France

La réforme de Meloni « risquée » pour l’avenir de la démocratie italienne

La Ve République fait encore rêver, au moins de l’autre côté des Alpes. Mardi, la Première ministre italienne Giorgia Meloni a lancé un tour de table des partis pour présenter son projet de réforme constitutionnelle, pour laquelle elle estime avoir « le mandat des Italiens ». La dirigeante post-fasciste souhaite, dans un pays connu pour son instabilité politique, renforcer les pouvoirs de l’exécutif, et plaide pour un système à la française, dans lequel le président de la République serait élu au suffrage universel.

Forcément, une nostalgique de Mussolini qui souhaite concentrer plus de pouvoirs entre les mains d’une seule personne, ça a de quoi faire tiquer. « C’est risqué », concède sans détour Camille Bedock, chargée de recherches en sciences politiques au CNRS, interrogée par 20 Minutes. Voire le système français pris en exemple par la dirigeante d’extrême droite est même « une raison de se mettre en garde contre notre propre système », souligne-t-elle.

Le prix de la stabilité française

Qu’est-ce qui fait tant rêver Meloni et les Italiens dans la Constitution française ? Pour le comprendre, il faut revenir aux lendemains de la Seconde Guerre mondiale. Dans les démocraties victorieuses, le parlementarisme a le vent en poupe. Mais l’Italie et la IVe République vont vite souffrir d’une instabilité chronique, avec des Chambres sans majorité claire, des coalitions qui se font et se défont. Au paroxysme de la crise en Algérie, la France va alors changer de régime, et opter pour un homme fort, le général de Gaulle. « La France est vue comme un pays qui avait des institutions instables et a réussi à trouver une stabilité », explique Camille Bedock.

Une réussite enviée par le cousin italien, qui « en est au 68e gouvernement depuis la fin de la guerre », il y a 78 ans, compte Marie-Claire Ponthoreau, professeure de droit public à l’Université de Bordeaux. Les Italiens sont tentés par « une efficacité qu’ils n’ont pas », ajoute-t-elle. Mais « on voit le prix à payer de la stabilité en termes de représentativité, de risques de dérives » avec la crise politique actuelle en France, prévient Camille Bedock. « On est aux limites du système », renchérit Marie-Claire Ponthoreau, selon qui « on a en France des éléments qui pourraient laisser penser qu’un autoritarisme pourrait se développer » dans le contexte italien.

Une réforme impossible ?

Giorgia Meloni surfe ainsi sur un vieux fantasme italien, qui date « au moins de la fin des années 70, encore plus fort depuis les années 90 », selon Camille Bedock. « La question de la réforme constitutionnelle est un serpent de mer », expose Marie-Claire Ponthoreau. Le dernier à s’y être confronté est Matteo Renzi, président du Conseil entre 2014 et 2016, qui avait démissionné après l’échec d’un référendum. Le chef de gouvernement de centre-gauche prévoyait alors de mettre fin au « bicaméralisme paritaire », où le Sénat pèse autant que la Chambre des députés.

Cette incapacité à se réformer pourrait paradoxalement protéger la Constitution italienne des ambitions de Meloni. « Il y a plein d’étapes pas évidentes à franchir », rassure Camille Bedock, qui estime que même si la cheffe du gouvernement d’extrême droite enjambe le Parlement, « on peut supposer qu’il y aurait une campagne acharnée des partis d’opposition » pour faire échouer le référendum. D’ailleurs, quel texte serait alors présenté aux Italiens ? La réunion de mardi devait simplement servir à « voir quelles sont les options sur la table », indique Marie-Claire Ponthoreau. En dehors de Fratelli d’Italia, l’élection du président n’est pas très populaire parmi les partis politiques.

« Le projet de Meloni n’est pas clair »

La transposition du système français à l’Italie est-elle seulement possible ? Contrairement à celui de la IVe République, le président italien « ne sert pas qu’à inaugurer les chrysanthèmes. C’est l’une des institutions qui fonctionne bien en Italie, il joue le rôle d’arbitre et peut régler des crises », détaille la professeure de droit public. Par ailleurs, « il faut trouver une formule qui respecte » la puissance des régions, bien plus autonomes qu’en France. « Le projet de Meloni n’est pas clair », tranche Camille Bedock.

« S’il y a un accord, ça serait sur le renforcement du rôle du chef de gouvernement », et sa possible élection, estime Marie-Claire Ponthoreau. « C’est prématuré d’anticiper une situation à la hongroise ou polonaise », analyse-t-elle. Si une réforme était approuvée, elle n’entrerait de toute façon en vigueur qu’en 2029, à l’échéance du mandat de Sergio Mattarella, président en exercice. D’ici là, difficile d’imaginer que le paysage politique soit le même, dans cette Italie politique en constante recomposition.