France

Fraude fiscale : Davantage de contrôles pour les plus riches, une manière pour le gouvernement de changer son image ?

Faire payer ce qu’ils doivent aux ultra-riches et aux multinationales qui fraudent »

Non, vous ne lisez pas le dernier tract de la France Insoumise, mais bel et bien les déclarations du ministre de l’Action et des Comptes Publics, Gabriel Attal. Dans un entretien au Monde ce lundi, il a présenté une série de mesures contre la fraude fiscale : renforcement des sanctions pour les fraudes les plus graves, augmentation de 25 % du nombre de contrôles fiscaux pour les plus gros patrimoines et un contrôle fiscal tous les deux ans au minimum pour les 100 entreprises les mieux cotées en bourse.

Un ciblage en règle des plus riches assez rare en Macronie, reconnaît Alexandre Eyries, enseignant-chercheur HDR en science de l’information et de la communication à l’université de Lorraine. Le spécialiste y voit « un plan de com’ visant à contrebalancer la réputation d’être le gouvernement des ultra-riches et à redorer un peu le blason de l’exécutif, sévèrement chahuté avec la réforme des retraites ».

Dans un rapport publié en janvier 2018, l’Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE) concluait en effet qu’au bout de deux ans de réformes annoncées, « il y aurait essentiellement des gagnants » à la politique fiscale du gouvernement, mais que les ultra-riches en profiteraient bien plus que les plus modestes. Et deux mesures prises lors du premier quinquennat, la suppression de l’impôt sur la fortune d’une part, et la baisse des APL de cinq euros de l’autre, n’ont cessé de coller à la peau du gouvernement, l’exposant aux critiques de ses détracteurs.

Des annonces peu concrètes

D’ailleurs, au vu de cette réputation et de la contestation historique contre le report de l’âge de départ à 64 ans, les annonces de Gabriel Attal semblent « bien timides » aux yeux d’Alexandre Eyries. Certes, les ultra-riches sont ciblés, mais on ne parle pas dans les colonnes du Monde du retour de l’impôt sur la fortune ou d’autres mesures dont la portée aurait été plus décisive, juste « de plus de contrôles, avec des déclarations finalement très floues et peu précises. »

Pour l’économiste Thomas Piketty, les annonces seront même « totalement inefficaces », avec un gouvernement qui tape à côté du problème. « La première chose à faire dans le domaine fiscal serait d’avoir des déclarations de patrimoines préremplies par l’administration à partir du cadastre, des registres de propriété des entreprises, des comptes bancaires et des portefeuilles nationaux et internationaux, à l’image des déclarations de revenus préremplies, de façon à pouvoir vérifier automatiquement combien paient réellement les contribuables les plus fortunés et corriger la situation en fonction de ce que l’on observe. » Une précision loin des annonces du gouvernement donc.

Voler au secours de la classe moyenne

Reste qu’en ciblant les multimillionnaires, le gouvernement fait aussi un geste vers le commun des contribuables. « Ma philosophie, c’est de concentrer les efforts [sur les ultra-riches] et d’alléger la pression sur les classes moyennes », a notamment déclaré le ministre, souhaitant « alléger la pression sur le petit contribuable, le petit patron, en massifiant la régularisation plutôt que de lancer un contrôle […] Il y aura désormais remise de pénalité automatique pour la première erreur. »

Elle est là, la vraie préoccupation de l’exécutif. « Il y a un vrai choix du gouvernement depuis plusieurs semaines de s’occuper de l’injustice ressentie par les classes moyennes. Le sentiment d’être coincé entre les très riches et les classes populaires qui, elles, sont aidés, contrairement aux classes intermédiaires », indique Bruno Cautrès, enseignant du Centre de recherches politiques de Sciences po. Citons pêle-mêle comme mesure la prolongation du bouclier tarifaire, l’extension de l’indemnité carburant à plus de décile de salaire, la hausse de revenu des enseignants… Dans une autre interview à France Inter en avril, Gabriel Attal, annonçait aussi vouloir développer « un plan Marshall pour les classes moyennes ».

La valeur travail, cœur de la com gouvernementale

Difficile de faire plus clair. « Le gouvernement veut chasser l’idée que les classes intermédiaires sont toujours les sacrifiées des mesures politiques. Là, Gabriel Attal annonce clairement qu’il va cibler les plus riches en lieu et place des classes moyennes », poursuit Bruno Cautrès.

Une feuille de route qui rejoint une autre philosophie du gouvernement depuis plusieurs semaines, celle de la fameuse valeur travail, dernière pièce du puzzle pour comprendre les propos de Gabriel Attal. « Le gouvernement vise ceux qui ne travaillent pas, en imposant des heures de boulot aux bénéficiaires du RSA par exemple, mais aussi ceux dont le revenu ne peut être dû qu’au travail à la sueur de leur front, donc les ultra-riches », poursuit Alexandre Eyries. Le but : montrer que le travail des classes moyennes n’est pas vain, et que c’est ce dernier qui compte vraiment dans la France souhaitée par Emmanuel Macron.

Depuis le début de la contestation sociale, le président est fermement convaincu que les manifestations exprimaient aussi « une volonté de retrouver du sens dans son travail, d’en améliorer les conditions », et non pas qu’une opposition à la réforme, selon ses mots durant sa dernière allocution, le 17 avril. Un travail privé de toutes les connotations révolutionnaires du premier quinquennat. « Voilà longtemps que l’exécutif ne parle plus de start-up nation ou de nouvelle économie, mais simplement d’efforts », rappelle Bruno Cautrès. Mais pour renouer avec toutes les catégories de Français, « il faudra encore beaucoup de temps » conclut Alexandre Eyries.