France

Manifestation du 1er-Mai : Jets de pavés ou d’excréments, les actes de violence de « gosses » sans histoire jugés à Lyon

Derrière la vitre du box des prévenus, Jérôme, grand costaud de 42 ans vêtu de noir, acquiesce de la tête à la lecture des faits, affichant parfois un sourire narquois quand on lui rappelle qu’il est jugé pour avoir jeté « deux bocaux remplis de matières fécales » sur des policiers de la BAC en civile, lors de la manifestation du 1er-Mai à Lyon. Seulement, la justice ne rigole pas. Surtout quand l’un des agents en question a eu le tibia fracturé après avoir tenté d’interpeller le rebelle un peu trop agité. Au final, il écopera de dix mois de prison avec sursis et d’une interdiction de participer à toute manifestation pendant deux ans. C’est la peine la plus lourde prononcée mercredi par le tribunal correctionnel de Lyon.

Au terme d’une journée d’audience marathon, huit personnes ont défilé à la barre pour des faits de violences commises sur les forces de l’ordre, deux jours plus tôt. Et non pour avoir saccagé la ville ou pillé plusieurs enseignes. Toutes ont un point commun : un casier judiciaire vierge et des profils sans histoires. « Ce sont des gosses, des étudiants. On n’est pas dans le fantasme du black bloc que le parquet ou les policiers veulent projeter sur l’imaginaire d’un manifestant d’extrême gauche », résume l’avocat Olivier Forray.

« J’ai perdu mon sang-froid »

Pauline, 25 ans, vêtue d’un jean haute taille et d’une marinière foncée, n’est « pas une délinquante », souligne son conseil. « Elle est simplement une citoyenne qui manifeste son opinion », appuie-t-il, une étudiante qui s’apprête à décrocher un « doctorat en pharmacie ». La jeune femme, « postée en première ligne du cortège », aurait jeté des « pavés » sur les colonnes de forces de l’ordre. Mais pour son avocat, aucune preuve. « L’enquête a été bâclée. On se base uniquement sur le témoignage d’un CRS qui dit l’avoir reconnue. Il n’y a aucune vidéo permettant de l’inculper », plaide-t-il. L’affaire sera renvoyée au 7 septembre.

Les bras croisés autour de la taille, la tête haute, Jérôme, qui travaille pour une mutuelle à Villeurbanne, assume son geste. Les bocaux d’excréments, il les a « trouvés dans un sac de déchets, dans la rue ». Alors, il « en a profité » car il venait de recevoir « un projectile de gaz lacrymo en plein visage », montre-t-il. « J’ai voulu leur dire de faire attention mais ils m’ont répondu « Dégagez d’ici ». Sur le coup, ça m’a énervé, j’ai perdu mon sang-froid ». L’homme se dit « désolé » mais sa mine, un brin moqueuse, n’arrive pas à convaincre le tribunal.

Un « avertissement »

Abdouad, sans papier algérien de 24 ans, n’était pas dans le cortège. Seulement, il se trouvait place Bellecour en fin de parcours et n’a pu s’empêcher de jeter des « morceaux de parpaings » sur les CRS, ni de les insulter de tous les noms d’oiseaux possibles, selon l’accusation. « Vendeur de cigarettes place Dupont », le jeune homme se défend, aidé d’une interprète. Mais les forces de l’ordre sont formelles. Un tee-shirt orange, et un jogging floqué de bandes jeunes fluo, ça ne trompe pas. Impossible de le confondre avec quelqu’un d’autre. « On est dans la délinquance d’opportunité avec un prévenu qui vient se mêler aux blacks blocs pour commettre des larcins et récupérer ce qu’il pouvait », estime Laurent Bohé, avocat des policiers. La sanction tombe. Sept mois de prison avec sursis, « un avertissement ». De ses mains, Abdouad embrasse le ciel. Soulagé, visiblement.

Alexandre, 28 ans, a également été trahi par ses vêtements. Une épaisse chemise à carreaux marron et blanche qui « dépassait de son blouson noir ». Lui, est soupçonné d’avoir sérieusement blessé un policier à la cuisse avec un pavé. « C’est totalement faux », répond l’étudiant en sciences cognitives, parvenant difficilement à desserrer les dents. Son accoutrement le jour des faits interroge. Un « imperméable noir », une casquette, « un cache-nez noir »… La parfaite panoplie du black bloc, insinue le tribunal. Son attitude en garde à vue intrigue également. Lorsque les enquêteurs lui ont demandé son téléphone pour vérifier qu’il ne contenait pas de vidéos compromettantes, le garçon l’a volontairement bloqué en tapant plusieurs codes erronés. Au final, huit mois de prison avec sursis.

Le barbu Esteban, 22 ans, « testé à haut potentiel », est l’un des seuls à reconnaître les faits qui lui sont reprochés : avoir jeté un bouchon de capsule de gaz lacrymogène sans atteindre sa cible. « C’est de la bêtise, plaide celui qui souhaite devenir éducateur spécialisé. C’est surtout de la colère car j’ai vu mon ami se faire interpeller. Je n’ai pas réfléchi, j’ai lancé ce projectile en cloche », avoue-t-il. Dépeint comme « dévoué aux autres » et « engagé contre l’injustice », le solide gaillard fait amende honorable. Sa sentence sera plus clémente : trois mois avec sursis.

« On a aucun élément, aucune preuve »

Puis se présentent Sara et Eve, les « deux copines » étudiantes en première année de droit qui ne s’attendaient sans doute pas à se trouver de l’autre côté de la barre. Leurs torts ? Avoir lancé des « ballons de baudruche remplis d’excréments ou de peinture sur les forces de l’ordre ». A l’énoncé des faits, la seconde peine à cacher son envie de rire, adressant quelques grimaces à ses camarades venus la soutenir dans la salle.

Elle admet « avoir une proximité de pensée avec certaines idées des blacks blocs » mais « ne cautionne pas la violence ». Oui, elle s’est changée pour s’habiller de noir afin de se « fondre dans le bloc unitaire » mais n’a jeté aucun projectile. « Cela faisait dix minutes qu’on venait d’arriver. On s’est fait gazer, je ne respirais plus. On est sorti du cortège pour se mettre dans une rue à côté. On s’est posé contre un mur et on s’est accroupi pour se nettoyer les yeux, appuie Sara. C’est là qu’on a été interpellé mais on n’avait rien fait. » Les forces de l’ordre n’ont d’ailleurs trouvé aucun matériel dans leurs sacs, rappelle Eve d’un petit sourire dont elle va se départir quelques heures plus tard. Le jugement est rendu : quatre mois de prison avec sursis pour les deux amies au parcours scolaire exemplaire. Complètement sonnée, la jeune femme essuie, cette fois, quelques larmes discrètes.

« On vient de cramer leur avenir professionnel », lâche Olivier Fourray, furieux, à la sortie de l’audience, qualifiant les peines prononcées de « totalement disproportionnées par rapport aux faits reprochés ». « On a aucun élément, aucune preuve, on juge l’affaire sur l’affirmation péremptoire d’un policier. On se base sur des bouts de PV, des copier-coller que les fonctionnaires font à la va-vite. Pour eux, c’est une procédure élucidée, ils ont rempli les statistiques et donné satisfaction au ministère de l’Intérieur. Déclarer coupable quelqu’un sur cette simple déclaration, c’est dommageable pour le fonctionnement judiciaire », conclut-il.