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France – Pays-Bas : Kylian Mbappé, figure magnétique des Bleus à 24 ans, va-t-on s’en lasser?

Fashion week de Clairefontaine, lundi. Kylian Mbappé se distingue par son outfit mi-Keanu Reeves, mi-prof d’histoire, et des lunettes de soleil dont on questionne rapidement l’utilité au vu de la grisaille ambiante. « C’est le matin », justifiera l’attaquant parisien, comme si la défaite pitoyable de la veille contre Rennes lui avait filé une méchante gueule de bois. À moins qu’il s’agisse d’un moyen de garder la vue face aux projecteurs constamment braqués sur lui.

Maître du projet parisien – ou ce qu’il en reste –, voilà désormais Kylian Mbappé auréolé du statut de capitaine de l’équipe de France. Un choix logique selon Didier Deschamps, interrogé sur le capitanat dans « Tout le Sport ». « Il remplissait toutes les cases pour l’être à un moment ou à un autre. » Mais que ne partage pas une partie de nos lecteurs, certains s’inquiétant de la surexposition médiatique et de ses conséquences sur l’ego du bonhomme, qui « a déjà une cougourde à la place de la tête », comme l’écrit Pierre.

Sur cet aspect précis, le capitanat apparaît pourtant presque comme secondaire. Le responsable de sa nouvelle mise en exergue en Bleu n’est pas tant le bout de tissu autour du biceps que la vague de départs d’illustres anciens du vestiaire. Hugo Lloris, 121 fois capitaine, Raphaël Varane, son successeur naturel et Karim Benzema, encore adulé six mois plus tôt, laissent Kylian Mbappé capter l’attention médiatique et populaire tout seul ou presque. Liste à laquelle on peut ajouter officieusement Paul Pogba, une des rares figures internationales à aura médiatique suffisamment puissante pour servir d’ombrelle à l’attaquant parisien. Mais, pas de bol, la Pioche s’est dispersé entre blessures, affaires de famille et de marabout. Il reste donc Kylian Mbappé, la superstar.

Kylian MBappe et ses disciples
Kylian MBappe et ses disciples – CHRISTOPHE SAIDI/SIPA

Les images de l’arrivée de Kyks à Clairefontaine, les poignées de main de chef d’État, l’admiration lisible dans le regard des garçons de sa génération et des plus jeunes, sont sans équivoque : c’est lui le patron, lui dont on cherche l’approbation, quitte à frôler le malaise (Macron à Doha, Deschamps lundi). Et il faudra désormais s’habituer à manger Kylian Mbappé matin, midi et soir en équipe de France. Jusqu’à la boulimie ? Pas forcément.

CR7 et la Selecção, le cas le plus ressemblant

L’exemple par l’idole. Au Portugal, le caporal Cristiano Ronaldo attire l’œil de Sauron depuis une quinzaine d’années. Et à part la génération des Bernardo Silva et Bruno Fernandes, qui s’impatiente de piquer les clés du camion à papa, « personne ne s’est jamais vraiment lassé de CR7 au pays », croit savoir le commentateur portugais Luis Cristovão. La folie a pourtant atteint des sommets insoupçonnés.

De tête, on peut citer l’affaire du micro arraché par Ronaldo à un journaliste et jeté dans un lac à Lyon, avant Portugal-Hongrie (Euro 2016), puis repêché par des plongeurs portugais employés par la chaîne CMTV. Plus récemment, les plateaux d’émissions sportives ont poussé la lecture labiale à son sommet pour interpréter les mots exacts du capitaine, mécontent de sa sortie contre la Corée du Sud lors du Mondial 2022 – dont il avait dû se justifier.

La comparaison Mbappé-CR7 tient la route pour plusieurs raisons. La première, c’est l’âge. Ronaldo a 23 ans quand il hérite définitivement du brassard de capitaine de la Selecção (22 pour la première fois). La seconde, c’est le départ d’une génération dorée qui finit par le propulser au rang de leader naturel.

« Tout a vraiment commencé après l’Euro 2008 pour Cristiano, indique Cristovão. Après le départ de Figo, en 2006, il y a encore deux ans où des joueurs comme Deco ou Nuno Gomes occupent un peu d’espace. C’est après ça qu’il devient l’alpha et l’oméga du football portugais. Pendant des années, non seulement il a été omniprésent mais également essentiel sportivement. Parce qu’il était tout seul. »

Ou presque. Dans l’ombre du général, il y a toujours un homme dont on sous-estime la valeur. Pour CR7, il s’agissait de Pepe. « Il a finalement été reconnu par le public avec un peu de retard, alors qu’il a été si important pendant toutes ces années, regrette le journaliste lusitanien. La manière dont Fernando Santos en a parlé pendant le dernier Mondial a été une bonne manière de lui rendre hommage. »

À la droite de Mbappé, Didier Deschamps a voulu asseoir Antoine Griezmann. À condition que le Colchonero, blessé dans sa chair, veuille bien l’accepter. Son statut de vice-capitaine ne fait pourtant qu’officialiser une réalité médiatique et sportive : Grizou n’est pas taillé pour prendre la lumière. C’est même le drame de sa Coupe du monde 2018, applaudie par les spécialistes mais peu commentée par les novices. Le parallèle avec Pepe tient donc autant que celui entre Kyks et CR7.

Lionel Messi et l’Argentine, l’antithèse

L’autre cas de leadership total au sein d’une sélection majeure concerne évidemment Lionel Messi. « L’inverse total de Kylian Mbappé », illustre l’ancien Nantais et international albiceleste, Nestor Fabbri. « Mbappé est adulé depuis très jeune en France, il a déjà deux finales de Coupe du monde à son actif, dont une gagnée, il n’a déjà plus rien à prouver en équipe de France. C’est en club et en Ligue des champions qu’il est attendu. » À Paris il agace, avec les Bleus il se rebiffe. Combien de bouches fermées en une Coupe du monde ?

« Pour Messi, ça a très longtemps été l’inverse. Les gens lui en ont longtemps voulu, ils se demandaient comment c’était possible d’être aussi bon au Barça et pas en Argentine. » Au pays de la démesure, c’est d’abord une injustice sportive qui a fait de Messi l’homme le plus scruté de sa sélection. Puisqu’il gagnait tout en Europe, il fallait aussi le faire dans son pays. Était-ce d’ailleurs toujours le sien ?

Messi, Ronaldo et Mbappé, tous jeunes capitaines
Messi, Ronaldo et Mbappé, tous jeunes capitaines – Sofascore

Au contraire de Kylian Mbappé, qui a jusqu’ici toujours fait le choix de la France – le choix de la sécurité, dirait l’autre –, la Pulga a rapidement atterri en Espagne avant de s’y fondre, créant une forme d’éloignement avec la mère patrie. « Il y a un moment où il s’exprimait beaucoup plus dans les médias espagnols qu’en Argentine », se souvient Fabbri. Cœur ibère, jalousie argentine. En 2016, après une finale de Coupe du monde et une autre de Copa América perdues, les critiques dégoulinantes d’amertume pleuvent à son égard. D’autant que l’éternel rival vient de débloquer son compteur avec le Portugal. Épuisé, l’Argentin raccrochera temporairement.

Pour moi, dit l’ancien joueur de L1, c’est l’acte fondateur de son leadership avec l’Albiceleste. À partir de là, le public a poussé pour son retour et à partir de ce moment, il a vraiment pris en charge l’équipe. Ce qui a changé, c’est la reconnaissance du public argentin. À partir de son retour, c’est devenu un leader total. »

Au point de nous surprendre, à Doha. Après la défaite humiliante contre l’Arabie saoudite, Lionel Messi avait pris la responsabilité de prendre la foudre en zone mixte à la place de tous ses coéquipiers, qui avaient quitté le stade de Lusail, tête baissée, à la file indienne. Du jamais vu. Cinquante, peut-être cent journalistes entassés contre une barrière, dont une bonne poignée d’Argentins en colère avides d’explications et nous au milieu. « Avant, il n’aurait pas fait ça. Mais depuis la victoire en Copa América, il s’est beaucoup rapproché de l’Argentine médiatiquement, il s’exprime un peu plus auprès de la presse. Il a mûri, tout simplement. »

Charge à Mbappé d’en faire autant. Car derrière une maturité précoce de façade se cachent encore quelques sorties médiatiques incontrôlées et un amour du passif-agressif à faire grincer des dents. Les postures du style post-défaite à l’Euro 2021 ne seront plus autorisées par un nouveau statut qui l’amènera à s’exprimer davantage. Même s’il n’est pas encore dit que Didier Deschamps traîne à chaque conférence de presse un garçon à la parole hautement inflammable, à l’inverse d’un Lloris dont la tiédeur garantissait paix et prospérité. Le meilleur moyen de protéger Mbappé de la lumière reste sans doute de lui accorder un peu d’ombre dans un premier temps. Car les lunettes de soleil ne suffisent pas toujours.