychloroquine, l’azythromycine, l’ivermectine et qui ne sont pas vaccinés, rappelle Mathias Wargon. Les gens prennent ça, ils arrivent aux urgences et ils ont des atteintes importantes du Covid-19. On a des gens qui ne se vaccinent pas et qui meurent du Covid-19 en 2021. » Le médecin se souvient d’avoir assisté à une « noria » d’hélicoptères entre les Antilles et l’Île-de-France « avec des gens intubés ». « C’est ça, la réalité de la désinformation », lance-t-il.

Une balle reçue à l’hôpital

Cité comme témoin par la défense de Mathias Wargon, Stéphane Gaudry le rejoint en une punchline : « Quand vous désinformez sur les pyramides d’Egypte, ça a peu de conséquences, quand vous désinformez sur les vaccins, il y a des victimes, je les ai vues dans mon service. » Le professeur de médecine intensive-réanimation lance à la barre un appel à se souvenir des familles des morts du Covid-19.

Mathias Wargon fait aussi état de menaces anonymes qu’il a reçues : une balle sur son son lieu de travail, une enveloppe avec de la poudre à son domicile. « L’hôpital a reçu des mails me traitant de Josef Mengele [médecin nazi qui mena des expérimentations sur des déportés à Auschwitz]. J’ai de la famille qui a été victime de nazis, cela fait toujours bizarre d’être comparé à ça. » Il ne publie plus de photos de son équipe afin de les protéger, ajoute-t-il. Actif sur Twitter, il déclare avoir dû faire des « centaines de signalements sur Pharos ». « Des photos de pendus, de guillotine sous mon compte c’est une réalité. »

« J’ai toujours demandé le débat »

Les débats se centrent ensuite sur le site France Soir. « J’ai constaté que France Soir était devenu l’épicentre d’une galaxie Covid-sceptique », lance Raphael Grably, journaliste pour BFMTV et le deuxième témoin cité par la défense de Mathias Wargon, maîtres Tiphaine Mary et Laura Ben Kemoun. Aucun témoin n’a été cité pour Xavier Azalbert. Le journaliste rappelle que France Soir lance un appel aux dons défiscalisable sur son site.

A la barre, Xavier Azalbert l’assure : son travail « est d’informer, pas de juger ». « France Soir est un média qui amène une certaine forme de contradiction, estime-t-il. J’ai toujours demandé le débat, le débat dans la science. Il faut donner la parole à celui qui a l’hypothèse la plus improbable parce qu’on ne sait jamais. »

« Il serait dangereux de limiter la liberté d’expression aux idées les plus communément admises », plaide maître Arnaud Dimeglio, l’avocat de Xavier Azalbert, en l’absence de son client, qui a quitté l’audience au moment des plaidoiries. Il assure que « France Soir est un site nuancé, France Soir n’est pas un site antivax ». Qualifiant Mathias Wargon de « pompier pyromane », « il ne faut pas s’étonner qu’il reçoive des menaces », ajoute-t-il.

Pour la procureure, les faits de diffamation ne sont pas qualifiés. « Le pôle national de lutte contre la haine en ligne a été saisi de très nombreuses fois de menaces envers les médecins », rappelle-t-elle. Elle évoque une tribune « dont les propos sont virulents » et le contexte d’une émission, Polonews, « qui se veut polémique par le format ».

Xavier Azalbert réclame 15.000 euros à Mathias Wargon en réparation du préjudice moral subi. Le jugement a été mis en délibéré. Il sera rendu le 16 juin.

* Xavier Azalbert attaque également la société NextInteractive et son directeur Arthur Dreyfuss, pour avoir mis en ligne le replay de l’émission contenant les propos contestés.