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Drones, attentats, miliciens capricieux… Avant la contre-offensive ukrainienne, branle-bas de combat au Kremlin

Il a alors menacé de quitter Bakhmout et de remettre ses positions aux Tchétchènes de Ramzan Kadyrov. Chose qu’il n’aura pas à faire : le ministère de la Défense a finalement accepté de lui fournir des munitions.

Ce n’est pas la première fois que le chef de la milice Wagner se retrouve contraint à mendier ses munitions dans la presse. L’enjeu est cyniquement commercial pour cet homme qui voit sa milice comme une simple entreprise. Wagner doit obtenir des résultats ou son image en souffrira. “Pour Prigojine, l’opportunité est intéressante. Il peut enfin sortir de l’ombre en Russie, et pourquoi pas viser plus haut s’il réussit : maire, gouverneur de Saint-Pétersbourg…”, explique Ulrich Bounat, analyste géopolitique. “L’homme est un ambitieux qui aime la lumière, il espère que l’Ukraine sera son tremplin.”

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Evguéni Progojine espère que l’Ukraine sera son tremplin.

Mais en Russie, on ne gagne pas en popularité sans l’aval du Kremlin. Les tirades anti-élite russe de Prigojine semblent irriter au plus haut niveau. La fourniture de munitions joue un rôle de variable d’ajustement de l’influence de la milice. “Il suffit que le ministère de la Défense réduise le soutien pour que la structure s’effondre. En 2018, à Deir ez-Zor, en Syrie, elle avait été écrasée par la coalition anti-État islamique. Comme en Ukraine où la progression stagne sans soutien massif de l’artillerie de l’armée russe”, analyse Ulrich Bounat.

Guerre en Ukraine: le chef de Wagner révèle pourquoi son groupe va finalement continuer à se battre à Bakhmout

Politologue russe, Tatiana Stanovaya abonde dans ce sens dans une interview donnée au média américain New Yorker. “Prigojine, avec toutes ses activités publiques au cours de l’année, a politiquement endommagé le régime, peut-être bien plus qu’Alexeï Navalny. Il est beaucoup plus dangereux politiquement. Il a divisé les élites, attaqué les piliers du régime et de l’armée, et défié les personnes nommées par Poutine, jusqu’à l’administration présidentielle, en utilisant ses propres milices armées et ses outils médiatiques. Il est plus radical que ce qui est d’ordinaire permis de diffuser dans l’espace médiatique russe. Et pourtant, il reste intouchable, grâce à Poutine.”

Des luttes d’influence

Cette dernière vidéo d’Evgueni Prigojine met en lumière les luttes d’influence qui se jouent en ce moment en coulisses. Alors que Moscou semblait viser la date symbolique du 9 mai pour célébrer, en plus ou moins grandes pompes, la victoire de Bakhmout, elle risque d’en être empêchée par l’Ukraine, qui affirme avoir repoussé une nouvelle offensive lundi. Le 9 mai – jour de commémoration de la victoire sur l’Allemagne nazie – et la chute de Bakhmout devaient représenter une fin de séquence pour le Kremlin, englué dans ce conflit. L’Ukraine, elle, affirme clairement que la prochaine séquence sera une offensive massive.

C’est certainement cette perspective qui pousse le Kremlin à faire un mystère des objectifs de la prochaine séquence. D’un côté, l’armée russe se doit de répondre à cette contre-offensive. De l’autre, Vladimir Poutine semble décidé à remettre, une nouvelle fois, le chef de la milice Wagner à sa place, en l’évinçant progressivement du Donbass. Prigojine pourrait être renvoyé en Afrique, où sa milice aurait en ce moment des difficultés à remplir ses contrats par ailleurs bien plus juteux qu’en Ukraine.

Ces guerres internes sèment le doute sur la qualité des responsables des attentats intervenus ces dernières semaines en Russie. Les drones tombés sur le Kremlin permettent d’instaurer une certaine terreur rassembleuse dans la population. L’attentat qui a causé la mort du blogueur nationaliste Vladlen Tatarski, le 2 avril dernier dans un restaurant d’Evguéni Prigojine, a sonné comme une invitation à modérer ses propos dans les sphères nationalistes favorables à la guerre. Plusieurs figures de ce milieu, dont le propagandiste Vladimir Soloviev, vivraient désormais entourés de gardes du corps. Une situation qui illustre au moins l’ampleur de la panique autour du président russe.