France

« Madame Tian » raconte les « Roses d’acier », une association d’entraide entre prostituées à Paris

On l’appelle « Madame Tian », mais c’est un pseudo. Avec son jogging et son sac à dos, son visage sans fard, rien ne présage le « métier » de cette Chinoise de 53 ans lorsque nous la rencontrons : travailleuse du sexe – ou prostituée diront d’autres. En 2020, cette femme s’est découvert un cancer du sein, qui a rendu son activité impossible. Comment faire, lorsque l’on est en situation irrégulière et privée de revenus, pour payer son loyer ? Dans le quartier de Belleville, à Paris, Madame Tian a trouvé de l’aide auprès des Roses d’acier, une association assez unique en son genre de travailleuses du sexe, réunies pour se soutenir, et pas que financièrement.

Les Roses d’acier sont nées en 2014, à la suite d’une rencontre entre ces femmes et des élus. L’association compte aujourd’hui 210 adhérentes, âgées d’une cinquantaine d’années en moyenne, et affirme être « en contact direct avec plus de 400 femmes en France ». La structure leur offre la possibilité d’avoir accès à un interprète, organise des activités et évènements pour créer du lien et leur fournit une aide d’urgence lorsqu’elles sont « en situation de perte de capacité du travail temporaire au-delà de trois semaines », via le programme « U-Care ». C’est de ce programme dont a bénéficié Madame Tian, qui a subi opération et radiothérapie, et doit encore aujourd’hui se rendre à l’hôpital toutes les trois semaines et chez le kiné, car elle ne peut plus faire certains gestes du bras, du côté de son sein amputé.

Elle émigre pour subvenir aux besoins de son foyer

La quinquagénaire est arrivée en 2014 en France, après que son mari a fait un AVC. Son conjoint ne pouvant plus travailler, les dettes s’accumulent, et il lui faut vite trouver un moyen de faire de l’argent. Madame Tian, selon son récit, émigre, espérant ainsi augmenter le niveau de vie du foyer et aider sa fille qui est sans argent avec trois enfants.

Mais ce n’est pas l’eldorado promis. Ne parlant pas un mot de Français et sans papiers, elle ne parvient pas à trouver un emploi. Elle se lance alors dans le travail du sexe. « Si j’avais eu de la famille ici qui travaillait dans la restauration, j’aurais travaillé dans un restaurant. Mais même pour garder des enfants, sans parler le français, c’est difficile », explique-t-elle à 20 Minutes.

« C’est une façon d’avoir mon indépendance »

Pour beaucoup de ces travailleuses du sexe, la prostitution s’avère une sorte de choix par défaut, le seul métier accessible qui leur permet de rembourser la somme qu’elles doivent aux passeurs qui les ont transportées, et qui leur rapporte assez d’argent pour subvenir aux besoins de leur famille. Madame Tian travaille une dizaine d’heures par jour dans des salons de massage, avec en moyenne deux ou trois clients et beaucoup d’attente entre chacune de ces passes.

« Bien sûr que je souhaiterais avoir un travail plus valorisant mais ce n’est pas facile. Et si tu travailles comme nounou, on te surveille avec une caméra. Au moins dans le salon de massage, quand ça ne me plaît pas je bouge, je peux ne pas accepter un client si je veux. Et c’est une façon d’avoir mon indépendance », explique-t-elle. Avant d’ajouter avec une pointe d’humour : « Je ne compte pas dégoter un homme qui me donnera 30.000 euros, car j’ai de moins en moins de patience avec les hommes ! »

Un livre

Ces conditions de vie sont racontées entre autres dans le livre Roses d’acier de Rémi Yang, sorti le 15 mars aux éditions Marchialy, qui jette un éclairage sur les mécanismes de solidarité de l’association, soutenue par Médecins du Monde. En 2021, pendant le covid, elle a ainsi distribué 2.800 euros à dix femmes et 1.750 euros de tickets service.

Le livre retrace les moments de joie mais aussi les coups durs que traversent ces femmes, exposées aux violences, avec pour fil rouge leur coordinateur et interprète Ting, un homme difficile d’accès mais chaleureux, comme a pu le constater 20 Minutes, et décrit par le journaliste comme un véritable « bonze », qui garde son calme en toute occasion.

Arbitrer entre argent et sécurité

En 2019, les Roses d’acier ont dû faire face à trois meurtres dans leur communauté. Les travailleuses du sexe doivent donc toujours arbitrer entre argent et sécurité, certaines se retrouvant à prendre des risques pour assurer leur subsistance et celle de leur famille, comme le montre une conversation de groupe retracée dans le livre.

D’autant que la loi sur l’abolition de la prostitution de 2016 a réduit le nombre de clients et fait baisser le prix des passes, exposant ces femmes à augmenter leur prise de risque. Face aux violences, les Roses d’acier ont financé des systèmes d’alarme et un numéro d’urgence.

Ateliers de tricot

Au-delà de ces aspects pratico-pratiques, le collectif offre aux femmes qui y adhèrent un soutien moral et un espace convivial, bref, une bonne raison pour enquiller les Tsingtao devant des raviolis vapeur. « C’est une association qui permet de rompre avec l’isolement » explique Ting. Madame Tian y a trois amies, dont l’une vient tout juste de sortir d’une opération, et l’autre n’est autre que la présidente de l’association elle-même, ancienne travailleuse « à la retraite », qui anime aujourd’hui des ateliers de tricot.

Les Roses d'acier fêtent l'anniversaire de la présidente de l’association, ancienne travailleuse « à la retraite », qui anime aujourd’hui des ateliers de tricot, permettant de confectionner les fleurs visibles ici qui iront sur les sacs envoyés aux donateurs et donatrices.
Les Roses d’acier fêtent l’anniversaire de la présidente de l’association, ancienne travailleuse « à la retraite », qui anime aujourd’hui des ateliers de tricot, permettant de confectionner les fleurs visibles ici qui iront sur les sacs envoyés aux donateurs et donatrices. – Ting

« Beaucoup de femmes chinoises dans leurs jeunesses vivaient dans des familles pauvres et nombreuses. Elles apprenaient le tricot par exemple pour renforcer les pantalons pour travailler. Mais le tricot maintenant est devenu une activité créative et contemplative, pour les femmes qui souhaitent passer un temps zen. Madame Tian a participé très activement à cet atelier tricot. Comme c’est également une activité collective, en tissant, elles tissent les liens. Elles racontent souvent leurs parcours et leurs histoires en tricotant », explique Ting.

Des ateliers où l’on déballe ses soucis et qui permettent à l’association de fabriquer des tote bags colorés utilisés pour remercier les donateurs et donatrices. Car avec un budget de 45.000 euros, dont 25.000 euros abondés par des bailleurs privés comme la fondation Médecins du monde et Sidaction, l’association « est toujours en difficulté financière » selon Ting.