Belgique

« Après le djihadisme, une autre mouvance en plein essor capte l’attention des services antiterroristes »

Avez-vous été surpris par cette opération antiterroriste ?

On est toujours un peu surpris quand on découvre une telle opération. Les tentatives d’attentats complexes, coordonnés, de plusieurs individus se font plus rares.

Sept des huit personnes interpellées ont été inculpées pour participation à un groupe terroriste, et quatre d’entre elles, plus sévèrement encore, pour « tentative d’assassinat dans un contexte terroriste ». A-t-on évité un carnage selon vous ?

C’est impossible à dire en l’état. Différents services de la police judiciaire fédérale se sont coordonnés, ce qui signifie qu’il y a eu une grosse préparation. On a démantelé un certain nombre d’individus visiblement connectés, qui auraient pu provoquer des attentats complexes et coordonnés d’une certaine ampleur. Mais on ne peut pas faire de lien immédiat entre le nombre d’individus, l’avancement des préparations et les dégâts potentiels. Par le passé, des opérations complexes ont échoué, alors que des individus sans préparation avec des moyens limités ont fait extrêmement de dégâts.

On a appris que les cibles étaient notamment des bureaux de police et Bart De Wever, en raison de l’interdiction du port de signes convictionnels aux guichets de l’administration publique à Anvers…

Aujourd’hui, les attentats tendent à être plus ciblés. Le fait de cibler permet d’envoyer un message plus précis, ce qui est le principe du terrorisme. Un attentat de type djihadiste contre la population est moins fort symboliquement qu’un attentat qui viserait un chef d’État, un ministre, une institution spécifique… On a donc moins d’attentats indiscriminés contre des civils.

On reste pourtant au niveau 2 de menace sur l’échelle de l’Ocam, ce qui est plutôt faible…

La menace terroriste est plus faible qu’il y a quelques années mais elle est toujours là. Alors qu’en 2013-2014, elle était concrète et permanente, on a évolué vers une menace plus diffuse. Mais il y a toujours un certain nombre d’individus qui représentent une menace réelle et sérieuse en Belgique.

Les autorités minimisent-elles le risque dans leur communication auprès de la population ?

Elles l’exagèrent généralement. Mais, dans le cas présent, l’approche très prudente est saine. Les autorités judiciaires ont rapidement communiqué un minimum d’informations, ce qui a permis à chacun de bien comprendre ce qui se passait, en évitant les spéculations inutiles. J’ai ensuite été surpris du peu d’informations qui ont filtré.

Quel est le profil de ces radicaux ?

On sait que l’un des jeunes interpellés à Eupen avait été arrêté pour des faits lorsqu’il était mineur et avait prêté allégeance à l’État islamique à l’époque. On peut en déduire qu’on est sur une tentative d’attentat de type djihadiste. Dans ce cas-là, ce n’est pas une action isolée comme on a pu le connaître ces dernières années en Belgique, mais c’est pour autant impossible de parler de cellule à ce stade.

La Belgique reste-t-elle une cible privilégiée des djihadistes ?

La Belgique n’est pas plus une cible que ses voisins, l’Allemagne et la France notamment. Par contre, on a été particulièrement touché par le phénomène des combattants attirés par la Syrie ou l’Irak, qui restent sur les radars des services de l’antiterrorisme. Environ une centaine de personnes a été empêchée de partir et une autre centaine est rentrée. Ceux qui n’ont pas encore réussi à rejoindre la Syrie ou l’Irak sont potentiellement plus inquiétants. Ils n’ont pas pu se rendre compte des réalités du terrain et restent dans une espèce de fantasme par rapport au projet de califat. Ils sont donc plus susceptibles de passer à l’acte que ceux qui sont revenus et qui, en général, sont désillusionnés, traumatisés.

De plus, il y a le contexte particulier du procès des attentats de 2016 qui se tient en ce moment. Ce genre de grands procès a toujours été considéré comme une cible potentielle.

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Les mosquées sont-elles des lieux de radicalisation en Belgique ?

Non, elles ne l’ont jamais vraiment été. Certaines étaient plus radicales, sans pour autant être des lieux où l’on appelle au terrorisme. Mais, autour de celles-ci, pouvaient graviter des individus qui cherchaient à recruter. Les choses se passaient plutôt dans des garages, lors de dîners… Aujourd’hui, le premier lieu de radicalisation et de recrutement, c’est internet, et notamment les messageries cryptées. Les attentas potentiels sont l’acte d’individus isolés, fragiles psychologiquement et très présents sur internet.

Les policiers doivent donc s’engouffrer dans ces messageries pour les traquer…

Il n’y a plus le choix. Si on ne le fait, on est aveugle face à la menace. Beaucoup d’échanges se font sur les messageries cryptées. Un certain nombre d’individus ont encore des profils ouverts ou semi-ouverts qu’ils utilisent pour continuer à recruter puis réorienter leurs cibles vers des chaînes comme Télégramme.

Un policier lors d'un exercice anti-attentat
Un policier lors d’un exercice anti-attentat ©Belga

Les prisons sont-elles des lieux d’enrôlement pour le djihad ?

Oui, c’est clair. Mais, en Belgique, depuis 2015, il existe une stratégie de surveillance de la radicalisation en prison. Ces mécanismes permettent de détecter davantage les phénomènes problématiques. Quant aux individus condamnés pour terrorisme qui ont été relâchés, ils continuent d’être surveillés et suivis par les services antiterroristes. Cela n’annihile pas complètement le risque qu’un individu poignarde des gens, car tous ne peuvent pas être filés en permanence. Mais il est tout à fait exceptionnel qu’un individu condamné pour terrorisme commette un nouvel acte terroriste après sa sortie de prison.

Comment l’expliquer ?

Par l’efficacité des services antiterroristes, par la longueur des peines, mais aussi par le fait que le terrorisme soit un phénomène de jeunes. Mais cela ne veut pas dire qu’ils vont tous abandonner leurs idées. Certains resteront des radicaux. Mais ont-ils encore envie de s’engager dans des activités terroristes alors qu’ils savent être surveillés, alors qu’ils ont déjà passé des années en prison, alors que la vie en clandestinité est extrêmement pesante… ? Certains ont peut-être pris le temps de réfléchir et ne sont plus prêts à mourir pour la cause…

On parle souvent de radicalisation djihadiste ou islamiste. Quels sont les autres types de radicalisme à surveiller de près ?

Si on regarde la France, l’Allemagne et les Pays-Bas par exemple, on voit très bien que la menace de l’extrémisme de droite est en essor. Un certain nombre d’attentats de ce type ont été déjoués, et les services antiterroristes y accordent davantage d’attention. Le nombre d’individus radicalisés ou arrêtés pour des liens avec l’extrême droite est en croissance exponentielle, alors que le nombre d’individus en lien avec le djihadisme est plutôt en déclin, même s’il reste plus élevé.

Ce qu’on appelle l’extrémisme anticonstitutionnel ou antigouvernemental est une autre mouvance en plein essor, qui capte de plus en plus l’attention des services antiterroristes dans la plupart des pays européens. Ce sont des mouvements alimentés par différentes théories du complot, fortement mobilisés autour de la vaccination contre le Covid. En Belgique, bizarrement, on a plutôt été épargné par ces menaces.

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Ces radicaux-là sont-ils plus difficiles à repérer par la Sûreté de l’État ou la police ?

Oui, car cette mouvance-là n’est pas structurée autour de groupes clairs tels Al-Qaïda, l’État islamique ou Blood and Honour pour l’extrême droite, et elle n’est pas automatiquement violente. Il s’agit plutôt d’individus au sein de ces mouvements qui vont s’orienter vers des actions violentes.

Ce qui est difficile pour les services antiterroristes, c’est de savoir si cette mouvance est fondamentalement liée à du terrorisme, ou si c’est une question de travail social, d’engagement démocratique et de lien avec le citoyen, etc. Ce sont presque des questions éthiques. En Belgique, ces mouvements regroupent des dizaines de milliers d’individus, soit beaucoup plus que la menace classique djihadiste. Les profiler demanderait beaucoup plus de travail.

L’augmentation du terrorisme d’extrême droite est-elle une réaction au terrorisme islamiste ?

Les extrémismes se répondent toujours. Depuis une quinzaine d’années, avec l’émergence du djihadisme global, des mouvements terroristes d’extrême droite se sont réorganisés, en réaction à la menace perçue. Anders Breivik, qui a commis le massacre d’Utoya en 2011, est considéré comme une figure de la nouvelle vague de l’extrémisme de droite en Europe. Il avait développé tout un manifeste du contre-djihad. Les groupes djihadistes et d’extrême droite se suivent de très près, s’infiltrent parfois sur les réseaux sociaux, se jalousent parfois aussi, et s’inspirent les uns des autres.

Anders Behring Breivik a tué 77 personnes en juillet 2011.
Anders Behring Breivik a tué 77 personnes en juillet 2011. ©Photo News

L’antiterrorisme est-il suffisamment staffé en Belgique pour suivre tous ces profils ?

On a connu de réels investissements ces dernières années à tous les niveaux. On est donc beaucoup plus équipé qu’il y a 15 ans alors que la menace est plus faible. On est donc dans une position plus forte. Mais, quoi qu’on fasse, on ne pourra jamais empêcher tout acte terroriste. La menace d’attentat peut aujourd’hui émaner du djihadisme, de l’extrême droite et de l’anti-institutionnalisme, ce qui représente potentiellement beaucoup plus d’individus. La politique de sécurité consiste à développer des méthodologies qui permettent d’identifier d’où viendra le plus probablement la menace et de se focaliser sur ces individus-là. Il faut donc accepter de n’avoir qu’un œil, voire de fermer les yeux sur d’autres individus. La lutte antiterroriste implique donc une certaine prise de risque.