France

Réforme des retraites : « C’est un fiasco absolu »…Récit d’une folle journée à l’Assemblée ponctuée par le 49.3

A l’Assemblée nationale,

Jusqu’au bout du bout, le suspense aura agité l’Assemblée nationale. La réforme des retraites, tant décriée par l’opinion, sera-t-elle soumise au vote des députés ? Après des heures d’hésitations, de tractations, d’incertitudes, Elisabeth Borne a finalement renoncé à tenter le diable. Pas assurée d’avoir une majorité sur son projet de loi, la Première ministre a finalement dégainé l’article 49.3 de la Constitution. Ce choix, décidé à la dernière minute, est un aveu d’échec pour la cheffe du gouvernement, qui se retrouve plus affaiblie que jamais.

Assemblée « bunkérisée » et calculette

A la mi-journée, l’important dispositif sécuritaire autour de l’Assemblée nationale révèle la journée de tension qui attend les parlementaires. Policiers armes aux poings, véhicules de sécurité, barrages filtrants et camions béliers donnent au palais Bourbon un air bien sombre. « C’est Fort Knox. La tension est palpable. Il y a un niveau de crispation rare dans le pays », souffle Philippe Pauget, député Les Républicains favorable au texte, au lendemain d’une huitième journée de mobilisation. C’est la droite, qui ce jeudi après-midi, a les clés en main pour faire ou non adopter la réforme, déjà votée ce matin même par la majorité LR du Sénat. Et l’élu des Alpes-Maritimes espère une issue favorable. « On a amélioré le texte, c’est une question de crédibilité pour la droite », dit-il.

A l’intérieur de l’Assemblée « bunkérisée », les rares députés qui s’aventurent salle des Quatre colonnes, font et refont les calculs. « Ça va se jouer à quelques voix. La pièce est jetée en l’air mais est ce que Macron va oser l’attraper au vol ? », ironise Pierre-Henri Dumont, député LR opposé à la réforme. Alors que le temps file, les parlementaires comprennent que l’utilisation d’un 49.3 devient la piste la plus crédible.

Elisabeth Borne KO debout

A 15 heures, la présidente de l’Assemblée ouvre la séance… pour mieux la reporter. Car Elisabeth Borne et ses ministres ne sont pas encore là, comme s’ils voulaient retarder le plus possible, le moment de vérité. Cinq minutes passe, le gouvernement entre en piste, sous les huées de la gauche et la droite. La Première ministre monte au micro, mais ne peut s’exprimer, les députés de la Nupes entonnant à plein poumons une Marseillaise théâtrale, bientôt rejoints par les élus RN et quelques LR. Nouvelle interruption de séance. Elisabeth Borne est KO debout, et met de longues secondes à descendre de la tribune. Elle y remonte finalement, mais sa voix est recouverte par une bronca assourdissante, lorsqu’elle justifie d’engager la responsabilité du gouvernement sur ce texte. « On ne peut pas prendre le risque de voir le compromis bâti par les deux Assemblées écarté. On ne peut pas faire de pari sur l’avenir de nos retraites », dit-elle.

Après plusieurs réunions de crise à l’Elysée, l’exécutif a donc opté pour le scénario du pire, redouté par sa propre majorité. « C’est l’histoire d’un projet de loi mal embarqué depuis le début. Or quand la fusée part de travers, elle finit par exploser », raille Pierre-Henri Dumont. Du Rassemblement nation à La France insoumise, l’opposition dénonce un exécutif aux abois. « C’est une défaite terrible pour le gouvernement et une victoire pour le mouvement social. Cette loi n’aura pas été votée. Ce coup de force est un aveu de faiblesse, qui interroge sur la légitimité du pouvoir en place », tance le député insoumis et président de la Commission des Finances, Eric Coquerel. Au même moment, des milliers de manifestants se rejoignent à quelques pas de là, place de la Concorde, pour dénoncer le « passage en force ». 

« Il faut qu’elle parte »

La Première ministre, qui jusqu’au bout, assurait avoir une majorité pour sa réforme des retraites, se retrouve sur la sellette. « Il faut qu’elle parte. Le fait de rester serait considéré comme une gifle supplémentaire à l’égard du peuple français », tance Marine Le Pen, la présidente du groupe RN. « Elle n’a pas réussi à construire sa majorité, c’est un fiasco absolu », abonde le député PS Jérôme Guedj.

Dans la majorité, les élus ne se pressent pas, non plus, pour la défendre. « L’avenir du pays m’importe plus que l’avenir individuel de tel ou tel… », balaie une députée Renaissance. « Bien que le 49.3 soit un outil constitutionnel, nous aurions dû aller au vote », regrette sur Twitter, l’élu MoDem Erwan Balanant. « Elle s’est bagarrée jusqu’au bout dans un contexte difficile. Est-ce que c’est de sa faute ? Ce n’est pas à moi de le dire…», glisse son collègue Renaissance, Pierre Cazeneuve. Plusieurs motions de censure déposées par les groupes d’opposition pourraient sceller son avenir. Une fois encore, les voix LR seront décisives. A peine remis de sa longue journée, l’exécutif peut ressortir la calculatrice.