France

La réforme du RSA, nouvelle bombe sociale pour l’exécutif ?

La réforme des retraites n’est pas le seul sujet explosif entre les syndicats et le gouvernement. Ces mardi et mercredi, Élisabeth Borne va recevoir les cinq principaux syndicats (CFDT, CGT, FO, CFE-CGC, CFTC) à Matignon pour renouer le dialogue, et ces derniers ont prévu de mettre sur la table la réforme du Revenu de solidarité active (RSA). Car le projet de loi « Plein emploi » que le gouvernement présentera d’ici à juin prévoit la mise en place d’un système de contreparties pour les bénéficiaires du RSA.

L’idée est de leur demander de s’engager à suivre « un parcours intensif » de formation ou d’insertion de 15 à 20 heures par semaine. Il ne s’agira pas de « travail gratuit, ni du bénévolat obligatoire, il s’agit d’être accompagné pour retrouver un emploi, de se former, de découvrir des métiers, de reprendre parfois tout simplement contact avec le monde du travail », a précisé le ministre du Travail, Olivier Dussopt, au Figaro fin avril. Le gouvernement a d’ailleurs lancé le mois dernier une expérimentation de la réforme dans 18 départements. L’ambition étant de l’étendre progressivement pour la généraliser début 2027.

La philosophie de la réforme critiquée

Cette réforme, le gouvernement la justifie par sa volonté d’améliorer l’insertion professionnelle des bénéficiaires du RSA. Dans un rapport publié en janvier 2022, la Cour des comptes avait révélé qu’un bénéficiaire sur deux ne signait pas de contrat d’engagement réciproque et que 17 % d’entre eux ne disposaient d’aucun suivi. « Au total, sept ans après l’entrée au RSA d’une cohorte d’allocataires, seuls 34 % en sont sortis et sont en emploi – et parmi ceux-ci, seul un tiers est en emploi de façon stable », avaient ajouté les sages.

Mais l’esprit même de la réforme suscite une levée de boucliers. Dans un communiqué publié ce lundi, l’intersyndicale réaffirme son opposition à « la conditionnalité d’accès au RSA », qualifiée de mesure « de régression sociale ». Plusieurs associations de défense des plus précaires et des personnalités de gauche se sont aussi élevées contre. Des réactions décryptées par le sociologue François-Xavier Merrien, qui a mené des études auprès des bénéficiaires du RSA dans le Gers et en Bourgogne : « Cette réforme insinue l’idée que les bénéficiaires seraient des pauvres volontaires, ayant choisi de vivre des aides sociales. Alors qu’il s’agit souvent de personnes peu qualifiées, alternant les périodes de travail (avec des emplois précaires) et de chômage. Ou des personnes qui ont eu un accident de la vie : licenciement économique, problème de santé, rupture conjugale… »

Les propos de Macron sur les bénéficiaires du RSA ont crispé

Lors de son interview sur TF1 et France 2 fin mars, Emmanuel Macron avait d’ailleurs opposé les salariés aux bénéficiaires de minima sociaux : « Beaucoup de travailleurs disent : « vous nous demandez des efforts (mais) il y a des gens qui ne travaillent jamais  » ». Ce qui avait suscité des réactions indignées de la part des associations de lutte contre la précarité. « C’est un discours populiste qui vise à créer une alliance avec une partie des classes moyennes », estime François-Xavier Merrien.

Selon Benoit Reboul-Salze, délégué national ATD Quart-monde, une stigmatisation accrue des bénéficiaires des RSA pourrait avoir des effets en cascade : « Cette réforme risque aussi de dissuader certaines personnes de demander le RSA. Ce qui aggraverait encore le taux de non-recours à cette aide, qui est de 34 %. » Avec davantage de personnes très pauvres à la clé.

Des sanctions qui ne passent pas

Autre point critiqué : le projet de loi prévoit que le RSA pourra être suspendu temporairement, totalement ou en partie, lorsque le bénéficiaire refusera « sans motif légitime » d’élaborer son contrat d’engagement. Une mesure que fustige Benoit Reboul-Salze : « La logique de la carotte et du bâton ne fera pas avancer les bénéficiaires. Et elle risque d’engendrer une augmentation des personnes surendettées et des personnes à la rue ». Dans un communiqué publié ce lundi, l’Union nationale des centres communaux d’action sociale (Unccas) estime de son côté que « les mesures coercitives risquent de stigmatiser davantage les bénéficiaires du RSA et de les décourager dans leurs efforts pour retrouver un emploi ».

Enfin, la faisabilité de cette réforme est interrogée. « Le gouvernement veut présenter son projet de loi en juin alors que les expérimentations doivent s’achever en décembre 2023 », souligne d’abord Benoit Reboul-Salze. Des questions se posent aussi sur les moyens qui seront alloués à cette réforme : « Inscrire les bénéficiaires à France Travail et leur proposer un suivi personnalisé nécessitera le recrutement de très nombreux conseillers », souligne François-Xavier Merrien. Proposer 15 à 20 heures d’activité à 2 millions de personnes semble aussi complexe : « Cela représente 30 millions d’heures d’activité par semaine à trouver. Cela paraît impossible », estime Benoit Reboul-Salze. La possibilité pour chaque bénéficiaire d’honorer ses rendez-vous avec son conseiller lui semble aussi difficile : « Que se passera-t-il pour les personnes habitant à la campagne sans moyen d’être véhiculées, ou pour celles qui ne parviendront pas faire garder leurs enfants ? ».

Reste que malgré le risque de frictions fortes sur le sujet avec les syndicats et les associations caritatives, il ne devrait pas faire descendre beaucoup de monde dans la rue. « Il n’y aura pas de grandes manifestations autour de ce sujet, car il ne touche qu’une petite frange de la population, contrairement aux retraites », anticipe François-Xavier Merrien.