Belgique

”On ne guérit pas d’un traumatisme généré par un attentat”

Après un tel choc, il est inévitable que l’on se sente mal. Il ne faut donc pas culpabiliser. C’est là le côté positif. Mais surtout, on ne guérit pas d’un tel traumatisme. Il faudra apprendre à vivre avec celui-ci, a souligné la psychologue Magali Huret devant la cour d’assises.

Mme Huret travaille à l’hôpital militaire. Dans son impeccable uniforme militaire, elle a dressé un constat qui fait écho aux témoignages des victimes entendues au procès pendant plusieurs semaines. Elle suit notamment des militaires qui sont revenus abîmés psychologiquement après des opérations à l’étranger, dont des vétérans qui ont participé, en 1993, à l’opération “Restore Hope” en Somalie.

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Un « effondrement des croyances de base »

Le traumatisme, a-t-elle rapporté, va dépendre de la nature de l’événement. Il est bien plus important après un acte intentionnel qu’après une catastrophe naturelle – comme un séisme. Après un acte volontaire, il y a, chez la victime, un “effondrement des croyances de base”, qui nous permettent de fonctionner.

Par “croyances de base”, Mme Huret entend le sentiment que le monde a un sens – un sens de sécurité, de prévisibilité, de justice, de confiance dans les autres. Et quand, ces croyances de base s’effondrent, une perte de confiance en l’homme, un sentiment de trahison de l’humanité s’installent.

Des attentats, comme ceux qu’ont connus les victimes à Zaventem et à Maelbeek, sont tellement intenses émotionnellement qu’il n’y a pas de mot pour les décrire. D’où, laisse entendre Mme Huret, l’impossibilité de partager ses émotions avec des proches. “Il n’est pas possible de réaliser si l’on n’était pas présent sur place au moment du drame”, soutient-elle.

Bien souvent, les victimes se sentent changées physiquement après un traumatisme de la force de ceux générés par un attentat. Une hypervigilance s’installe. “Une personne qui a subi un attentat à l’explosif va immédiatement repérer une valise abandonnée”, illustre Mme Huret.

Psychologiquement, après un attentat, on peut apprendre à mieux gérer ses émotions, mais les images, les odeurs et les bruits vont rester à tout jamais.

De là, le décalage, le sentiment d’incompréhension que peuvent ressentir ces victimes, qui ne comprennent pas que leurs proches ne voient pas le danger. Avec pour conséquence, comme l’ont relaté de nombreuses victimes qui ont témoigné, l’impossibilité de retourner dans certains lieux. En découle un isolement qui, en retour, renforcera encore le traumatisme.

Plus inquiétant encore, l’impossibilité de guérir d’un tel traumatisme. La victime va devoir apprendre à vivre avec celui-ci. “Psychologiquement, on peut apprendre à mieux gérer ses émotions, mais les images, les odeurs et les bruits vont rester à tout jamais”, postule Mme Huret.

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Comme une pierre radioactive

La psychologue a osé une comparaison entre le traumatisme et une pierre radioactive. On peut ranger une telle pierre dans un tiroir. Mais elle restera toujours radioactive tant qu’elle n’est pas désactivée. Il ne faut pas se faire d’illusion : “On ne récupère jamais à 100 %”.

Et de citer le fait que des événements peuvent faire replonger une personne qui a l’impression de s’en être sortie. Cela peut être un événement anodin, comme la vue, au cinéma, d’un attentat similaire à celui qu’elle a vécu.

La victime, rapporte-t-elle encore, est régulièrement confrontée à une perte d’estime de soi. “On se dit que l’on est une grosse loque car toute l’énergie est consacrée à la reconstruction. On ne sait plus réagir comme avant et l’on s’en veut. On devient plus agressif, plus irritable et, comme dans un cercle vicieux, la perte de l’estime de soi augmente encore”.

C’est là un constat qui tranche radicalement avec le pronostic fait par certains médecins des compagnies d’assurances, dont l’un avait notamment fait valoir auprès de victimes qu’après un an, on pouvait déjà estimer que l’état de la victime n’évoluerait plus.