Suisse

Pape François: «Le pire ennemi de l’homme, ce sont ses poches»

Jorge Maria Bergoglio, le premier Sud-Américain à s’asseoir sur le trône de saint Pierre. RSI-SWI

L’argent, ou plutôt son mauvais usage, voilà ce qui éloigne l’être humain de Dieu et le pousse, entre autres, à faire la guerre, déclare le pape François dans une longue interview à la radiotélévision suisse.

Ce contenu a été publié le 12 mars 2023


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venuLien externe récemment au Vatican; c’est le second de Cyrille, un brave garçon, qui était prêtre à Rome. Il est venu avec une lettre de Cyrille. Nous gardons toujours le contact avec eux, avec les patriarches orthodoxes. Avec Bartholomée, nous sommes frères. Le copte Théodore II, un homme de Dieu, est un bon patriarche. Mais j’ai de bons contacts avec tout le monde.

Quelles sont les autres guerres qui vous touchent le plus?

Le conflit au Yémen, qui dure depuis plus de dix ans. La Syrie, également depuis plus de dix ans. Les pauvres Rohingyas du Myanmar qui souffrent. Pourquoi ces souffrances, alors que la paix est si belle et qu’elle permet d’avancer? Les guerres font mal. Ce n’est pas l’esprit de Dieu qui guide une guerre; je ne crois pas aux guerres saintes.

Même si, dans le passé, certains y ont cru.

Oui, mais c’est une autre époque de l’histoire.

Benoît XVI a commencé et vous avez continué le travail concernant les abus sexuels commis par des prêtres sur des mineurs. Mais pourquoi le problème persiste-t-il, malgré les progrès réalisés?

Nous sommes humains. Connaissez-vous les statistiques? Elles sont terribles: 40% des abus ont lieu au sein de la famille et dans les quartiers. C’est encore le cas aujourd’hui. Puis il y a le monde du sport, celui des écoles… Quant aux abus commis par des prêtres catholiques, ils représentent 3% des cas. Est-ce peu? Non, c’est trop! Même s’il n’y en avait qu’un, ce serait une brutalité, car le prêtre est là pour faire grandir, pour sanctifier et non pour ruiner une vie par des abus.

Ce n’est pas facile. Parfois, on lance de fausses accusations et vous devez faire preuve de discernement. Parfois, elles sont vraies et il faut agir. Nous avons également pris des décisions avec certains évêques. Lorsqu’un abus se produit, il faut mener l’enquête. Depuis le scandale de Boston, où tout a commencé, jusqu’à aujourd’hui, l’Église a évolué.

Il y a trois mois, j’ai eu une réunion avec des membres d’un groupe travaillant au Brésil. Ils m’ont dit qu’il y avait un taux d’abus de 46% au sein des familles. Mais on cache les choses; on fait aujourd’hui dans le cadre de la famille ou des quartiers, la même chose que ce que faisait l’Église autrefois. Désormais, l’Église ne cache plus les choses; il y a des accusations et des misères humaines, si nombreuses, des péchés des prêtres et des évêques, mais nous devons agir. Dieu est plus grand que cela. Dieu ne nous pardonnera pas si nous n’agissons pas.

Vous avez à plusieurs reprises reçu des victimes. Que leur dites-vous?

Je les écoute. Une fois en Irlande, c’était beau. Il y avait six ou sept adultes, chacun avec son histoire. Ils avaient été abusés dans leur enfance. Je devais demander pardon dans l’homélie du lendemain et je leur ai proposé de faire cette homélie ensemble. Cette rencontre a été magnifique, parce qu’ils m’ont aidé à comprendre le mystère de tout cela. Ils sont braves avec la souffrance qu’ils apportent.

Une autre fois est venu un groupe d’hommes anglais qui avaient été abusés dans un pensionnat. Aujourd’hui, ils sont âgés, mais ils avaient été abusés dans leur enfance. À l’époque, on cachait tout. C’est une misère humaine.

L’une des choses que je ne peux pas comprendre, c’est la pédopornographie en ligne. Ils se filment en direct. Savez-vous dans quel pays cela se fait, dans quelle ville? Personne ne le sait. Les services secrets ne peuvent-ils pas savoir où cela se passe? Vous pouvez le regarder depuis votre téléphone portable et cela sème le mal en vous. Vous voyez comment un enfant est abusé, avec les choses les plus sales. C’est un appel à tout le monde: si vous savez que cela se passe, dénoncez-le. C’est important.

Accueil du pape par le président de la Confédération de l’époque, Alain Berset, lors de la visite de François en Suisse en juin 2018. © Keystone / Peter Klaunzer

Quelle est votre idée de la Suisse?

La Suisse a sa propre personnalité, mais elle est universelle. Quand la Suisse reste neutre dans les guerres, cela ne veut pas dire qu’elle s’en lave les mains; c’est une vocation d’équilibre, d’unité. J’aime bien les Suisses. C’est curieux: chaque région a sa propre personnalité. Je le constate ici parmi les gardes. Ceux du Tessin sont plus proches de nous; ceux de Genève sont plus français; ceux du côté allemand ont une personnalité différente, mais ils sont braves. Les Suisses ont une belle humanité.

La Suisse a aussi été un terrain fertile pour la Réforme. À la base, Luther et Calvin voulaient réformer l’Église, la purifier. Aujourd’hui encore, le protestantisme a cette vocation dans son ADN. Qu’en pensez-vous?

Je crois que l’Église a toujours besoin d’être réformée. Cette maxime, Ecclesia sempre reformanda est… Les saints voulaient la même chose. Luther et Calvin étaient des hommes de bonne volonté. Mais c’était des moments difficiles, qui ont provoqué cette rupture entre les Églises. Aujourd’hui, grâce au dialogue œcuménique, nous nous réconcilions, comme des frères. Grâce à Dieu, nous pouvons prier ensemble, nous pouvons faire la charité ensemble, nous pouvons cheminer ensemble, lentement…

Et puis les théologiens étudient pour apporter l’unité. Il existe un grand théologien orthodoxe, décédé il y a quelques jours, Ioannis Zizioulas, qui a présenté ici l’encyclique Laudato si. Ce grand théologien, spécialiste de l’eschatologie, disait: «Nous faisons le bien, nous prions et nous cheminons ensemble, mais que les théologiens étudient». À la question de savoir quand ils se mettront d’accord il répondait: «Peut-être dans l’eschatologie». Il avait le sens de l’humour. Mais l’important est de cheminer ensemble, comme des frères. Ne nous battons pas, mais faisons le bien ensemble et prions ensemble.

Traduit de l’italien par Olivier Pauchard

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