France

Mégabassines dans les Deux-Sèvres : Où sont les guerres de l’eau (et celles à venir) en France ?

La manifestation contre le projet de mégabassine à Sainte-Soline (Deux-Sèvres), samedi, restera dans les mémoires. Pas seulement en raison des 30.000 personnes à y avoir participé et des 3.300 gendarmes et policiers déployés en face. Mais aussi et surtout par le nombre de blessés laissés sur le carreau : 47 côté forces de l’ordre, 200 côté manifestants, dont deux plongés dans le coma.

La mobilisation rappelle amèrement celle contre le projet de barrage à Sivens (Tarn) du 26 octobre 2014, qui s’était traduite par la mort de Rémi Fraisse, 21 ans, tué par l’explosion d’une grenade assourdissante. Déjà alors, l’eau et le sentiment de son accaparement par une poignée d’agriculteurs irriguants étaient au cœur des tensions. Preuve que cette guerre de l’eau dans la Sèvre Niortaise n’est pas la première. Et pas la dernière, à écouter Alexis Guilpart, coordinateur du réseau « eau et milieux aquatiques » de France nature environnement, qui regroupe plus de 9.000 associations locales, dont plusieurs engagées dans des conflits sur l’eau. Où sont-elles ? Où vont-elles apparaître ?

Il n'y a pas que dans les Deux-Sèvres que l'eau et l'utilisation qu'on en fait génère des conflits en France.
Il n’y a pas que dans les Deux-Sèvres que l’eau et l’utilisation qu’on en fait génère des conflits en France. – F.Pouliquen / 20 Minutes

Les bassines du Clain dans la Vienne 

On n’est pas bien loin de Sainte-Soline, dans le département voisin de la Vienne, dans le bassin de la rivière du Clain. « C’est le prochain territoire qui risque de subir une montée en tension similaire », prédit Alexis Guilpart. L’origine du conflit est la même : des bassines, ces grandes retenues d’eau que veut construire un collectif d’irriguants. Trente au total (41 initialement), toujours dans le but affiché de remplir ces retenues l’hiver pour les utiliser l’été et avoir moins ainsi à prélever dans les nappes. « L’EPTB Vienne, l’établissement public qui gère la ressource dans la région, a commandé une vaste étude, publiée ce mois-ci, analysant la ressource disponible aujourd’hui et à l’avenir, ainsi que les pistes pour adapter nos usages de l’eau à cette nouvelle donne, raconte Alexis Guilpart. Elle considère justement ce projet de 30 bassines surdimensionné. Mais les irriguants, soutenus par le préfet et des élus locaux, cherchent à faire passer en force les autorisations de construction. » De leurs côtés, les associations environnementales multiplient les recours.

La Têt dans les Pyrénées-Orientales

Sur ce fleuve, le plus long du département et qui passe dans Perpignan, deux barrages ont été érigés pour éviter les crues éventuelles de l’automne et permettre aussi de stocker l’eau pour soutenir l’agriculture irriguante l’été. « Pour avoir le droit de stocker de l’eau, ce barrage doit tout de même laisser passer un débit minimum biologique pour les besoins de la faune et la flore en aval, explique Alexis Guilpart. Le préfet du département avait accordé une dérogation ces dernières années permettant de rendre un débit moindre que celui prévu. »

Saisi par des associations, le tribunal administratif de Montpellier a annulé cette dérogation l’automne dernier, provoquant la colère des agriculteurs locaux, avec une manifestation le 24 janvier à Perpingan. Ce qui a poussé le préfet à faire appel de la décision du tribunal. Un mauvais signal, selon FNE.

Le lac de Caussade dans le Lot-et-Garonne

On remonte au nord, mais on reste toujours dans le quart sud-ouest de la France * avec « le lac de Caussade », entre Toulouse et Bordeaux. « Lac » ?,  Alexis Guilpart n’aime pas trop le mot. « C’est bien plus un plan d’eau artificiel généré par un barrage en travers d’un cours d’eau, toujours à des fins d’irrigation », précise-t-il.

Dès 2018, plusieurs avis d’experts alertent sur le risque que fait peser cet ouvrage sur la gestion de l’eau dans la région. A la fois par l’Autorité environnementale, l’Office français de la biodiversité ou le Conseil national de protection de la nature. Pour autant, le 29 juin 2018, la préfète du Lot-et-Garonne autorise ce barrage. Quelques mois plus tard, le tribunal administratif de Bordeaux annule l’autorisation. Un long feuilleton commence alors, mêlant décisions de justice, passage en force sur le terrain et attitude étrange, sinon complaisante de l’Etat », déplore FNE.

Une certitude, « malgré six contentieux gagnés en justice stipulant que l’ouvrage est totalement illégal, non seulement il a été construit, mais il continue à être utilisé à chaque saison d’irrigation », reprend Alexis Guilpart, qui là encore voit les tensions. Marine Tondelier, secrétaire nationale d’EELV, a pu s’en rendre compte mardi lors d’un déplacement dans la région. Son arrivée à Marmande a été perturbée par des militants du syndicat agricole la Coordination rurale lui reprochant sa participation à la manifestation de Sainte-Soline.

Vittel, Volvic et l’industrie de l’eau minérale 

Les conflits de l’eau ne sont pas toujours liés à des usages agricoles. L’industrie de l’eau minérale provoque aussi des tensions là où elle puise dans les nappes pour remplir ses bouteilles. C’est le cas à Vittel (Vosges) avec Nestlé Waters, accusée de pomper trop d’eau, au point que l’une de ces nappes soit menacés d’épuisement dans cette région plus épargnée par les sécheresses. L’entreprise « prélève en moyenne chaque jour l’équivalent de la consommation d’une ville de 40.000 habitants », comparait Bernard Schmitt, porte-parole du collectif Eau 88, dans Le Monde l’été dernier. « Il a même été imaginé de construire un réseau de pipeline pour faire venir l’eau que consomment les habitants de nappes voisines », rappelle Alexis Guilpart. Le projet a été abandonné par l’État et la multinationale en 2019. Depuis, le territoire cherche toujours des solutions. Un schéma d’aménagement et de gestion des eaux doit être voté d’ici peu, rapportait en février le média Reporterre.

« On a quasiment le même conflit à Volvic (Puy-de-Dome) avec Danone, reprend Alexis Guilpart. Là encore, des recours juridiques ont été lancés et les tensions s’accroissent. »

La Clusaz et sa retenue collinaire 

L’irrégularité croissante des précipitations dans les Alpes, que devrait accentuer le réchauffement climatique, met en péril la pratique du ski en stations de moyenne montagne et toute l’économie derrière. Pour pallier ce manque d’eau, La Clusaz veut créer une retenue collinaire, « une sorte de bassine là encore [d’une surface de cinq terrains de football], permettant de stocker de l’eau en vue, essentiellement, d’assurer l’enneigement artificiel de la station », décrit Alexis Guilpart. Un projet à 10 millions d’euros qui nécessiterait de creuser 148.000 m3 dans la montagne, en dérogeant à des règles de protection de la biodiversité, pointent des associations locales.

Comme pour les bassines agricoles, Alexis Guilpart y voit un autre exemple de mal-adapation au changement climatique. « Sans dire qu’il faut arrêter toute production de neige artificielle, l’enjeu n’est pas non plus de s’enfermer dans une dépendance économique à celle-ci », estime-t-il. Le 25 octobre dernier, le tribunal administratif de Grenoble a suspendu le projet.