France

Précarité : A l’épicerie solidaire, « C’est comme au supermarché, mais en beaucoup moins cher »

Une odeur de café s’échappe par la porte d’entrée. Ce mardi matin, il y a du passage à L’éclaircie, une épicerie solidaire située à Arcueil (Val-de-Marne), animée uniquement par des bénévoles. Car si les familles en difficulté s’y présentent pour se procurer des denrées alimentaires et des produits d’hygiène, elles viennent aussi partager des moments de convivialité. Comme Abbas, la petite quarantaine, qui affiche un grand sourire malgré les difficultés qu’il traverse.

Ouvrier dans le bâtiment, il menait bien sa barque. Jusqu’au moment où il a été victime de harcèlement moral et a fini par craquer. En arrêt maladie depuis 2021, il a vu ses revenus fondre comme neige au soleil : « Je touche 700 euros d’indemnités, j’ai un loyer de 130 euros par mois, et j’ai une femme et deux enfants. J’ai des difficultés financières, mais je n’ai pas de dettes », confie-t-il. Ayant de plus en plus mal à boucler les fins de mois avec l’inflation, Abbas a demandé de l’aide à la mairie. « J’avais honte, mais pas le choix », confie-t-il. Un travailleur social l’épaule pour constituer un dossier afin de devenir bénéficiaire de l’épicerie solidaire. Une commission d’attribution donne son feu vert pour qu’il y ait accès pendant une durée de six mois.

Chaque bénéficiaire ne paye que 10 % de la valeur des produits

Comme lui, un quart des Français éprouve actuellement des difficultés pour nourrir leur famille, selon une étude* de Kellogg qui paraît ce mercredi et qui souligne l’aggravation de la précarité alimentaire. Près d’un enfant sur cinq ne mange pas le matin. D’ailleurs, 85 % des enseignants constatent que des élèves viennent à l’école en ayant faim au moins une fois par semaine. Ce qui a des répercussions sur leurs capacités de concentration, selon 8 enseignants sur 10. Une précarité dont est témoin Catherine Gouzou, présidente de L’éclaircie : « Nous accueillons 45 familles, dont 75 % sont monoparentales. Elles ont du mal à se nourrir et ont souvent des dettes ». Pour bénéficier de l’épicerie solidaire, elles doivent s’engager sur un projet déterminé avec un travailleur social : reprendre le paiement de son loyer, faire un dossier de surendettement, solliciter les aides de la CAF…

Les rayons de L'éclaircie, l'épicerie solidaire d'Arcueil.
Les rayons de L’éclaircie, l’épicerie solidaire d’Arcueil. – D.Bancaud

L’accès à l’épicerie est donné pour une durée de deux à six mois. Si besoin est, ce laissez-passer est reconduit pour six mois supplémentaires, sans pouvoir excéder un an. Le budget mensuel d’achats est défini en fonction de la composition du foyer. Exemple : une personne seule dispose d’un budget de 130 euros. Au final, chaque bénéficiaire ne paye que 10 % de la valeur des produits. Et l’épicerie ressemble à une caverne d’Ali Baba avec tous les produits essentiels, classés par catégorie. En dessous de chaque article est affiché son prix dans la « vraie vie » et le tarif proposé aux bénéficiaires. Une boîte de sardines coûtera ainsi 13 centimes au lieu d’1,30 euro, et une boîte de raviolis 19 centimes au lieu d’1,90 euro.

« Ça me sécurise »

Abbas, lui, dispose de 33 euros mensuels. Ce qui lui suffit pour s’acquitter de l’essentiel. En dix minutes, il remplit son chariot de farine, œufs, fromages, fruits et légumes… Puis passe à la caisse avec son gros chargement : « Ma femme est toujours contente, on ne manque de rien. C’est comme au supermarché, mais en beaucoup moins cher », commente-t-il. Pour un paquet de couches pour son bébé, il n’a qu’à débourser 80 centimes. Grâce à cette aide, il a le sentiment de sortir un peu la tête de l’eau. « J’ai l’impression d’acheter les mêmes choses que lorsque je touchais toute la paye. Ça me sécurise », confie-t-il.

Abbas paye ses courses à L'éclaircie, l'épicerie solidaire d'Arcueil.
Abbas paye ses courses à L’éclaircie, l’épicerie solidaire d’Arcueil. – D.Bancaud

Comme les autres bénéficiaires, il vient une fois par semaine refaire le plein. Mais il passe aussi parfois participer à l’atelier « ça se joue au grenier » avec son fils, pour que le petit puisse s’amuser avec des copains. Les pauses-café avec les autres bénéficiaires lui font aussi chaud au cœur. « Il y a une bonne ambiance, je suis à l’aise avec eux. On parle de tout, de la vie chère, de la politique. Et on plaisante aussi. Ça permet d’oublier un peu les problèmes », raconte-t-il. D’autres ateliers sont aussi au programme, comme ceux dédiés au petit-déjeuner, animés par une diététicienne et proposés en partenariat avec Kellogg**. L’objectif : rappeler aux parents l’importance d’un petit-déjeuner équilibré. Des ateliers couture, cuisine ou pour savoir fabriquer sa lessive permettent aussi de créer du lien.

Des courses et de l’espoir en bandoulière

Avec toutes ces initiatives et l’aide qu’ils reçoivent, les bénéficiaires de l’épicerie solidaire reprennent peu à peu confiance en eux et en la vie. « Ici, on ne porte jamais de jugement », insiste Catherine Gouzou.

Abbas, lui, repart d’ici avec ses courses, mais aussi avec de l’espoir en bandoulière : « Peut-être que dans 6 mois, j’aurai du boulot. Je reviendrai juste pour dire bonjour », souffle-t-il en tournant les talons.