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«La Suisse pourrait faire beaucoup plus en matière de gouvernance mondiale de l’IA»

La Suisse pourrait jouer un rôle central en contribuant à rendre l’utilisation et l’application de l’IA plus sûres, plus transparentes et plus éthiques. Mais cette question n’est pas encore suffisamment prioritaire dans son agenda. Afp Or Licensors

Les discussions sur la gestion de l’intelligence artificielle figureront en bonne place à l’ordre du jour de l’édition 2024 du Forum économique de Davos. En l’absence d’ONG et de la plupart des pays en développement, la Suisse pourrait jouer un rôle de médiatrice pour promouvoir des réglementations plus inclusives, estiment deux expertes du numérique.

Ce contenu a été publié le 12 janvier 2024 – 09:15




décretLien externe sur le développement et l’utilisation sûrs et fiables de l’IA par les États-Unis. De même, le débat s’est beaucoup plus orienté vers une réglementation contraignante. C’est une étape que je ne m’attendais pas à voir si rapidement. Par le passé, les États-Unis se sont montrés plutôt prudents quant à l’adoption d’une réglementation globale concernant leurs géants de la technologie. 

La course mondiale à la réglementation de l’IA s’accélérant, il y a beaucoup de place au WEF pour discuter de la manière dont les différents régimes de gouvernance s’entremêlent et pourraient être harmonisés en vue d’un cadre mondial.

Quelle est la place de la Suisse dans cette course mondiale? Dans un documentLien externe récent pour le groupe de réflexion sur la politique étrangère Foraus, vous avez écrit que la Suisse devrait faire plus pour promouvoir la gouvernance mondiale de l’IA.

N.P.: La Suisse observe et contribue déjà aujourd’hui au débat, mais elle pourrait faire beaucoup plus. D’un point de vue politique, la question devrait figurer en tête de l’agenda et des priorités du pays en ce qui concerne ses efforts dans le domaine du numérique.

Le rôle de la Suisse dans la réglementation mondiale de l’IA

En tant que non-membre de l’Union européenne, la Suisse n’a pas été impliquée dans la définition du règlement européen sur l’IA (AI Act). Cependant, la Suisse participe activement à divers forums internationaux et processus de gouvernance sur l’IA. Elle préside par exemple le Comité sur l’IA (CAI) du Conseil de l’Europe, qui élabore actuellement une convention mondiale juridiquement contraignante sur l’intelligence artificielle, les droits de l’homme, la démocratie et l’État de droit. 

La Suisse co-organise également, avec l’Union internationale des télécommunications (UIT) et d’autres organisations de l’ONU, le sommet AI for Good, qui se tient chaque année à Genève. Début novembre, le conseiller fédéral Albert Rösti a participé au premier sommet international sur la sécurité de l’IA organisé par le Royaume-Uni et a discuté de la question avec des ministres et des ministères de différents pays.

La Suisse s’est toujours prononcée contre une réglementation contraignante en matière d’IA. Mais fin novembre, le gouvernement suisse a annoncé qu’il examinerait des approches réglementaires en accord avec la législation européenne et la Convention du Conseil de l’Europe sur l’IA. 

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Pouvez-vous nous donner quelques exemples? Quelles ressources uniques la Suisse pourrait-elle exploiter pour contribuer de manière décisive à l’élaboration de lignes directrices mondiales en matière d’IA?    

Salomé Eggler est auteur pour le groupe de réflexion suisse sur la politique étrangère Foraus et dirige le Digital Transformation Centre Kenya, une initiative financée par l’UE et l’Allemagne. Salomé Eggler

S.E.: La Suisse a plusieurs atouts dans sa manche. L’IA étant une technologie sans équivalent, les approches traditionnelles de gouvernance ne permettent pas de relever les défis posés par l’IA. Une réflexion innovante est nécessaire. Nous devons définir un cadre réglementaire qui prenne en compte les risques concrets de l’IA tout en étant suffisamment souple pour s’appliquer à une technologie évolutive comportant de nombreuses inconnues. Ce n’est pas une tâche facile. Mais la Suisse est un écosystème riche en innovation et en idées nouvelles, et sa diplomatie a les moyens d’emprunter des chemins inexplorés.

Par exemple, en s’appuyant sur son image bien connue de démocratie directe, la Suisse pourrait rendre le débat sur la gouvernance mondiale de l’IA plus participatif et donner aux gens la possibilité de s’exprimer sur la manière dont les systèmes d’IA sont utilisés, par qui et dans quel but. En effet, bien que les gens – en tant qu’utilisateurs finaux – soient les plus touchés par la technologie, ils n’ont jusqu’à présent pas été entendus dans une large mesure. 

N.P.: Le pays pourrait également fournir une plateforme neutre pour le débat mondial sur la gouvernance de l’IA, en particulier lorsqu’il s’agit de sujets contestés, où les motivations géopolitiques autour de la suprématie de l’IA jouent un rôle, par exemple entre les États-Unis et la Chine. En tant que pays neutre, la Suisse est déjà bien connue dans le monde entier comme médiatrice entre différentes parties et différents intérêts. Elle pourrait également jouer ce rôle dans le contexte de l’IA, en servant de médiatrice entre les groupes d’intérêt, mais aussi entre les pays qui ont des points de vue différents sur la manière dont la technologie devrait être gouvernée. 

En raison de son histoire et du fait qu’elle accueille à Genève un large éventail d’organisations internationales telles que les Nations unies, mais aussi de nombreuses ONG, la Suisse pourrait également s’efforcer de faire de la Genève internationale le point de convergence d’une gouvernance multipartite de l’IA au niveau international. 

Outre Genève, Davos et le WEF tentent également de se positionner en tant que centre de gouvernance mondiale de l’IA. L’année dernière, le WEF a fondé l’AI Governance Alliance et a organisé plusieurs événements dans ce but. Y a-t-il une concurrence entre le monde des organisations internationales à Genève et le monde des affaires à Davos pour façonner l’IA du futur? 

N.P: Il s’agit de deux approches complémentaires. À Genève, des organisations internationales, des ONG et des universitaires travaillent sur la gouvernance de l’IA. Et puis il y a le WEF, également basé à Genève, dont la réunion annuelle a lieu à Davos et qui rassemble principalement des représentants du secteur privé et des gouvernements.

C’est pourquoi je pense que le WEF peut jouer un rôle crucial dans l’élaboration et la promotion de la gouvernance mondiale d’une technologie dont le développement est entre les mains de grandes entreprises technologiques, loin de la portée des gouvernements centraux.

Les entreprises d’IA doivent être incluses dans la conversation sur la gouvernance de la technologie qu’elles développent et déploient. Elles doivent jouer leur rôle en garantissant une utilisation responsable et transparente de l’IA. La rencontre annuelle de Davos permet d’examiner des solutions très concrètes et de discuter du rôle et des responsabilités du secteur privé. 

Pourtant, le WEF continue de faire l’objet de nombreuses critiques, principalement parce qu’il est considéré comme un événement «élitiste» réservé à quelques magnats du monde des affaires et à des dirigeants fortunés provenant principalement de pays développés. Peut-on donc s’attendre à ce que le WEF permette de réaliser de réels progrès en matière de gouvernance mondiale de l’IA?

S.E.: Il est vrai que le WEF n’a pas été assez inclusif dans le passé. Si nous voulons parler d’obligation de rendre des comptes et de responsabilité, nous devons le faire à l’égard de tous les citoyens du monde et pas seulement de quelques-uns.  

En ce qui concerne les progrès à attendre du WEF cette année, il est certain que nous ne résoudrons pas le problème de la gouvernance mondiale de l’IA à Davos. Le WEF n’est qu’une petite pièce du puzzle; il est très peu probable qu’une solution ou un instrument uniques pour gouverner cette technologie à l’échelle mondiale émerge de sitôt. 

N.P.: La critique est justifiée. Dans un monde fracturé avec de multiples crises mondiales, du changement climatique, des conflits et de la polarisation à l’impasse de notre système multilatéral, les problèmes ne sont pas résolus aussi rapidement qu’ils le devraient. Le fait que différents acteurs clés se réunissent au WEF est puissant, mais un véritable changement nécessite l’inclusion de toutes les perspectives et la volonté politique d’agir. Sinon, il ne s’agit que de belles paroles sans conséquences.  

Texte relu et vérifié par Virginie Mangin, traduit de l’anglais par Olivier Pauchard

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