France

Mariage pour tous : « La noblesse de la politique c’est d’oser », juge Mamère, qui a marié le premier couple gay en 2004

C’était il y a presque 19 ans. Le 5 juin 2004, Noël Mamère alors maire (EELV) de Bègles célèbre le mariage de Stéphane et Bertrand, neuf ans avant la légalisation du mariage pour tous en France, le 17 mai 2013.

À l’occasion du dixième anniversaire de cette avancée sur le champ de l’égalité des droits, 20 Minutes a rencontré Noël Mamère, 74 ans, qui a été maire de Bègles, près de Bordeaux, pendant vingt-huit ans. Son nom restera attaché à cet acte politique précurseur.

Est-ce une conviction personnelle qui vous a poussé à cette initiative ?

Ce n’était pas une initiative individuelle puisqu’elle s’inscrivait dans le cadre d’un combat pour l’égalité des droits, mené depuis longtemps par ma famille politique, les Verts. C’est en janvier 2004, l’agression homophobe, dans le Nord, de Sébastien Nouchet, brûlé au 3e degré et aujourd’hui dans une chaise roulante, qui a déclenché des réactions de militants de la cause LGBT. Ils ont rédigé un manifeste pour l’égalité des droits, dans lequel figurait la demande de mariage pour les personnes de même sexe. Il a été signé par des milliers de personnes dont moi-même.

Ce manifeste a suscité un débat et Clémentine Autain (adjointe au maire de Paris), Jacques Bouto (maire Vert du 2e arrondissement) Christophe Girard (membre des Verts) et moi-même avons tenu une conférence de presse pour dire que nous allions marier les personnes de mêmes sexes qui le souhaitaient. Bertrand Delanoë, alors maire de Paris, s’y est opposé mais on ne pouvait pas me retirer ma délégation à moi, puisque j’étais maire de Bègles.

A ce moment-là, pour les Verts (qui ne s’appellent pas encore Europe Ecologie-Les Verts EELV), est-ce un risque politique vis-à-vis des électeurs de procéder à ce mariage illégal ?

Bien sûr que c’est un risque politique mais la noblesse de la politique c’est de savoir oser et de ne pas faire du suivisme de l’opinion, sinon ça devient du populisme et de la faiblesse. Si j’avais fait des calculs savants sur la perte potentielle du nombre d’électeurs je ne l’aurais pas fait mais j’ai fait le pari de l’intelligence des électeurs. D’ailleurs, les Béglais m’ont réélu dès le premier tour (en 2008) et ont même tiré une certaine fierté de ce mariage, il me semble.

Il y avait deux mondes très différents à ce moment-là. Je me souviens du bruit et de la fureur le jour du mariage. J’ai même dormi dans le canapé-lit de mon bureau la veille, pour être sûr qu’on ne m’empêche pas d’entrer dans la mairie. Et une heure après le mariage, comme si la France était menacée de déséquilibre général, une lettre de Dominique de Villepin (alors ministre de l’Intérieur) m’a été adressée pour me suspendre de mes fonctions pendant un mois. Et, d’un autre côté, je me suis rendu ce même week-end à la fête de la morue, qui rassemble 60.000 personnes pendant trois jours, et je n’ai pas eu une seule réflexion à ce sujet de la part des habitants.

Quel crédit politique votre parti a-t-il retiré de cet épisode ?

Cela a montré à la société que, contrairement à ce que veulent faire croire les libéraux et les tenants du système actuels, les écologistes ne sont pas condamnés à ne s’occuper que de questions d’environnement. L’écologie est totalement liée aux questions sociales et des droits humains. En 2002 quand j’étais candidat des Verts à la présidentielle, j’ai été le seul à défendre le droit à mourir dans la dignité, dont nous parlons beaucoup en ce moment, le vote à 16 ans et la légalisation contrôlée du cannabis.

On était alors en avance sur des sujets de société qui sont devenus banals. Aujourd’hui il y a même des gens de droite qui demandent la légalisation contrôlée du cannabis. La gauche n’a pas été assez courageuse sur ces sujets. Lorsque François Hollande (en 2012) a évoqué le recours possible à la clause de conscience pour les maires (qui étaient réticents à célébrer des mariages homosexuels), c’était la porte ouverte à ce qu’il y a de plus conservateur.

Vous faites également partie de ceux qui sont favorables à la gestation pour autrui (GPA), notamment pour les couples homosexuels.

Elle existe mais on n’en parle pas et tout ce qui est condamné à la clandestinité doit être combattu. C’est un droit qui doit être accordé à tous. Il y a plein d’études sur les enfants élevés par les couples de même sexe et on sait que l’altérité, ils la construisent tout seuls.

Le rôle de la politique c’est d’élargir l’espace public, de faire qu’on puisse aborder des questions qui nécessitent un débat contradictoire et qui fasse avancer notre intelligence collective. Je pense par exemple qu’il y aura un avant et un après sur la convention citoyenne sur la fin de vie, quelque que soit la décision d’Emmanuel Macron.

La cérémonie clandestine a-t-elle aussi influé sur le processus de légalisation à votre sens ?

Cet acte politique a provoqué un vrai débat dans la société. Je ne suis pas convaincu qu’il ait fait reculer l’homophobie mais il a accéléré la suppression d’une discrimination liée à l’orientation sexuelle, même si toutes ne sont pas éteintes. J’ai pris de vitesse un certain nombre d’associations et j’ai été critiqué par certaines d’entre elles qui ont une conception plutôt libertaire.

Tous les hommes politiques aiment laisser des traces et la seule que je laisserai ce sera peut-être celle-là. Je pense aussi avoir fait d’autres choses dignes qu’on s’y arrête un peu, même si je suis très fier de ce mariage.