Suisse

Comment prévenir les conflits de l’eau au cœur de l’Europe

Avec le réchauffement climatique, l’eau qui s’écoule des Alpes suisses vers les pays voisins peut diminuer à certaines périodes de l’année. Keystone / Arno Balzarini

Berceau de quelques-uns des grands fleuves européens, la Suisse veut retenir davantage d’eau pour sa production d’électricité. Mais la France comme l’Italie ont elles aussi besoin de l’or bleu coulant des Alpes suisses. Comment concilier ces besoins discordants?

Ce contenu a été publié le 02 juillet 2023




CIPRALien externe), une ONG vouée à la sauvegarde du patrimoine naturel et culturel alpin.

Les volumes d’eau amenés à couler de la Suisse vers d’autres pays européens vont diminuer, avant tout l’été. Or c’est précisément durant les mois les plus chauds que la France et l’Italie ont le plus besoin de cette eau, notamment pour l’irrigation des cultures. La Suisse pour sa part souhaite la stocker pour la production d’électricité. 

Une situation qui, aux yeux du gouvernement helvétiqueLien externe, comporte «un important potentiel de conflit», à la lumière notamment du réchauffement climatique. C’est pourquoi il renégocie les accords et conventions internationales relatives à la gestion de l’eau avec ses voisins. Cela sera-t-il suffisant?

L’eau suisse dans les cours d’eau européens

La Suisse détient quelque 6% des réserves d’eau douce du continentLien externe. Dont une partie sous la forme de neige et de glace. Les sources du Rhône, du Rhin et de l’Inn, un affluent du Danube, sont situées dans la chaîne alpine. En Italie, le Pô est lui aussi alimenté par l’eau qui descend des montagnes helvétiques.

La contribution des eaux arrivées de Suisse au débit total des grands fleuves européens varie en fonction des précipitations et de l’intensité de la fonte des neiges et de la glace. En moyenne, cette quote-part atteint chaque année environ 1% pour l’Inn, 10% pour le Pô, 20% pour le Rhône et 45% pour le Rhin, selon les données de l’Office fédéral de l’environnement (OFEV).

Kai Reusser / swissinfo

La régression des quantités de neige et de glace dans les Alpes affecte les régions en aval. Entre 1960 et 2022, le débit minimal du Rhône à la sortie du lac Léman, sur la frontière franco-suisse, a diminué de 7%, selon une étudeLien externe de l’Agence de l’eau Rhône Méditerranée Corse, publiée en mars. A Beaucaire, en Camargue, à proximité de delta du fleuve, la contraction atteint 13%.

Du fait de la hausse des températures et de la nécessité d’irriguer des terres agricoles toujours plus sujettes à la sécheresse, le débit estival moyen du Rhône à Beaucaire pourrait encore fondre de 20% ces trente prochaines années, prévient l’étude.

De quoi impacter la navigation, l’agriculture, les écosystèmes, les ressources en eau potable et même la production d’énergie. En France, l’eau du Rhône est utilisée dans une vingtaine d’implantations hydroélectriques et le refroidissement des réacteurs de quatre centrales nucléaires.

Plus d’eau pour l’électricité en hiver

Or, la Suisse elle aussi a besoin de l’eau pour sa production hydroélectrique. Le pays produit presque deux tiers de son électricité au moyen de l’énergie hydraulique.

La Confédération ne veut ni manquer d’eau ni se retrouver avec un réserve hydroélectrique insuffisante en hiver, moment où le demande en électricité est la plus forte. Fin 2021, les représentants-e-s des autorités fédérales et cantonales, des compagnies d’électricité et des organisations de protection de l’environnement se sont entendu-e-s sur la réalisation de quinze nouveaux projets hydroélectriquesLien externe. Le plan prévoit la construction de deux nouveaux barrages dans les Alpes. Dont un situé dans la région du Cervin.

«L’objectif est clairement celui de retenir davantage d’eau pour l’hiver, explique Kaspar Schuler. Les grandes villes de la région alpine comme Milan, Lyon ou Munich profiteront elles aussi de cette production hydroélectrique. Cependant, l’eau en question servira également à l’irrigation et à la production de neige artificielle en Suisse, relève le président de la CIPRA.

Boire l’eau des toilettes

Comme pays source, la Suisse a une responsabilité toute particulière dans la gestion de l’eau, affirme à swissinfo.ch le président du Conseil mondial de l’eauLien externe, une organisation internationale promue par les principales multinationales de l’eau. Il en va de même pour les pays en aval, qui doivent la gérer de manière appropriée, ajoute Loïc Fauchon.

«Des tensions pourront intervenir ici ou là, mais cela n’ira pas plus loin»

Loïc Fauchon, Conseil mondial de l’eau

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«En Europe, nous sommes habitués à coopérer en matière d’eau. Des tensions pourront intervenir ici ou là, mais cela n’ira pas plus loin», soutient le Français, pour qui il sera crucial d’augmenter les capacités en réserve du précieux liquide.

Face au changement climatique et aux évolutions démographiques, nous devrons aussi consommer moins d’eau et de façon plus efficace, estime Loïc Fauchon. Une solution est de réutiliser les eaux usées pour l’irrigation mais aussi l’approvisionnement domestique. Dans ce sens, un projet piloteLien externe vient de commencer en France. Une technologie avancée permet de transformer les eaux usées, celles des toilettes notamment, en eau potable.

Revoir les accords internationaux

Depuis des décennies, conventions et traités régissent la coopération entre la Confédération et les États européens en matière de gestion transfrontalière des ressources hydriques et des lacs internationaux.

Ces ententes seront revues et d’autres verront le jour en vue d’une meilleure adaptation aux exigences du changement climatique, indique Rebekka Reichlin, porte-parole de l’OFEV, dans un courriel. Suisse et France par exemple travaillent à «un accord-cadre créant une commission binationale relative à la coopération sur les eaux transfrontières du Rhône».

Berne et l’Italie se penchent également sur l’accord de régulation des niveaux du Lac Majeur, en vigueur depuis les années 1940. Périodiquement au centre de la controverse, cette entente est source de tensions entre les régions concernées des deux pays. En juin 2022, la Lombardie a réclamé du canton du Tessin et des autorités suisses qu’elles laissent couleur davantage d’eau du Lac Majeur vers la rivière Tessin et le Pô. Objectif: soutenir une agriculture épuisée par la sécheresse. Demande déclinée en raison de la faiblesse des réserves en eau dans les réservoirs alpins tessinois.

Ce qui s’est passé l’an dernier entre la Suisse et l’Italie devrait servir d’avertissement, juge Kaspar Schuler. «La coopération ne fonctionne pas de manière optimale.» A ses yeux, la gestion transfrontalière des eaux devrait devenir une priorité.

Le président de la CIPRA en appelle à davantage de conférences internationales sur la question, à la constitution de groupes de travail ad hoc et à des entretiens diplomatiques de haut niveau. «La gestion de l’eau ne peut se cantonner aux frontières nationales. Elle doit englober l’entier du système hydrique, de la source au delta.»

(Traduit de l’italien par Pierre-François Besson)

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