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Des coupes d’arbres dans le bois de Vincennes pour le bien-être de la forêt ? Des associations protestent

Il fait très froid ce mardi-là, au bois de Vincennes. Munis de bottes pour certains et certaines, des enfants de CE1-CE2 d’une école riveraine brandissent des tiges et des outils de jardinage, affairés à replanter des arbres. C’est une opération pour apporter un peu de biodiversité à la forêt, expliquent des agents de la Division du bois de Vincennes, qui encadrent l’opération.

« Mais vous avez coupé tous ces arbres qui se portaient très bien, et tous les autres vont se prendre le vent en pleine face maintenant », tempête Marie-Noëlle Bernard, du Groupe national de surveillance des arbres, à l’endroit des agents. Cette experte en assurances devenue référente locale pour l’association de protection des arbres, est venue montrer à 20 Minutes les nombreuses « coupes rases » effectuées par la Mairie de Paris dans le bois, qui l’inquiètent.

« Quand on déboise, on tue la nourriture des animaux »

Ces coupes sont-elles justes et nécessaires pour préserver la forêt ? Telle est en substance la question qui divise d’un côté deux associations environnementales entre autres, et de l’autre la Mairie de Paris. Selon un document que 20 Minutes s’est procuré, l’administration envisage de faire des « éclaircies » – définies par l’administration comme une « opération culturale sélective qui réduit progressivement le nombre de tiges en dosant le mélange d’essences » – ou des « dégagements » – soit des opérations visant à éliminer la concurrence de certaines essences selon l’administration – sur respectivement 49 et 16 hectares pour l’année 2022-2023.

La quantité d’arbres abattus est jugée excessive et dangereuse pour l’avenir du bois de Vincennes pour le Groupe national de surveillance des arbres, qui estime que les éclaircies ne sont rien d’autre que des coupes rases d’arbres : « Quand on déboise, on tue la nourriture des animaux, l’espace vital de la faune qui a besoin de se cacher et de se nourrir », explique la référente locale. En moyenne, environ 18 hectares ont été « éclaircis » par an entre 2006 et 2020, selon le plan de gestion arboricole 2021-2035, soit bien moins que ce qui est prévu pour l’année 2022-2023. Mais pour Aurélia Chavanne, ingénieure forestier au bois de Vincennes, c’est parce que « depuis 4 ou 5 ans les opérations de coupe concernent des arbres plus gros, parce que ce sont des arbres qui ont poussé après la tempête de 1999, mais ce sont les mêmes pratiques ».

Document que « 20 Minutes » s'est procuré, qui détaille les coupes d'arbres pour l'année 2022-2023.
Document que « 20 Minutes » s’est procuré, qui détaille les coupes d’arbres pour l’année 2022-2023. – A.L.

Des coupes d’arbres centenaires

Dans un article écrit en février 2022, le naturaliste Etienne Piéchaud s’inquiétait de ces coupes, estimant qu’elles conduisaient à une « perte de biodiversité », regrettant un « acharnement sur le bouleau et le saule Marsault ». Ces derniers arbres sont utiles pour les oiseaux migrateurs insectivores comme le Pouillot véloce, fait-il remarquer, tandis que les graines du bouleau sont consommées par les Bouvreuils ou le Sizerin flammé. Le naturaliste note aussi que des coupes ont été faites à des endroits où vivait une plante vulnérable et rare en Ile-de-France, la Scille à deux feuilles. Et ajoute que l’on est allé jusqu’à couper des arbres centenaires.

Sur place, les coupes montrées à 20 Minutes font un effet de dévastation. « On a l’impression qu’il y a eu des obus qui sont tombés », commente Marie-Noëlle Bernard. A certains endroits, il ne reste plus aucun arbre. A d’autres, seul un ou deux spécimens en ont réchappé. Des opérations qui inquiètent en plein réchauffement climatique : « Avec les coupes rases qu’ils font, la température du bois va augmenter, et de fait celle de la banlieue et de Paris, car les bois rafraîchissent la capitale. Un arbre mature capte 25 kg de CO2 par an, donc toutes ces coupes c’est autant de CO2 en moins de capté ! » s’exclame Marie-Noëlle Bernard.

Un autre exemple de coupe dénoncée par le Groupe national de surveillance des arbres au Bois de Vincennes.
Un autre exemple de coupe dénoncée par le Groupe national de surveillance des arbres au Bois de Vincennes. – A.L.

Des coupes pour l’avenir ?

A tout cela, que répond la mairie ? Que ces coupes sont faites pour l’avenir. « Ces espaces s’entretiennent pour permettre leur pérennité sur le long terme. On introduit d’autres essences parce que c’est ça qui fait une forêt robuste à long terme. Cela nécessite de faire des interventions », explique Christophe Najdovski, adjoint à la Maire de Paris en charge de la végétalisation de l’espace public, des espaces verts et de la biodiversité.

Sur les 57 hectares d’ « éclaircies » ou de « dégagements » prévus, il se veut rassurant : « Ce n’est pas parce que vous intervenez sur 57 hectares que vous rasez 57 hectares. Oui il y a effectivement une diminution du boisement mais qui est momentanée. Est-ce qu’on a besoin d’intervenir comme aujourd’hui ? On est prêts à en discuter. Mais un bois ça s’entretient, on ne peut pas laisser ces espaces entièrement sans intervention humaine. »

Les agents de la Division du bois de Vincennes rencontrés par hasard sur place, et qui sont sans cesse sur le terrain avec les arbres, ont la même vision. « La politique qu’on a, c’est d’avoir un maximum d’essences. Beaucoup de chênes sont tombés pendant la tempête, ici l’érable a poussé en majorité et on va l’arracher pour mettre à la place des chênes, des châtaigniers, des charmes, des tilleuls, des merisiers… C’est intéressant d’avoir une diversité en espèces : le merisier a un intérêt pour les abeilles, comme le tilleul », explique un agent, qui n’a pas voulu donner son identité. Il poursuit : « En cas d’attaques pathogènes, comme la maladie de la suie sur l’érable, si on a d’autres essences elles vont supporter le choc ». « Favoriser la régénération de la forêt, cela favorise la pérennité, c’est notre boulot », complète à ses côtés Michel.

Deux philosophies

Qui a tort, qui a raison ? Pour le GNSA, qui dénonce un bois de Vincennes transformé en « Central Park », ces coupes sont « un pari sur l’avenir qui est à risque ». « On ne demande pas à une forêt d’être à la disposition de l’homme, c’est l’homme qui se met à la disposition de la forêt », persiste Marie-Noëlle Bernard, tandis que Christine Nedelec, présidente de France Nature Environnement Île-de-France, cite en substance le botaniste Francis Hallé « Apprenons à ne plus rien faire. »

Mais Christophe Najdovski fait confiance à ses agents : « C’est insultant de nous reprocher de ne pas savoir ce qu’est un écosystème, nous avons des ingénieures sylvicoles, elles savent faire leur métier. J’ai confiance dans les techniciens et dans leurs résultats », dit-il, mettant en avant le bilan du plan de gestion arboricole 2006-2020, qui selon lui « a permis d’augmenter le massif forestier de 58 hectares ».

Le dernier plan a été voté quasi unanimement par les élus et experts de tous bords, plaide l’adjoint, déplorant un seul vote défavorable, de France Nature Environnement. 20 Minutes n’avait pas à date de parution de l’article obtenu confirmation de ce vote, qui doit faire l’objet d’un procès-verbal de la région Ile-de-France.

Un vote qui n’empêchera pas les deux associations de manifester samedi, à 14 heures à Montreuil, métro Croix de Chavaux, jusqu’à Bagnolet, pour dire « stop au massacre des arbres ».