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Sergiy, résistant ukrainien: « Il est impossible de parler de l’avenir du pays, tant qu’il y aura des occupants sur notre territoire »

Lorsque la police a commencé à quitter la ville, j’ai décidé de rester”, raconte-t-il. Un choix qui mettait sa vie en danger. “Je suis un ancien membre de l’opération antiterroriste (menée contre les séparatistes prorusses dans le Donbass entre 2014 et 2018, NdlR), dont les vétérans étaient généralement torturés et tués par les Russes. Mais ça ne me faisait pas peur.”

Des missions sous couverture

Sergiy habite à Chornobaïvka, un village où les troupes russes, basées à l’aéroport de Kherson, subiront de nombreuses pertes matérielles et humaines lors de l’occupation. Le jeune homme, marié et père d’une petite fille, était inspecteur-sniper dans la police spéciale. Le 24 février 2022, lorsque Moscou a envoyé ses soldats envahir son voisin, il s’est rendu au pont Antonivsky où des batailles faisaient rage entre troupes russes et ukrainiennes. “C’était un vrai déluge là-bas. J’y suis allé pour apporter des vivres à nos gars mais, quand je suis arrivé, il y avait de nombreux morts et blessés. J’en ai évacué certains, pour les emmener à l’hôpital de Mykolaïv.”

Le 2 mars 2022, les forces russes prenaient le contrôle de Kherson, de Chornobaïvka, ainsi que de la route menant à la ville de Mykolaïv, plus au nord. Sergiy et le chef de son village ont alors formé un groupe de 120 volontaires pour traquer les maraudeurs. Mais, dans les quelques semaines qui ont suivi, ils ont commencé à être activement recherchés par les occupants russes. C’est alors que Sergiy et deux de ses compagnons se sont engagés dans la résistance, en appui des forces armées ukrainiennes situées dans la région de Mykolaïv et de Kherson.

Leur première mission fut de récupérer des armes abandonnées par les troupes ukrainiennes lors de leur retrait. “Mes deux compagnons connaissaient l’emplacement d’un dépôt d’armes laissé par nos soldats. Quand on y est allés, on s’est retrouvés sous des tirs de l’armée russe. J’ai eu de la chance de m’en sortir. Une balle a traversé la vitre de ma voiture, près de ma tête”, raconte-t-il.

Dans la région de Kherson, The Predators participent à la libération du Sud

Il s’est ensuivi une série d’autres missions délicates. Sergiy s’est d’abord fait passer pour un bénévole apportant de l’aide aux civils de la région. Ce qui lui a permis de transmettre des informations aux troupes ukrainiennes en repérant les positions russes, en dessinant des schémas pour situer des barrages routiers, des champs de mines, des convois de chars, etc. “J’ai collé une croix médicale à ma voiture et je l’ai chargée des vivres pour que ce soit crédible. Je disais que j’allais dans les villages pour livrer de l’aide. Quand il y avait une nouvelle rotation de troupes, je devais obtenir des informations sur la nouvelle brigade russe présente et ses équipements. Je me rendais simplement aux check-points avec une bouteille de vodka pour parler aux soldats. Ils étaient prêts à tout pour un peu d’alcool, c’était incroyable.”

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J’ai collé une croix médicale à ma voiture et je l’ai chargée des vivres pour que ce soit crédible.

Et quand il n’avait pas de mission subversive à effectuer, Sergiy apportait réellement de l’aide humanitaire aux personnes âgées et vulnérables, par ses propres moyens.

Des crimes de guerre à Kherson

L’occupation de Kherson s’est révélée particulièrement douloureuse pour de nombreux Ukrainiens. Tirs à bout portant, tortures, déportations : la ville a connu son lot de crimes de guerre commis par les troupes russes.

Sergiy en témoigne. Alors que des civils tentaient de quitter la ville, des Russes auraient tiré sur leur convoi, tuant cinq hommes, deux femmes et, selon lui, un enfant de 10 mois. “Ils tentaient juste de partir. Après leur avoir attaché les mains et les pieds, ils leur ont tiré dessus, puis les ont enterrés dans un fossé. On est allés récupérer les corps. En plus de tuer des civils, ils en ont emmené beaucoup en Crimée, prétextant qu’ils aidaient les forces ukrainiennes. Il suffisait d’avoir une simple photo ou même l’application DIIA (qui permet aux Ukrainiens d’obtenir des documents administratifs en ligne, NdlR) sur son téléphone pour se faire embarquer. D’autres ont été battus, torturés, tués”, rapporte Sergiy.

La Mobile Justice Team, une équipe d’avocats ukrainiens et internationaux, a annoncé au mois de février dernier, dans une interview au Guardian, que vingt salles de torture avaient été découvertes à Kherson, dirigées et financées par l’État russe afin d’éliminer toute résistance et identité ukrainiennes. Les personnes qui avaient un lien avec l’État ukrainien, les activistes, journalistes, professeurs ont été emprisonnés, soumis à des tortures, forcés de répéter des chants prorusses. Plus de 1 000 personnes ont pu être auditionnées dans le cadre de cette enquête, tandis que près de 400 sont encore portées disparues. “Ces Russes ne peuvent pas être considérés comme des militaires : ils ne respectent même pas les règles de la guerre”, jure Sergiy.

À Velyka Oleksandrivka, la vie de Sergiy après les tortures russes

Aussi, certaines missions du résistant consistaient-elles à éliminer des Russes et certains de leurs collaborateurs. Il avait pris toutes les précautions pour que personne n’identifie sa véritable identité et ne le trouve. Une semaine après l’invasion, il a rejoint sa femme et sa fille qui avaient déjà déménagé chez une amie de Kherson.

La famille sous pression

Mais, “un jour de mission dans le village de Chornobaïvka, j’ai voulu tuer un collaborateur. Je suis allé chez lui, je lui ai mis le pistolet sur la tempe, mais je n’ai pas tiré. Ses deux enfants, de 3 et 4 ans, venaient d’entrer… Alors je l’ai laissé en vie, mais cela a eu de graves conséquences, parce que j’ai été découvert. Il a commencé à me suivre, à collecter des informations sur moi. Le 30 avril, j’ai pris la décision de partir.” Il a fui Chornobaïvka en soudoyant des soldats russes plantés aux check-points.

“Les Russes ont fouillé partout : ma maison, celle de ma grand-mère, celle de mes parents. Heureusement, ils ne m’ont jamais trouvé… ”, raconte-t-il. “J’ai bien fait de suivre mon intuition. Pas plus tard que le lendemain, à 4 heures du matin, un peloton de militaires des forces spéciales russes est arrivé avec des mitrailleuses de gros calibres pointées sur la maison où habitent mes parents. La zone, dans un rayon de quatre rues, a été encerclée au cas où je résisterais. Le FSB (Service fédéral de sécurité russe, NdlR) est venu, ses gars ont embarqué mon père. Ils l’ont battu mais, Dieu merci, ils l’ont relâché après un jour.”

Les malheurs de la famille de Sergiy ne se sont pas arrêtés là. Sa mère a été blessée par des armes à sous-munitions. “Elle m’a raconté que, quelques minutes après, des membres de la presse militaire russe ont débarqué avec des caméras pour lui demander ce que ça faisait d’être visée par des tirs ukrainiens. Ils n’ont même pas tenu compte du fait qu’elle était blessée, allongée au sol en train de saigner ! En plus, tout le monde savait que c’étaient les Russes qui bombardaient cette zone pour effrayer les gens, pour que personne ne sorte et puisse transmettre des informations à nos troupes”, assure-t-il. Sa mère a ensuite été embarquée par une ambulance de l’hôpital de Kherson, après avoir refusé d’être envoyée dans un hôpital de la Crimée annexée.

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Je suis devenu le commandant de deux groupes de partisans chargés d’éliminer des Russes dans les territoires occupés de la région de Kherson.

Sergiy, pour sa part, a alors été recruté par le GUR, la direction du service de renseignement ukrainien, à Mikolaïv. “J’ai été envoyé dans la ville de Voznesensk (au nord de Mykolaïv, NdlR). Il n’y avait plus de bataille là-bas, mais je suis devenu le commandant de deux groupes de partisans chargés d’éliminer des Russes dans les territoires occupés de la région de Kherson.”

Avec l’aide des partisans indispensables à l’accomplissement des tâches dans les villages sous occupation, Sergiy et ses subordonnés ont effectué différentes missions de reconnaissance, de sabotage, d’élimination d’officiers russes et de destruction de matériel. “On a aussi fait exploser plusieurs Tigre (des véhicules militaires blindés russes, NdlR). Au total, mes deux groupes et moi, on a réalisé sept ou huit missions sous la coupole du GUR en moins de cinq mois.”

La fin de l’occupation, début des incessants bombardements

Le 11 novembre 2022, lorsque la ville a été libérée suscitant de nombreuses scènes de joie, Sergiy a enfin pu rentrer chez lui. “On a été accueillis comme de vrais libérateurs, les gens nous embrassaient, ils nous lançaient des fleurs. En y repensant, j’en ai encore la chair de poule.”

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Un homme embrasse un soldat ukrainien après la libération de Kherson et le retrait des forces russes, le 13 novembre 2022

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Un homme embrasse un soldat ukrainien après la libération de Kherson et le retrait des forces russes, le 13 novembre 2022. ©AFP/Archives

Mais l’euphorie n’a duré que trois jours, avant que les Russes ne commencent à bombarder des habitations civiles.

Les rues de Kherson sont désormais désertes : des quelque 300 000 habitants, il n’en resterait plus que 60 000. Les forces du Kremlin demeurent à quelques kilomètres de la ville, repliées de l’autre côté du fleuve Dniepr qui fait maintenant office de ligne de front. Des dizaines de civils sont déjà morts sous les tirs d’artillerie qui pilonnent la ville sans relâche, créant un environnement de peur et de tension.

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Les Russes peuvent faire demi-tour et rentrer chez eux à tout instant. Nous (les Ukrainiens) n’avons nulle part où aller.

Sergiy, lui, a retrouvé son poste d’inspecteur-sniper au sein de la police, et place beaucoup d’espoir dans l’aide occidentale. “Il est impossible de parler de l’avenir du pays, tant qu’il y aura des occupants sur notre territoire. L’Ukraine est pour le moment le bouclier de l’Europe. Si l’on tombe, d’autres pays européens tomberont. Sans aide humanitaire et militaire, on ne pourra rien faire. Tout le monde en Europe doit comprendre une chose : les Russes ont un endroit où aller, ils peuvent faire demi-tour et rentrer chez eux à tout instant. Nous (les Ukrainiens) n’avons nulle part où aller. Ils peuvent s’en aller, nous pas. Soit on se bat, soit on meurt. Pas d’autre solution.”