France

« Je ne pense pas qu’Emmanuel Macron soit dans l’apaisement, il veut réaffirmer sa marque »

Nous sommes censés être au beau milieu des « 100 jours d’apaisement et d’unité » voulue par le président de la République après la réforme des retraites. Et pourtant, il n’a échappé à personne qu’Emmanuel Macron a repris un de ses exercices favoris : la petite phrase choc, jugée provocante ou méprisante. « C’est pas les casseroles qui feront avancer la France », « Ils sont là pour faire du bruit, pas pour discuter », les manifestants décrits comme « une foule »… Et ce ne sont que des extraits.

Que comprendre de la stratégie de communication du président de la République ? 20 Minutes a demandé à Ariane Ahmadi, experte en communication politique.

L’exécutif parle d’apaisement mais en même temps, il y a des propos considérés comme provocants, voire méprisants. Comment l’expliquer ?

Je ne pense pas que le président soit dans une volonté d’apaisement. En réalité, ce retour sur le terrain est d’abord une façon de renouer avec l’ADN d’En Marche de 2017, c’est-à-dire aller au contact. Cela paraît un temps fort lointain, mais souvenez-vous : il s’agissait d’aller récolter les doléances, de la fameuse Grande marche avant la présidentielle. D’être vraiment en marche, sur le terrain, pour récolter la parole des gens et de le mettre en scène dans des désaccords très respectueux.

Il y a donc aujourd’hui plutôt une volonté de remobiliser sa base. C’est vrai qu’il y a de nombreux commentaires du style « il essaye de faire taire les colères mais en même temps, il dit ça »… Selon moi, l’hypothèse de départ est fausse. Il s’agit plutôt d’une façon de réaffirmer sa marque en intégrant les derniers évènements. Un travail qu’il n’avait jamais fait.

C’est-à-dire ?

Il y a eu le Macron de 2017, le « en même temps », la « start-up nation » et « En marche ». Mais avec la majorité relative en 2022, il y a eu un changement de tonalité politique par rapport à l’ADN de départ. Or, depuis, un travail n’a pas été fait : celui de se demander « où j’en suis de mon origine ? De mon ancrage de départ, par rapport à tout ce qui s’est passé depuis 2017 ? ».

La réforme des retraites a été un climax, et c’est ce qu’il est en train de faire. Il n’est absolument pas en train d’apaiser, mais d’affirmer où il en est aujourd’hui.

Premièrement, il reprend l’opposition « démocrates contre populistes ». Deuxièmement, en prolongement, « les règles de droit contre la loi de l’opinion ». Et en trois, on renoue grosso modo avec « la pensée complexe contre le temps instantané ». C’est le discours du « il faut faire les réformes impopulaires ».

Il n’y a donc pas forcément l’idée de casser le front de l’opposition, mais plutôt de flatter sa base…

Quand je parle de remobiliser sa base, je parle de ceux qui sont encore là. C’est-à-dire un socle électoral qui était là après les « gilets jaunes », après les grèves et la réforme des retraites de 2020, après la guerre en Ukraine et après une campagne présidentielle pas forcément réussie.

Mais il y a aussi la reconquête de ce que j’appelle un deuxième cercle, les marcheurs de centre gauche, les marcheurs déçus. Je ne pense pas du tout que sa volonté soit, par exemple, d’aller convaincre les gens de la Nupes, ou le peuple un peu radicalisé dans sa colère. Parce que tout ce qu’il montre, c’est plutôt « voilà ce que je suis et maintenant, je vous explique pourquoi je suis comme cela, et pourquoi je pense cela ». On est plutôt dans une démarche de SAV du bilan. Et comme le bilan est toujours un temps d’opposition, on ne fait pas juste un bilan, on propose de nouvelles choses.

Faut-il le traduire par « Je trace ma route quoi qu’il en soit » ?

Tout à fait. Même si Emmanuel Macron est trop fortement entaché par la marque du président méprisant, du président des riches, il est dans le « je reste moi-même quoi qu’il en coûte. » C’est-à-dire qu’il essaye, mais bien trop tardivement, de dire « j’ai fait des choix, je les assume ». Et pour cela, il sort de son palais et vient auprès des Français. Parce qu’assumer, cela passe bien sûr par le discours, mais aussi par le fait de se montrer.

Il veut montrer qu’il est de retour au travail au niveau national. Parce qu’on n’avait plus d’image, stylistiquement et en matière de marque, de Macron. Comme il s’était internationalisé dans son image.

Vous utilisez le terme « méprisant », qui colle à la peau d’Emmanuel Macron. Considère-t-il qu’il ne pourra plus en changer ? Que cela ne le désavantagera pas davantage ?

Je pense que oui. Après, en communication politique, on n’est jamais dans une dynamique où l’on pense ne rien pouvoir gagner. Sur les casserolades, par exemple, tout le monde dit que ce n’est pas bon pour son image. Évidemment, ce n’est pas top. Néanmoins, en regardant les images, ce qui le sert un peu, c’est qu’à côté de ceux qui tapent dans les casseroles, vous avez beaucoup de gens, qu’on comprend non macronistes ou en tout cas ou déçus, qui vont lui dire tout ce qu’ils pensent de lui. C’est presque malin. Cela illustre sa sortie sur les manifestants qui ne font que du bruit.

Entendons-nous bien : il n’y a pas de victoire politique là-dedans pour Emmanuel Macron, il n’y a aucune victoire. Mais je ne trouve pas ces images si choquantes.