France

Deep climate : Ils expérimentent leur résistance face à des conditions extrêmes

« Là où vous allez, trois secondes d’inattention, et vous êtes morts », les avait-on prévenus au Centre d’entraînement en forêt équatoriale (CEFE) de l’armée de terre en Guyane. C’était début décembre. L’explorateur franco-suisse Christian Clot et ses dix-neuf équipiers y faisaient une halte de quelques jours, le temps d’apprendre quelques bases, avant de plonger dans la forêt amazonienne.

L’immersion fût totale, sans contact avec l’extérieur. Quarante jours à remonter la rivière Mataroni, tantôt en canot pneumatique, tantôt à pied. Et autant de soirs à monter le camp et tenter de trouver le sommeil dans des hamacs, entourés de bruits pas rassurants. Le tout, sans déroger à l’essentiel : cette multitude d’expériences scientifiques à réaliser et dont les résultats ont commencé à être analysés par une quarantaine de scientifiques de quinze instituts et organismes.

Après Deep Time, Deep Climate

Car Deep Climate est bien une expédition scientifique et non la version extrême de « Koh- Lanta ». Un point commun tout de même avec l’émission de téléréalité : celui d’embarquer dans l’aventure Monsieur et Madame Tout-le-Monde. Ces « climatonautes », dix hommes et dix femmes âgés de 25 à 62 ans, sont joaillière, psychologue, auteur-conférencier, agent de sécurité, ingénieur spatial…

Christian Clot en fait l’une des forces de cette expédition. « On étudie très peu comment l’humain se transforme lorsqu’il est confronté à des conditions extrêmes et changeantes, commence-t-il. Et quand on le fait, c’est souvent en laboratoire, une fois l’expérience passée, et sur des humains superentraînés. Des militaires, des astronautes. »

Combler ce vide est le fil rouge des expéditions que lancent Christian Clot et le Human Adaptation Institute qu’il a créé. En février dernier, le Franco-Suisse avait déjà fait parler de lui en s’enfermant quarante jours dans une grotte de l’Ariège, avec quinze volontaires, pour étudier la privation de lumière et de repères spatiotemporels. « C’était Deep Time, plus tournée sur une expérience de confinement extrême telle que les explorations lunaire et martienne pourraient nous faire connaître », explique le médecin et chercheur Stéphane Besnard, membre du conseil scientifique de l’Human Adaptation Institute.

Plus que la piqûre du scorpion, l’humidité constante

Deep Climate n’est pas sur un horizon si lointain, puisqu’il s’agit d’étudier l’adaptation à des conditions représentatives de climats possibles dans un futur proche. En Amazonie, il s’agissait ainsi de plonger dans le chaud et l’humide. Bonne nouvelle : Tous sont allés au bout, quand on leur pronostiquait quelques rapatriements d’urgence. Ce ne fut pas pour autant une partie de plaisir, loin de là. Parlez-en à Gautier, piqué par un scorpion qui s’était aventuré dans son pantalon. « Heureusement, il était d’une espèce dont le venin est peu dangereux, hormis pour les enfants, et peut être neutralisé en approchant une source de chaleur près de la piqûre », raconte-t-il. On imagine tout de même l’angoisse.

Elle ne les a pas beaucoup quittés, à écouter Diane. « La mise en garde du Cefe était clairement exagérée, rigole-t-elle après coup. Mais, oui, il fallait tout de même regarder dans son sac avant d’y plonger la main ou secouer ses chaussures et ses vêtements avant de les mettre. Des petits gestes, certes, mais la charge mentale n’en est que plus lourde. » Il faut dire que, même sans sa faune, la jungle avait de quoi éprouver les corps et les têtes. Il y a ce ciel, déjà, que les aventuriers ne voyaient presque jamais plus. Et puis cette humidité de tous les instants, qui a beaucoup marqué les esprits.  « On ne se rend pas compte à quel point on est trempés, tout le temps », insiste Diane « On a eu beau faire de la prévention, passer une heure chaque jour à les sécher, on a tout de même eu des cas de mycose grave des pieds », raconte Jérémy, le médecin de l’expédition.

Dans la jungle, tout au long de l'aventure, Christian Clot et ses 19 équipiers avaient toute une série d'expériences scientifiques à mener pour scruter leur adaptation à ces conditions extrêmes.
Dans la jungle, tout au long de l’aventure, Christian Clot et ses 19 équipiers avaient toute une série d’expériences scientifiques à mener pour scruter leur adaptation à ces conditions extrêmes. – ©LucasSantucci/HumanAdaptationInstitute

Des climatonautes scrutés par la science

Christian Clot se frotte les mains de ces difficultés. « Dans nos quotidiens, on a tous des réflexes de prudence auxquels on ne pense plus à force, commence-t-il. Mais comment se recrée cette vigilance dans un milieu qu’on ne connaît pas ? Quand devient-elle réflexe, libérant ainsi de la charge mentale qui pourra être consacrée à autre chose ? questionne l’explorateur. C’est ce qui nous intéresse avec Deep Climate. » De ses travaux, l’explorateur a déjà tiré quelques certitudes. « L’adaptation n’est possible que si on accepte la nouvelle situation et si on parvient à trouver de nouvelles raisons de s’émerveiller », pointe-t-il notamment. Ces quarante jours en Amazonie ont une nouvelle fois permis d’observer cette transition. Plusieurs climatonautes évoquent ainsi leur émerveillement, peu à peu, à observer la faune amazonienne dans son milieu naturel. L’un d’eux, phobique des araignées, s’est même surpris à observer, à la lampe torche, une mygale faire sa vie.

Deep Climate ne se résume pas à ces observations de terrain, mais va beaucoup plus loin. Les climatonautes avaient une quarantaine de protocoles scientifiques à suivre. Des questionnaires à remplir chaque jour jusqu’à la prise de sang au beau milieu de la jungle, en passant par les IRM avant et après l’expédition. Il y avait aussi ces gélules à avaler pour enregistrer et suivre les températures corporelles ou ce bracelet à avoir au poignet pour enregistrer en continu leurs activités. S’ils dorment, s’ils sont réveillés, s’ils sont debout, s’ils sont assis… Même leurs interactions sociales étaient scrutées. « Avec le fablab de l’Institut du cerveau, nous avons retravaillé un boîtier mis au point par le MIT (Massachusetts Institute of Technology) qui permet de tracer une cartographie sociale des échanges pendant l’aventure, explique Christian Clot. Qui a passé du temps avec qui ? Et combien de fois ? C’est très nouveau comme outil, et nous avons bon espoir de l’améliorer d’ici au prochain départ… »

La suite en Laponie puis en Arabie saoudite

Oui, oui, vous avez bien lu. Les vingt aventuriers n’ont qu’un mois pour recharger les batteries avant de replonger dans l’extrême. Cap, fin février, sur le froid sec de la Laponie, pour quarante jours de traversée là encore. S’ensuivra un mois de repos de nouveau, avant un troisième et dernier départ, cette fois-ci pour le désert d’Arabie saoudite. « On terminera donc par le chaud et le sec », glisse Christian Clot, en rappelant que ces conditions sont celles que nous sommes le plus susceptibles de connaître à l’avenir en France. Une façon de nous inviter à nous préparer, tous, à être des climatonautes.