France

Gironde : Le projet d’usine géante de saumons près de l’estuaire fait bondir les écolos

« C’est sur cette plage de la Chambrette qu’on vient se baigner », pestent des militants locaux, lors de la visite organisée ce vendredi par Europe écologie les verts (EELV), aux abords du futur site d’implantation du groupe Pure Salmon, pour son usine de production de saumons, au Verdon-sur-mer, en Gironde. « A un kilomètre de cette plage environ, il y aura des rejets depuis trois à quatre tuyaux, juste après la digue », détaille Esther Dufaure, engagée au sein du collectif « Eaux Secours Agissons ! », une association transpartisane, réunissant citoyens non encartés et militants politiques.

C'est à un kilomètre de la plage de la Chambrette que des rejets dans la mer sont envisagés par l'usine Pure Salmon.
C’est à un kilomètre de la plage de la Chambrette que des rejets dans la mer sont envisagés par l’usine Pure Salmon. – E.Provenzano

Balayées par un vent glacial, la plage et ses dunes sont situées à seulement quelques kilomètres de l’immeuble du Signal de Soulac qui va être démantelé. Elles sont, elles aussi, marquées par un fort phénomène d’érosion et considérées comme submergées en 2040, selon les cartes de projections scientifiques. « Et on sera alors obligés de démanteler ce site », pointe Esther Dufaure. Pure Salmon a signé le 4 avril 2022, une convention d’occupation temporaire (de 49 ans) d’un site de 14 hectares, propriété du Grand Port Maritime de Bordeaux (GPMB). Il envisage de produire 10.000 tonnes de saumons par an sur ce site girondin.

Un site « clé en main », en défaveur de l’environnement ?

Le port a proposé un site appelé « clé en main » qui permet d’épargner près de deux ans de procédures administratives au groupe Pure Salmon, qui doit pouvoir ainsi s’y installer de façon accélérée. Le gouvernement a voulu faciliter l’implantation d’ installations classées pour la protection de l’environnement (ICPE), soumises à des réglementations spécifiques. « Ces projets font fi des procédures administratives, et des autorisations environnementales normales, déplore Marie Toussaint, députée européenne (EELV). Les études d’impact sont allégées et la commission européenne ne peut se prononcer qu’en aval ».

Nicolas Thierry, député girondin EELV, a écrit il y a près de trois mois à Christophe Béchu, ministre de la Transition écologique, pour lui demander des détails sur cette procédure accélérée, sans obtenir de réponse à cette heure. Interrogé par 20 Minutes en avril dernier Xavier Govare, président de la société Pure Salmon France, annonçait avec optimisme la construction des bâtiments dès début 2023 et la commercialisation des premiers saumons en 2026. Le député craint en particulier que l’implantation se dispense d’un inventaire concernant la faune et la flore, se reposant sur celui réalisé au titre de la zone Natura 2000.

Un modèle productiviste très consommateur en énergie et en eau

« Le groupe Pure Salmon est un fonds d’investissements crée à Singapour et basé à Abou Dhabi dont l’objectif est de faire des superprofits pour les verser à ses investisseurs », lâche Esther Dufaure. Pour rendre son usine très rentable, le groupe ne fait pas dans la demi-mesure : alors que les concentrations de saumons recommandées par le fonds marin européen pour la pêche fixe à 25 kg de saumons par m3 d’eau, elle envisage plutôt 70 kg par m3 d’eau.

« Le bien-être animal, c’est l’angle mort principal de ce projet à mon avis, commente Nicolas Thierry. Les porteurs de projet, que j’ai rencontré, estiment qu’il est assuré simplement grâce à une qualité d’eau optimale et parlent d’ailleurs de tonnages en biomasse (plutôt que de poissons) ce qui montre que nous avons une conception très différente du bien-être animal ». « Le Covid a commencé par une zoonose et c’est typiquement avec des concentrations comme celles-là d’espèces animales qu’on risque d’en créer un prochain », ajoute Anne-Laure Bedu, conseillère régionale de Nouvelle-Aquitaine, membre de générations écologies.

Sur le fonctionnement de l’usine, le remplissage des 27 bassins d’élevage équivaut à 80 piscines olympiques, selon le collectif « Eaux Secours Agissons ». L’eau est réutilisée et filtrée grâce à une technologie poussée appelée « recirculating aquaculture system » (RAS) mise en avant par le groupe qui en est propriétaire. « Mais 1 % va être renouvelée (pompée et rejetée), soit 2.300 m3 d’eau par jour, alerte Esther Dufaure. C’est l’équivalent d’un an d’irrigation pour un hectare de maraîchage. » Dans ces rejets, la présence de traces d’antibiotiques, de virus mais aussi d’ammoniaque, de phosphore et de nitrates.

La consommation électrique du site s’annonce également faramineuse,  « équivalente à la consommation d’une ville de 10.000 habitants (75 GW/an) », estime Esther Dufaure. Un parc photovoltaïque de 45 hectares est envisagé aux abords du site mais il ne couvrirait qu’une part de cette consommation. La nourriture des poissons élevés au Verdon pose aussi question, qu’il s’agisse de soja ou de farines de poissons, ce ne sont pas des filières vertueuses au niveau écologique.

Quels recours contre le projet ?

Le collectif « Eaux Secours Agissons » va déposer une pétition contre le projet auprès du parlement européen. Benoit Biteau, député européen et premier vice-président de la commission agriculture et développement rural, veut que la Commission Européenne rappelle l’Etat Français à l’ordre, arguant que le projet est « probablement en infraction sévère avec plusieurs directives-cadres (eau, eau souterraine, stratégies en milieu marin). et à contre-courant de l’histoire du XXIe siècle ».

Si le groupe se targue de relocaliser une production importée à 99 %, en particulier de Norvège et du Chili, les écologistes pointent un modèle délétère pour l’environnement. « Ils ont raison sur un point, il y a un enjeu de souveraineté, reconnaît Nicolas Thierry. Mais, cela ne veut pas dire qu’il faut reproduire ici, en France, les pires pratiques d’élevage mais que d’autres modèles que celui intensif et industriel sont possibles ». Il rappelle aussi qu’il faudra collectivement réduire sa consommation de viande et de poisson pour rentrer dans les objectifs de lutte contre le dérèglement climatique.

Si elle sort de terre, cette usine sera la première de cette taille, en Europe.