France

Médoc : « A ce prix-là, c’est de l’humiliation », un vigneron engage un combat judiciaire inédit contre des négociants

C’est la première procédure du genre. Et elle pourrait faire beaucoup de bruit. Depuis fin 2022, Rémi Lacombe, vigneron dans le nord du Médoc, a décidé de ne plus accepter de vendre sa production de vin en vrac à pertes. Alors que le prix moyen de revient du vin en vrac dans le Médoc s’établit autour de 2.000 à 2.200 euros le tonneau HT, les négociants mis en cause lui achètent entre 1.150 à 1.200 euros HT le tonneau.

Avec un prix qui frôle le tarif d’un euro le litre, il n’est plus possible de continuer pour Rémi Lacombe. « Au-dessous d’un certain niveau de prix, cela devient de l’humiliation, une espèce de dépendance maladive », décrit-il dans une rage contenue.

« Remettre en cause toute la filière achat »

Il veut faire valoir la loi Egalim de 2018 qui interdit qu’il soit proposé aux agriculteurs un prix d’achat abusivement bas. Elle a conduit à une modification de l’article L. 442-7 du Code de commerce qui, désormais, « engage la responsabilité de son auteur et l’oblige à réparer le préjudice causé par le fait pour un acheteur de produits agricoles ou de denrées alimentaires de faire pratiquer par son fournisseur un prix de cession abusivement bas ». Il demeure des interrogations à ce stade sur la manière dont on doit apprécier le prix abusivement bas mais pour l’avocat de Rémi Lacombe, maître Louis Lacamp : « Quels que soient les critères, il y aura à mon sens la reconnaissance d’un prix abusivement bas. »

Dans le cas de ce vigneron médocain, la différence entre le prix auquel on lui achetait sa production de vin en vrac et le prix moyen de revient est de l’ordre de 900.000 euros, sur les deux dernières années. Et, si on considère qu’il s’agit de gagner sa vie et de dégager un peu de bénéfice et que l’on y rajoute 10 %, on se retrouve avec une ardoise de 1, 1 million d’euros, que l’avocat entend bien présenter aux deux négociants visés par la procédure. Son client ne souhaite pas les nommer mais « mettre en cause le mode de fonctionnement général de la filière achat sur le vin », pointe son conseil. En clair il s’agirait de « renégocier toute la chaîne de vente, ajoute-t-il. La grande distribution devra faire une marge plus faible et le consommateur ne pourra plus acheter une bouteille de Bordeaux Médoc à trois euros ».

« Un risque énorme »

« Ceux qui agissent prennent un risque énorme, ajoute l’avocat. Depuis que mon client a fait cette action, on ne lui propose plus aucun achat en vrac et c’est la raison pour laquelle personne n’ose agir. » Pourquoi Rémi Lacombe a-t-il franchi le pas ?  « Pour l’honneur de ma profession et l’amour de mon métier d’abord et aussi parce que je suis agacé par mes congénères qui ne font rien et en colère contre l’autosatisfaction des gens qui se croient forts car ils sont dans un tout petit système », répond le vigneron. Il égratigne aussi au passage les réponses « décevantes » des négociants qui reportent la faute sur le marché, le courtier ou la baisse de la consommation de vin.

Il se sent « pris en étau » entre les exigences imposées à sa production et la valeur très faible qu’il peut en tirer. « Mes vins ont subi les dégustations des acheteurs et ont été sélectionnés, avance-t-il. Ce n’est pas comme si j’avais fait de mauvais vins. » Du côté des autres vignerons, le soutien officiel n’est pour l’instant pas au rendez-vous. « Si je gagne ça les arrangera mais on ne prend pas position en ma faveur avant, c’est fort regrettable et fort peu courageux », lâche Rémi Lacombe qui estime qu’il est temps que l’interprofession s’intéresse aux conditions de distribution de ses produits. « Ce que l’on s’attache à faire bien, on veut le vendre convenablement », résume-t-il.

Première audience le 8 juin

Endetté et marqué dans sa vie personnelle, Rémi Lacombe espère surtout faire bouger les lignes, voyant la misère qui s’installe chez beaucoup de « vraceux » et le désastre économique qui se profile pour la région. « Il y a les grands vins de Bordeaux et les petits  » vains » de Bordeaux », ironise-t-il.

Sollicité par 20 Minutes, Bordeaux Négoce, qui rassemble les acteurs de cette filière, ne souhaite pas s’exprimer sur cette affaire en cours. Une première audience est programmée devant le tribunal de Commerce de Bordeaux le 8 juin mais la partie adverse pourrait demander un report, dans un dossier où beaucoup de questions juridiques vont se poser.