France

Mariage pour tous : Dix ans après, la grande frilosité des politiques sur les sujets de société

C’est la dernière grande avancée sociétale en France, et elle a dix ans. La loi sur le mariage pour toutes et tous, ouvrant le mariage civil aux couples lesbiens et gays, fête le 23 avril les « noces d’étain » de son adoption définitive par le Parlement. Le chemin a été long et particulièrement difficile. D’ailleurs, on se souvient presque plus des violentes et importantes manifestations d’opposition en rose et bleu au projet que du fond du dossier : l’adoption d’un nouveau droit pour des millions de personnes qui en étaient privées. Depuis, c’est le désert, si l’on excepte l’ouverture de la PMA aux couples de femmes cisgenre et aux femmes seule, qui ne règle pas vraiment le problème, ou de très petites avancées sur les droits des personnes trans.

Alors, dix ans après, la classe politique française n’est-elle pas toujours sous le coup d’un « trauma » ? Un « trauma » qui pousserait les différents gouvernements à mettre les sujets dits « sociétaux » sous le tapis. Exemple d’actualité : malgré les conclusions de la convention citoyenne sur la fin de vie, favorables au suicide assisté et à l’euthanasie sous conditions, le gouvernement semble déjà freiner des quatre fers. La mesure est pourtant très populaire dans l’opinion, et depuis des décennies de manière stable, d’après les sondages.

« Peur » présidentielle

La PMA elle-même était une promesse de François Hollande en 2012 et a été renvoyée aux calendes grecques sous la pression de la rue. « C’était une grosse erreur de laisser la PMA en route, estime aujourd’hui le député Renaissance (RE) de Charente-Maritime, Raphaël Gérard. Quitte à mettre tous les réacs dans la rue, autant le faire une bonne fois pour toutes. » Le macroniste n’était pas élu en 2013, pas vraiment militant non plus, tout le contraire de Patrick Bloche, ancien député PS de Paris, à la manœuvre à l’époque et déjà quinze ans avant sur le Pacs, qui partage la même analyse : « Maintenir la PMA n’aurait pas augmenté la pression. D’ailleurs, la retirer ne l’a pas fait baisser non plus. »

Six ans plus tard, Emmanuel Macron mettra beaucoup de temps à tenir sa propre promesse sur la PMA. « Il y avait une vraie peur chez le président de la République de revivre 2013, affirme Raphaël Gérard. Le fait est que ça a durablement traumatisé la classe politique car personne ne s’attendait à une résistance de cette ampleur-là. La Manif pour tous et ces milieux ont montré une capacité d’organisation. C’est presque des milices qui défilaient dans les permanences de députés, y compris la mienne pendant les débats sur la loi Bioéthique. »  « On se laisse trop influencer par des lobbys qui ont un pouvoir financier et de nuisance, croit Ségolène Amiot, députée LFI de Nantes. Ils ont le bras long »

Volonté politique

Mais celle qui était en 2013 vice-présidentes du centre LGBT local voir d’abord et avant tout dans la lenteur de ces avancées un manque de volonté politique. La Manif pour tous et ses avatars apparaissant alors plutôt comme un prétexte. « La difficulté, c’est le manque de courage politique, cingle la Nantaise. La question n’est plus  »est-ce que c’est bien pour l’intérêt général » mais  »est-ce que je vais être réélu car ce n’est pas consensuel ». Mais ce n’est pas grave de ne pas être réélu ! » Un avis globalement partagé par Patrick Bloche qui, comme Raphaël Gérard, relativise même la portée des manifestations de 2013 : « Mis bout à bout, quand on regarde les effectifs mobilisés c’est assez modeste par rapport aux retraites par exemple. »

La manière dont Emmanuel Macron a géré le dossier de la PMA interroge aussi sur son enthousiasme : Raphaël Gérard et Laurence Vanceunebrock, députée battue en 2022, ont mis du temps à obtenir une inscription à l’ordre du jour. Une fois déposé, le projet de loi Bioéthique a eu deux particularités : c’est l’un des rares textes du gouvernement a ne pas avoir bénéficié de la procédure accélérée (qui réduit la navette à une lecture dans chaque chambre), devenue la norme aujourd’hui. Et puis, c’est le seul texte gouvernemental du précédent mandat pour lequel les macronistes avaient liberté de vote.

Vieilles lanternes

Pacôme Rupin, député macroniste de 2017 à 2022, rappelle que finalement très peu de membres de la majorité n’ont pas voté le texte. « Il y avait une volonté d’aller au bout du débat, relativise l’ancien élu parisien. L’exécutif voulait un texte un peu transpartisan, trouver des consensus à travers les groupes. Et c’est d’ailleurs ce qui s’est passé : ça a été l’un des meilleurs débats de la législature. » Il poursuit : « Je crois que ce sont des sujets où il y a toujours une partie de la classe politique qui freine. Le mariage pour tous, ce n’était pas une évidence pour les socialistes au début des années 2000. »

Ce qui rejoint la thèse de la politiste à l’université Paris-1 Frédérique Matonti, pour qui la frilosité politique sur les sujets de société remonte à bien avant 2013 : « La dernière grande loi c’est sans doute l’abolition de la peine de mort, en 1981. Un peu avant il y avait eu la légalisation de l’IVG. Mais après, à côté d’une droite globalement contre ces évolutions, la gauche se montrera très timide. » L’autrice de Comment sommes-nous devenus réacs ? (Fayard) voit une bascule à la fin des années 1980, à la faveur de nombreuses controverses sur l’école. « En 1984, la gauche a tenté de créer avec la loi Savary un système scolaire unifié et laïc, mais les très importantes manifestations de défense de  »l’école libre » l’ont contrainte à reculer. » Déjà à l’époque les milieux catholiques sont à la manœuvre. En 1989, « l’affaire de Creil » est la première polémique sur le voile à l’école, quand un principal de collège exclut deux élèves portant un foulard.

« On vous a déjà beaucoup donné »

Quand ce n’est pas de l’extérieur, c’est de l’intérieur que peuvent venir les difficultés. Raphaël Gérard l’a bien senti dans son groupe, notamment à partir du moment où il est devenu de facto le spécialiste des sujets LGBT dans son groupe. « A un moment on ne nous écoute même plus et on nous fait des remarques du genre  »ça suffit, on vous a déjà donné beaucoup ». Non, on a juste réussi à conquérir des droits qui ne nous étaient pas accordés. » Les sujets de sociétés sont vus comme très secondaires, voire méprisés. « C’est vrai qu’à gauche pendant longtemps, notamment au PS, les questions économiques et sociales étaient les questions principales, se souvient Patrick Bloche. On se disait que les sujets de société on les traiterait quand on aurait le temps… »

Même si le traitement réservé aux violences sexistes et sexuelles et politique ces derniers mois permet d’en douter, les élus et élues de gauche interrogé pensent que c’est moins le cas aujourd’hui. Pourtant, celles et ceux qui portent la question des droits sont bien obligés de demander par quel bout prendre le débat pour avancer. Marie-Charlotte Garin, députée EELV, se pose par exemple la question sur les droits des personnes trans, vus comme la prochaine étape : « Il faut aussi qu’on se demande comment on ne donne pas un boulevard médiatique aux antis, qui sont minoritaires mais extrêmes. Comment on avance nos pions sans fragiliser les personnes concernées ? C’est peut-être ça la leçon du débat de 2013, qui a été très violent. » Avec dans un coin de la tête comment le débat au Royaume-Uni a tourné au festival transphobe, et même au recul de certains droits.