France

Qui était Gaspard Ulliel ? Gaëlle Pietri livre un portrait délicat

« Ta mort nous a tous surpris, elle nous a été infligée, sans même qu’elle ait un sens, et un océan de révoltes nous a alors engloutis ». Ex-compagne de Gaspard Ulliel et mère de son fils Orso, Gaëlle Pietri a choisi d’écrire une lettre posthume pour dire un ultime au revoir au comédien, décédé en janvier 2022 après un accident de ski. Le temps de te dire adieu, publié chez Grasset fin avril, ne satisfera pas la curiosité des lecteurs qui espéreraient connaître des détails de la vie privée de Gaspard Ulliel, « Gasp » ou « Gaspouille » pour les intimes. Avec pudeur et poésie, Gaëlle Pietri raconte un deuil impossible, confisqué par la foule et le tapage médiatique, et tente de brosser le portrait de cet être mystérieux et discret. Quel Gaspard rencontre-t-on dans ce court texte traversé par les mots de Rainer Maria Rilke, Joan Didion, Joyce Carol Oates ou Delphine Horvilleur ?

Gaëlle Pietri plaque ses pensées, comme un patchwork de souvenirs, d’interrogations et de références littéraires. Dans un aller et retour incessant entre le jour de la cérémonie à Saint-Eustache et l’histoire de leur relation, elle interroge sa place dans ce deuil, « le bien-fondé de sa souffrance et la légitimité de sa parole ». La mannequin à la plume sensible retrace sa rencontre avec l’acteur. De passage à Paris -à cette époque, elle habite à New York-, elle est invitée à le voir jouer au Théâtre des Champs-Elysées, dans une pièce mise en scène par Michel Fau.

Gaspard se joint à sa table dans un restaurant après la représentation. Ils ont un ami commun. Des verres s’entrechoquent, des clés se perdent… Gaspard l’attend devant chez elle sur sa moto. Gaëlle Pietri raconte cette histoire d’amour par petites touches, avec retenue. Et quelques années plus tard, « dans un élan de banalité », ils décident de faire un enfant. Orso. A qui elle dédie cette lettre, pour garder vivante la mémoire de son père. Quand Gaspard est mort, il venait de célébrer ses six ans.

« Ton jeu favori : mener tout le monde en bateau »

Abonné aux rôles dramatiques –Saint-Laurent, Juste la fin du monde, Sibyl-, le comédien est pourtant très drôle. On ne le sait pas assez. « Ton jeu favori : mener tout le monde en bateau. Inventer des histoires rocambolesques ou insignifiantes pour pousser les autres dans leurs retranchements, leur jouer des tours, savoir jusqu’où tu pouvais aller dans le mensonge, dans le jeu », écrit-elle. Car Gaspard n’a pas toujours été ce jeune premier du cinéma français au physique parfait. Il n’a rien su de ses atouts avant la fin de l’adolescence.

Gringalet, rieur… Sa fossette née d’une cicatrice dessinait un air faussement ironique sur son visage. Enfant, il avait une démarche balancée qui lui donnait une allure un peu gauche. D’ailleurs, il était gaucher, comme son fils, raconte l’autrice. C’est peut-être à cause de cette première partie de vie qu’il a su rester humble, toujours dans l’ombre des projecteurs, protégeant coûte que coûte sa vie privée.

« On ne peut pas lutter contre les légendes »

A l’évocation de Gaspard, toujours les mêmes adjectifs : discret, élégant et surtout mystérieux. « Mystère. C’est le mot qui revient le plus quand on parle de toi. Mystère que j’ai bien été incapable d’élucider pendant les six années que nous avons passées ensemble ». Il gardait une distance, restait sur la réserve. « En dépit ou à cause de cette force d’attraction, subsiste cette impression bizarre de ne pas t’avoir connu réellement. Qu’il y a toujours eu une autre part de toi, une face détournée, un hors-champ. Que ton esprit a toujours été masqué par une éclipse. Que tu restes à jamais figé dans l’irréel ». 

La jeune femme, qui peine à se relever du double deuil (la séparation et la mort), tourne autour de cet être solaire, pudique, passionné d’art et de ski. Il est rarement question de cinéma dans ce livre, à part pour évoquer son sérieux et son dévouement. Seuls deux noms sont cités : son « grand frère » Bertrand Bonello et son ami Jérémie Rénier.

On découvre le Gaspard cinéphile dont la carrière de réalisateur tant espérée restait à construire. Il avait entrepris des études de cinéma à Saint-Denis pour passer derrière la caméra. La vie en a voulu autrement. On rencontre un père en extase qui, quelques jours avant sa mort, débarquait avec un clown sous le bras pour célébrer l’anniversaire de son fils. Un homme élégant jusque dans la séparation, passionné de littérature, de musique, qui aurait aimé avoir l’oreille absolue. Un homme capable de trouver un angle comique en toutes choses, « sorte de Buster Keaton » de la vie de tous les jours. « On ne peut pas lutter contre les légendes », écrit Gaëlle Pietri dans les dernières pages de son livre. Sa légende demeure dans sa filmographie. Finalement, n’est-ce pas à travers chacun de ses rôles qu’il se révélait le mieux ?