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Donald Trump est un “agresseur sexuel”, mais son avenir politique n’est pas (encore ?) compromis

Il aura fallu moins de trois heures aux membres du jury – dont l’identité a été gardée secrète même vis-à-vis des avocats des deux parties – pour se prononcer, à l’unanimité, et condamner ainsi Donald Trump à verser à la victime 5 millions de dollars. Au cours de trois jours d’audience, fin avril, E. Jean Carroll avait détaillé l’attaque subie il y a plus de trois décennies dans le magasin emblématique Bergdorf Goodman de Manhattan. Donald Trump, qui était à l’époque connu comme un magnat de l’immobilier obsédé par lui-même et par son succès, avait approché la journaliste, lui demandant des conseils pour acheter un cadeau pour une amie. La chroniqueuse du magazine de mode s’est prêtée au jeu avec humour, même lorsqu’il l’a emmenée dans la section de lingerie intime. “J’ai probablement flirté tout le temps”, a-t-elle même avoué.

Sauf que l’homme d’affaires a fini par la diriger vers une cabine d’essayage, où il s’est jeté sur elle, l’immobilisant avec son poids alors qu’il baissait ses collants. “Ses doigts sont entrés dans mon vagin, ce qui a été extrêmement douloureux”, a-t-elle raconté, soutenant que Donald Trump l’avait ensuite violée.

L’accusation de viol pas retenue

Le jury n’aura pas retenu l’accusation de viol, qui suppose une pénétration. Mais a donné raison sur tous les autres points à la victime, aujourd’hui âgée de 79 ans. Sur son agression sexuelle. Sur les attouchements forcés qu’elle a subis. Sur ses blessures. Sur le mépris de son bourreau à l’égard de ses droits. Sans doute l’attitude de l’avocat de la défense a-t-elle aussi, paradoxalement, empiré le cas de Donald Trump – qui ne s’est jamais présenté au procès. “Historiquement, c’est vrai” que les femmes laissent les “stars les attraper par la chatte”, a par exemple maintenu Joseph Tacopina, défendant les propos de son client dans la vidéo de 2005. Connu pour son attitude agressive, l’avocat s’en est souvent brutalement pris à Mme Carroll, à qui il a demandé, encore et encore, pourquoi elle n’avait pas crié – “certaines femmes crient, d’autres non”, s’est-elle défendue – ou pourquoi elle ne s’est pas rendue à la police juste après l’attaque.

Si E. Jean Carroll a pu intenter son action en justice plus de trente ans après les faits, c’est grâce à une loi adoptée par l’État de New York pour permettre aux victimes d’abus sexuels de porter plainte, au civil, même si le délai de prescription pénale a expiré. “Je suis submergée, submergée de joie, de bonheur et d’enthousiasme pour les femmes de ce pays”, a-t-elle réagi dans un entretien accordé à la NBC. Pour rappel, au fil des ans, plus d’une douzaine de femmes ont accusé Donald Trump de comportements sexuels abusifs.

E. Jean Carroll, center, walks out of Manhattan federal court, Tuesday, May 9, 2023, in New York. A jury has found Donald Trump liable for sexually abusing the advice columnist in 1996, awarding her $5 million in a judgment that could haunt the former president as he campaigns to regain the White House. (AP Photo/Seth Wenig)
E. Jean Carroll, au centre, sort du tribunal fédéral de Manhattan, mardi 9 mai 2023, à New York. ©Copyright 2023 The Associated Press. All rights reserved.

L’avocat de défense M. Trump a promis de faire appel de ce jugement, qui restera quoi qu’il en soit dans les annales. “Certes, on a déjà eu des présidents qui ne se sont pas conduits de manière impeccable”, relate Nicole Bacharan, spécialiste des États-Unis et auteure du livre “La plus résistante de toutes”. Elle cite le scandale du Watergate qui a mené à la démission de Richard Nixon en 1974, mais n’a pas abouti devant la justice, le Républican ayant été gracié par son successeur. Ou encore le cas d’Ulysses S. Grant, qui a été arrêté pour… excès de vitesse en calèche en 1872. “Mais une condamnation, même au civil, pour une agression sexuelle, et même un procès contre un ancien président c’est absolument une première”, poursuit l’historienne.

D’autres affaires en cours

De plus, Donald Trump n’est pas au bout de ses ennuis judiciaires. C’est en réalité l’affaire Stormy Daniels, du nom d’une actrice de porno qu’il aurait payée pour garder leur liaison secrète, qui a fait de lui le premier président américain à faire l’objet de poursuites pénales. Pendant ce temps, le ministère de la Justice enquête sur les documents classifiés que Donald Trump a emportés avec lui en quittant la Maison-Blanche pour sa propriété de Floride, à Mar-a-Lago. En Géorgie, il fait l’objet d’une enquête pour avoir tenté d’inverser les résultats de la présidentielle de 2020 dans cet État du Sud, qu’il a perdu d’un cheveu face à Joe Biden. Last but not least, Donald Trump est aussi visé dans l’investigation pénale sur l’attaque qui a visé le Capitole le 6 janvier. “On est dans une situation comme un château de cartes. Cela fait cinquante ans que Trump échappe à la justice tant sur le plan des affaires financières que sexuelles. Petit à petit, un procureur après l’autre, un jury après l’autre, osent y aller”, estime Mme Bacharan.

Reste cependant l’inconnue des retombées politiques pour Donald Trump qui, comme à son habitude, se dit victime de la “plus grande chasse aux sorcières de tous les temps”. “Il s’agit d’une nouvelle escroquerie”, a-t-il assuré mercredi, après le verdict dans l’affaire Carroll, assurant que la journaliste avait été payée “par des agents démocrates” et qu’“elle a totalement menti”. “Il a un noyau dur de supporters qui le suivent dans sa défense et qui représentent à peu près 30 % de l’électorat”, note Mme Bacharan. “Mais cela devrait l’empêcher d’élargir son électorat à une majorité”, poursuit-elle, insistant sur l’usage du conditionnel.

Soutien des Républicains

Depuis sa victoire surprise aux élections de 2016, Donald Trump a prouvé sa capacité à survivres aux tempêtes et aux scandales les plus fous que les Américains n’aient jamais vus, à tel point que plus personne n’ose se prononcer sur sa mort politique. Encore moins le camp républicain, qui ne se risque pas à s’en détourner. Mardi, seuls quelques Républicains, dont les sénateurs Mike Rounds (Dakota du Sud) ou Bill Cassidy (Louisiane), ont exprimé du bout des lèvres une certaine “inquiétude” après la condamnation pour agression sexuelle de celui qui est bien placé pour remporter les primaires du parti. Beaucoup ont refusé de commenter. Ou se sont rangés, encore une fois, derrière Donald Trump, à l’image de Marco Rubio, sénateur de Floride, qui a qualifié le procès de “blague”. “Le peuple américain déterminera qui il veut à la tête de ce pays”, a aussi déclaré le Républicain Tony Gonzalez, niant ainsi une nouvelle fois la responsabilité du Grand Old Party dans le choix de l’homme qu’il veut voir diriger les États-Unis.

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