Un papa homosexuel peut faire reconnaître qu’il est le père biologique d’un enfant né d’une gestation pour autrui

L’enfant, né en août 2021, vit aujourd’hui avec ses deux papas.
Un petit souci
Avant l’accouchement, Philippe introduit devant le tribunal de première instance de Liège une action en contestation de la paternité de Grégoire qui, en tant que mari de la maman, est présumé être le père de l’enfant à naître. Il demande également au tribunal d’établir sa paternité à l’égard de l’enfant, dont il est le père biologique.
À l’audience, les deux couples confirment qu’il s’agit bien d’un arrangement entre eux et qu’ils sont tous sur la même longueur d’onde. Sauf qu’il y a un petit souci… Le juge constate que l’article 318 § 4 de l’ancien Code civil l’empêche d’accéder au souhait de Philippe. Le petit alinéa en question précise en effet qu’” une demande en contestation de la présomption de paternité n’est pas recevable si le mari a consenti à l’insémination artificielle ou a un autre acte ayant la procréation pour but”.
Le juge liégeois a donc décidé de poser une question préjudicielle à la Cour constitutionnelle.
Comment établir la filiation de l’enfant ?
Dans un arrêt rendu jeudi, la Cour souligne d’abord que tout contrat visant à lier les personnes impliquées dans une gestation pour autrui est illicite, ne produit aucun effet juridique et ne peut faire l’objet d’aucune exécution forcée.
Une Déclaration d’abolition universelle de la gestation pour autrui
Cela dit, que faire pour établir la filiation d’un enfant né d’une GPA ? Vu qu’il n’existe pas de cadre légal spécifique, les règles du droit commun s’appliquent : la gestatrice, qui accouche de l’enfant, est la mère légale (mater certa est) et, si elle est mariée, son mari est le père légal. Le Code civil prévoit la possibilité de contester cette paternité, sauf en cas d’insémination artificielle. Mais dans le cas d’une GPA, il y a très majoritairement recours à une fécondation in vitro.
Sans se prononcer sur la gestation pour autrui en tant que telle, la Cour relève que la cause d’irrecevabilité prévue à l’article 318 § 4 vise à éviter des situations inéquitables dans le cadre d’un projet parental partagé entre époux via une fécondation in vitro. L’objectif, légitime, du législateur était d’imposer une loyauté entre époux à propos de ce projet de bébé et de le protéger contre toute contestation.
Le tribunal doit vérifier dans chaque cas
Cela étant posé, dans ce cas-ci, ni Sophie, ni son mari Grégoire n’ont de projet à l’égard de l’enfant, qui a été remis après sa naissance à Philippe et Christophe (ses parents d’intention). Selon la Cour, le consentement de Grégoire à l’insémination de son épouse impliquant sa présomption incontestable de paternité peut uniquement concerner un projet parental commun.
Le mari ne dispose d’aucun droit sur la personne et le corps de son épouse ; élargir ce consentement du mari à la situation d’une GPA effectuée pour réaliser le projet parental d’une autre personne entraînerait une ingérence injustifiée dans la vie privée du mari de la gestatrice, du père biologique et de l’enfant, ajoute la Cour.
La présomption de paternité du mari peut être contestée en cas de GPA par une femme mariée, si le couple n’a pas de projet parental à l’égard de l’enfant, conclut la Cour. Ce dernier point doit être vérifié par le tribunal dans chaque cas concret, insiste-t-elle.
Philippe va donc pouvoir poursuivre la procédure pour faire établir sa paternité à l’égard du petit bout âgé aujourd’hui de 20 mois.
Précisons encore que dans un arrêt récent (du 22 novembre 2022), la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) a condamné la Suisse pour un refus de filiation d’un enfant né par GPA à l’étranger et le père d’intention.
*Prénoms d’emprunt.