France

Plan eau : La tarification progressive pour plus de sobriété, est-elle vraiment efficace ?

« Enfin, il faut mettre en place une tarification progressive et responsabilisante de l’eau », a dévoilé Emmanuel Macron. Il s’agit là du cinquième et dernier grand axe du « plan eau » que le gouvernement prépare depuis plusieurs mois et que le président de la République est venu présenter jeudi dans les Hautes-Alpes.

Le contexte, on le connaît. C’est celui d’une forte baisse de la ressource disponible en eau en France et que le réchauffement climatique va encore accélérer. Ce plan eau, bâti autour d’une cinquantaine de mesures, doit alors changer notre rapport à l’eau en prenant en compte cette nouvelle donne. Objectif : 10 % d’économie d’ici 2030 « dans tous les secteurs », insiste le président. Y compris donc les usages domestiques de l’eau.

Compétence des collectivités

« Des ménages aux bureaux, en passant par les bâtiments publics et les petits commerces, cela représente 25 % de la consommation d’eau potable, rappelle Nathalie Davoine, du Centre d’information sur l’eau (C.I.Eau). Pas rien donc, d’autant qu’il y a des gisements d’économie importants dans ces usages. A commencer par la douche. »

Reste à embarquer les Français dans cette démarche de sobriété. En touchant à la tarification de l’eau justement ? Cette compétence est entre les mains des collectivités locales. « La très grande majorité applique aujourd’hui un tarif en deux parties, avec une part fixe qui correspond à l’abonnement et une part variable qui est facturé en fonction du volume d’eau consommé », rappelle Alexandre Mayol, maître de conférences en économie à l’université de Lorraine et auteur d’une thèse sur la tarification progressive.

Mais, dans cette part variable, le prix du m³ d’eau ne change jamais, qu’on en consomme 1 ou 100 ou bien plus encore. Ce qui n’invite guère à la sobriété. C’est ce principe-là qui change avec la tarification progressive en faisant grimper le prix du m³ d’eau par tranches de consommation. « Les premiers m³ sont facturés à un prix modeste, proche du prix coûtant, expose Emmanuel Macron. Cela correspond à l’eau dont on a tous besoin pour boire, nous laver et autres usages du quotidien. » Mais, au-delà d’un certain seuil, « pour les usages de confort », le prix du m³ augmente, ce qui relève du « bon sens », pour le président.

Des résultats plutôt positifs

Plusieurs collectivités n’ont pas attendu « ce plan eau » pour s’emparer de la tarification progressive. « C’est le cas de Dunkerque, ville pionnière dans ce domaine, indique Alexandre Mayol. Auparavant, le m³ d’eau potable consommé était facturé un peu au-dessus de 1 euro, quel que soit donc le volume consommé. Avec la tarification progressive, le prix est tombé à 80 centimes d’euros pour les 75 premiers m³, puis passe à 1,50 euro entre 75 et 200 m³, et grimpe à 2 euros au-delà. » D’autres collectivités s’y sont mises, « dans les territoires où l’eau manque déjà ou bien où le tourisme est important ou encore qui doivent faire face à des afflux de nouveaux habitants, complète Régis Taisne, chef du département « cycle de l’eau » à la Fédération nationale des collectivités concédantes et régies (FNCCR). Dans le lot, des grandes villes comme Nice, Rennes, Niort, Rouen, Annecy ou encore la métropole de Montpellier où les quinze premiers m³ sont même gratuits. »

Pour quel résultat ? « C’est assez efficace pour baisser les consommations d’eau, en convient Alexandre Mayol. On constate des baisses entre 8 et 10 %. » Le tout sans qu’on en arrive toujours à des augmentations de factures pour les ménages. « A Dunkerque, par exemple, elles ont au contraire baissé pour 80 % des ménages », reprend le chercheur. Ceux donc qui ont réussi à limiter leur consommation pour déborder le moins possible de la première tranche.

Le gros consommateur, c’est aussi la famille nombreuse

Mais Alexandre Mayol invite à se pencher aussi sur les 20 % restant et y voit une première limite de la tarification progressive. « Ce système tend à stigmatiser les grands consommateurs en les faisant passer pour des personnes peu attentionnées, qui privilégient leurs conforts, glisse-t-il. Or, il s’agit aussi, et souvent même, de familles nombreuses. » Le problème se prend aussi dans l’autre sens, signale Régis Taisne : « Consommer 50 m³ d’eau sur une année, c’est peu pour un couple, mais beaucoup pour un célibataire, or ce dernier restera gagnant avec la tarification progressive. »

Des mesures peuvent permettre de gommer ou au moins atténuer ces biais. Dunkerque, par exemple, a mis en place une tarification sociale. « Les familles qui ont la couverture maladie universelle complémentaire [CMUC] bénéficient automatiquement d’une réduction automatique sur la première tranche », explique Alexandre Mayol.

« On pourrait aussi laisser la possibilité aux collectivités locales d’appliquer des tarifications différentes aux résidences secondaires ou celles équipées de piscine », imagine aussi Régis Taisne. Mais tout n’est pas si simple là encore : toutes ces parades risquent d’entrer en conflit avec le Règlement général sur la production des données (RGPD).

Mettre en place un Ecowatt de l’eau

Alexandre Mayol embraye alors sur une deuxième limite de la tarification progressive : « Pour que ça soit pleinement efficace, il faut être informé en temps réel de sa consommation d’eau et pas seulement un an plus tard au moment de découvrir sa facture. » Dans cette optique, Emmanuel Macron a évoqué le lancement, d’ici mi-mai, d’un dispositif similaire à l’Ecowatt qui existe déjà sur l’énergie. 

Au C.I.Eau, Nathalie Davoine mise aussi et surtout sur les compteurs intelligents. « Seuls 40 % des foyers en sont aujourd’hui équipés », pointe-t-elle. « Mais bien souvent, dans l’habitat collectif, ces compteurs sont installés à l’échelle de l’immeuble et non des appartements, ce qui n’aide pas à la maîtrise de ses consommations », nuance Alexandre Mayol. Quant à l’espoir de couvrir un jour 100 % des foyers, l’économiste en doute, en rappelant le rejet par une partie des Français des compteurs électriques « Linky ».

Et pourquoi pas aussi pour les agriculteurs ?

Ce qui pourrait aider alors à cette acceptation, pour Alexandre Mayol, serait qu’on applique la même tarification progressive aux autres usagers de l’eau. « Soit l’agriculture, qui représente 48 % de la consommation d’eau en France, et l’Industrie, 32 % », pointe-t-il. Or, ce n’est pas le chemin prix dans ce plan Eau.

« A notre grand regret, lance Alexis Guilpart, coordinateur du réseau « eau » de France Nature Environnement. Ce serait pourtant un levier intéressant pour inciter à plus de sobriété notamment chez les agriculteurs irriguant, qui profitent de tarifs très faibles aujourd’hui sur l’eau. » « Parfois même dégressif dans certains territoires », ajoute Régis Taisne.