Belgique

Vers une limitation des allocations de chômage en Belgique ? « Les systèmes plus généreux sont associés à un taux de chômage plus élevé »

L’idée n’est pas neuve. Elle avait d’ailleurs été avancée il y a plus de 20 ans par l’un de ses prédécesseurs, Frank Vandenbroucke, aujourd’hui Vice-Premier ministre pour les socialistes flamands. Ni une ni deux : MR et Open VLD ont emboîté le pas de Vooruit pour pousser l’idée de cornaquer les allocations de chômage. Malaise au PS. Chez Ecolo aussi. Débats houleux. La fête du travail, foire d’empoignes, marquait les débuts “officiels” de la campagne électorale…

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Une première réforme en 2012

Reste cette question : une telle mesure peut-elle être efficace ? Foire d’empoignes, disions-nous…

Parce qu’il existe pas mal d’études sur le sujet. Les plus souvent citées sont celles qui ont audité la dégressivité renforcée des allocations de chômage entrée en vigueur en novembre 2012 sous le gouvernement Di Rupo. À l’époque, ce sont l’Onem et l’UClouvain (via l’Ires, l’institut de recherches économiques et sociales) qui s’y sont collés, près de 10 ans après l’application du nouveau système. Plus complexe, son objectif premier était de garder un certain équilibre entre d’une part la protection des chômeurs contre les conséquences de la perte de revenus, et d’autre part le maintien d’un incitant visant à les faire revenir sur le marché du travail. Concrètement, des demandeurs d’emploi voyaient leurs allocations de chômage augmenter pendant les trois premiers mois de chômage – pour leur donner plus de moyens de vite retrouver du boulot – avant de les voir progressivement refluer.

Résultats des courses ? Selon l’Onem, « il n’y a aucune preuve d’une incidence de la réforme sur les transitions vers l’emploi ». Autrement dit, l’étude ne permet pas de déceler une évolution à la hausse des sorties du chômage vers l’emploi. D’autant plus que “sa complexité limite l’impact de la dégressivité”, relevait encore l’étude publiée l’an dernier. « Cerise sur le gâteau » : avec 148 millions d’euros d’économie en dix ans, les répercussions sur les dépenses publiques sont marginales.

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De manière plus générale, si on regarde la problématique sur un temps long, on réalise pour toutes les prestations sociales, quand on en réduit le bénéfice, les anciens bénéficiaires se dirigent vers d’autres types d’allocations. Ça s’est vu avec les prépensions et le chômage. Aucun effet sur les finances publiques ou vraiment très relatif et annihilé par des effets secondaires”, résume François Perl, conseilleur chez Solidaris, et ancien directeur général du Service des indemnités de l’INAMI. Une étude du département d’économie de l’ULB (Dulbea) publiée en 2021, intitulée Les conséquences inattendues de la supervision de la recherche d’emploi : invalidité au lieu d’emploi ? allait dans le même sens que celle de l’Onem et de l’UClouvain : on assiste à un transfert vers le régime d’invalidité. C’est sur cette base-là que le PS a torpillé l’idée de limiter le versement des allocations de chômage…

Le fameux modèle danois

Je pense que pour donner des conseils politiques, il est préférable de s’appuyer sur des études de synthèse de la littérature scientifique plutôt que de faire du ‘cherry picking’ comme le font souvent les politiciens”, lance Stijn Baert, professeur d’économie à l’Ugent, et spécialiste du marché du travail.

Selon lui, la meilleure étude a été réalisée par l’IZA (Institute of Labor Economics), “un institut européen de référence sur l’économie du travail”, dit-il, “rédigée par un économiste américain de haut vol”. Il s’agit de Robert A. Moffitt, professeur d’économie à la Johns Hopkins University. Dans son étude, publiée l’an dernier, le professeur conclut que “les programmes d’allocations de chômage jouent un rôle essentiel dans l’économie en protégeant les revenus des travailleurs après un licenciement, en améliorant leur productivité à long terme sur le marché du travail et en stimulant l’économie pendant les récessions. Les gouvernements doivent se prémunir contre des prestations trop généreuses, qui peuvent décourager la recherche d’un emploi. Les gouvernements ont également besoin d’un système de contrôle de l’intensité de la recherche d’emploi, afin de réduire les effets secondaires négatifs sur le taux de chômage et la création d’emplois”.

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Bref, conclusion de cette littérature empirique : “les systèmes plus généreux sont associés à un taux de chômage plus élevé”, embraie Stijn Baert. Lequel estime que “oui, pour moi, la ‘carotte’ (des conseils sur mesure, l’encouragement à la formation…) et le ‘bâton’ (la dégressivité plus forte des prestations simplifiées et des sanctions lorsque l’on ne cherche pas vraiment un emploi) devraient aller de pair. C’est aussi, entre autres, ‘le modèle danois’ que tous nos ministres du travail sont allés voir en voyage d’étude il y a deux ans, d’où ils sont revenus pleins d’éloges… pour n’y changer que peu de choses par la suite”.

Les inactifs, le vrai problème ?

Cela étant, le professeur estime que l’idée est à prendre avec des pincettes. “Je peux comprendre que limiter les allocations soit tentant. Mais en même temps, notre inactivité est un problème encore plus important que le chômage en Belgique. Il s’agit des personnes qui ne travaillent pas et ne cherchent pas de travail : ils sont quelque 1,3 million de personnes âgées de 25 à 64 ans dans notre pays. Cela nous place au 23e rang des 27 pays de l’UE ! En limitant l’allocation de chômage dans le temps, nous risquons d’augmenter encore ce groupe, car si vous arrêtez l’allocation, certains ne trouveront évidemment pas de travail, de sorte que si vous les sortez des statistiques du chômage, vous les poussez en même temps dans l’inactivité”, poursuit l’expert qui préconise, comme l’OCDE, “d’introduire une base fixe d’allocation, et de la faire évoluer davantage pour les salaires les plus bas que pour les salaires les plus élevés, ce qui offre une plus grande marge de manœuvre pour les incitants financiers”.

Si on affectait aussi les moyens de contrôle de disponibilité – qui n’ont pas beaucoup d’effets retour comme le montre l’étude de l’ONEM – vers l’accompagnement, on aurait déjà des moyens supplémentaires”, conclut François Perl.

Il y a quelques jours, gouvernement fédéral et entités fédérées se mettaient d’accord sur le programme national de réforme (PNR) pour 2023 et 2024. Un document important qui se joint aux perspectives budgétaires et est envoyé à la Commission européenne pour évaluation.

“Il y a plus de malades de longue durée que de demandeurs d’emploi en Belgique”

Dans ce document de près de 200 pages, on relève, en matière d’activation des personnes inactives sur le marché du travail, que le ministre des Affaires sociales Frank Vandenbroucke, à la manœuvre depuis deux ans pour améliorer les parcours de réintégration des malades de longue durée (il y en a près de 550 000 en Belgique !), compte sur le retour au travail de 33 440 malades de longue durée en 2023 et 2024.

On peut en effet lire dans ce document que La Libre a pu se procurer qu’”afin d’augmenter et d’accélérer l’attraction des malades de longue durée en Flandre, le VDAB (l’équivalent du Forem en Flandre, NdlR), l’Institut national d’assurance maladie-invalidité (INAMI) et les caisses d’assurance maladie se sont engagés à passer à 10 000 nouveaux parcours de réintégration d’ici 2023 et 12 000 d’ici 2024 ; pour la Wallonie à 3 500 d’ici 2023 et 5 000 en 2024 ; pour Bruxelles, à 300 en 2023 et 600 en 2024, et pour la communauté germanophone, à 20 à chaque année”.

Qui s’en souvient ? En 2018, l’Open VLD avait dans un premier temps soumis l’idée de limiter le versement des allocations de chômage dans le temps à la moulinette du Bureau fédéral du Plan, qui était chargé d’évaluer les mesures des programmes des partis politiques sur le plan budgétaire. Mais elle ne figurera pas dans la liste des priorités finalement retenues.

Pourtant, en Flandre, l’idée vit depuis un certain temps déjà. “Il y avait un vrai clivage communautaire sur le sujet à l’époque », se souvient cette source gouvernementale. « In fine, pour des raisons plus politiques qu’idéologiques, cette mesure de limitation des allocations n’a pas été retenue, pour ne pas torpiller la mise en place d’un gouvernement.”

C’est le même raisonnement qui a été suivi par le Mouvement réformateur. Dans la perspective d’une coalition avec les socialistes, il eut été malvenu de mettre ce tabou sur la table… La N-VA, elle, maintiendra. Le Bureau du Plan, qui n’a pas donné suite à nos demandes de précisions, chiffrera la mesure à 1,5 milliard d’euros d’économies par an. Aujourd’hui, “avec un président du MR qui assume plus un virage à droite”, l’idée, dans un contexte de baisse des dépenses de chômage, fait de nouveau son chemin. Quatre partis la soutiennent. Mais le PS l’a répété à l’envi : une telle mesure ne passera pas avec eux au gouvernement.