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« La réalité, c’est que le résultat ne rend pas heureux », dit Florent Manaudou

Et si Florent Manaudou tenait son déclic ? En petite forme après des JO 2021 ayant marqué son retour au sommet de l’Olympe, le nageur français est allé se refaire la cerise, fin avril, aux championnats de Belgique (victoire sur 50m nage libre en 21 »98). Un chrono à confirmer dès ce week-end : le sprinteur replonge à Canet-en-Roussillon en espérant nager toujours plus vite, et mieux. Entre les deux, Florent Manaudou s’est livré à 20 Minutes au détour d’une opération médias pour son sponsor Arena. Où il est question de montée en puissance vers Paris 2024, de ses retrouvailles avec son coach de toujours et de santé mentale de l’athlète.

Comment vous êtes-vous retrouvé à disputer les championnats de Belgique ?

Je devais nager à Marseille, à Nice et à Saint-Germain-en-Laye, fin février mais je suis tombé malade. J’ai eu une grippe. J’ai donc cherché une compétition pas trop loin histoire de me jauger. On a trouvé cette compétition. Les championnats nationaux sont souvent ouverts : sur les championnats de France on a aussi des étrangers.

Vous êtes satisfait de ce que vous avez pu produire là-bas ?

C’est la première course depuis mon retour, en 2019, où j’ai senti que je maîtrisais les choses comme avant, même si ce n’est pas encore parfait. Sur mes meilleurs temps, je sais qu’en termes d’efficacité, je vais être à 34 ou 35 coups de bras. Si je fais 38 mouvements, c’est que je ne prends pas assez d’eau. En Belgique, j’étais très efficient. Et en matière de m/s, de vitesse, je suis resté stable sur tout le 50m et c’est ce qui me plaît. Je préfère faire 21s98 comme ça que 21s70 mal faites.

Il y a un paradoxe dans votre discours dans le sens où vous êtes d’un côté parfaitement à l’écoute de vos sensations, et de l’autre, vous êtes accro à la data. Qu’est-ce que ces données vous apportent ?

D’abord, il faut savoir les prendre en compte, les utiliser correctement, mais pas trop tomber dedans. La data, c’est la data, mais il faut avoir un ressenti. Il peut y avoir un décalage entre le ressenti et ce que nous montrent la data ou la vidéo. Mais oui, j’ai toujours aimé la data, j’ai toujours aimé me comparer à ce que je faisais avant, ce qui n’est pas forcément bien… J’ai dix ans de plus qu’il y a dix ans (il sourit). Il faut donc faire attention à ne pas se perdre dans les données. Mais il y a des marqueurs importants.

Par exemple, j’ai une bague qui traque mon sommeil. J’ai mes datas depuis octobre et je sais à quelle heure je dois me coucher idéalement pour être le mieux possible. J’ai appris qu’il fallait que je mange un peu plus tôt pour que mon corps digère plus tôt et que je puisse dormir plus tôt. Avant, je pouvais manger à 21h pour me coucher à 22h30, maintenant non. Mais il faut aussi savoir décrocher. Il y a des moments où, si je dîne avec des potes, je vais manger à 21h sans problème.

C’est une charge mentale, de se traquer tout le temps ?

Il faut le prendre à la cool. C’est un indicateur et ça ne doit pas être une vérité. Ça m’aide dans ma perf, mais ce n’est pas ma vérité. Il m’est déjà arrivé de dormir cinq heures dans la nuit et d’être super bien, ou d’en dormir huit et d’être moins bien. L’idée, c’est avant tout de comprendre le fonctionnement de mon corps sur le long terme.

Vous disiez un peu plus tôt aimer nager de plus en plus vite. Le but est d’avoir une progression linéaire jusqu’au JO ou d’être au top dès les Mondiaux 2023 ?

Ça va dans l’ordre des choses de nager de plus en plus vite au cours d’une saison. Là, je vais faire deux compétitions : une à Canet-en-Roussillon, l’autre à Barcelone. Dans ma tête je me dis que je vais faire 21s8 à Canet, 21s7 à Barcelone, 21s5 aux championnats de France et 21s3 aux championnats du monde. Mais si ça se trouve, je vais faire 22s, 22s2, puis 21s4 et 21s7. Mais j’aimerais beaucoup nager de plus en plus vite, car ça construit la confiance. Pendant un an, je n’ai pas bien travaillé parce que je me suis pris une année semi-sabbatique dans le but d’arriver frais aux Jeux à Paris. Le travail que j’ai fait depuis septembre commence à payer et je commence à reconstruire cette confiance que je n’ai plus envie de perdre.

Ça n’a pas toujours été le cas, mais avec l’expérience, vous réussissez à gérer les potentiels moments de creux ?

Pour tout avouer et sans mauvais jeu de mots, je sors la tête de l’eau parce que j’avais un problème de confiance depuis la fin des JO 2021. Etant donné que je n’avais pas beaucoup bossé, forcément, je n’ai pas nagé vite. Et quand on ne nage pas vite, on veut se rassurer en nageant plus vite, peu importe le niveau d’expérience. Le sprinteur peut faire un raccourci facile et se dire : « il faut que je nage vite, donc je vais tourner les bras vite ». Mais c’est la manière qui apporte la performance, pas le fait de penser très fort à une performance qui va la faire arriver. Aux championnats de Belgique, moi qui ai des problèmes avec la patience, j’ai enfin été patient. Je commence à reconstruire ma confiance. Elle est là, mais elle est petite, car je n’ai fait qu’une bonne performance. Mais d’ici les JO ça ira beaucoup mieux, parce que je suis bien focus depuis janvier.

Se remettre la tête à l'endroit
Se remettre la tête à l’endroit – Mine Kasapoglu

C’est aussi pour ça que vous avez réintégré James Gibson dans votre staff ?

Oui. James m’apporte de la sérénité dans ma préparation. Ce n’est pas forcément les entraînements qu’il me fait… Si un coach avait trouvé la recette pour faire nager vite tous les nageurs, ça se saurait. Tous les coachs font à peu près la même chose en termes d’entraînement. Mais je sais que James m’a déjà fait nager vite, que James a déjà fait nager vite des sprinteurs, dont ma fiancée [Pernille Blume], qu’il a fait nager vite des Chad Le Clos… Quand j’étais juste avec Yoris Grandjean et Quentin Coton [ses deux autres entraîneurs], on faisait à 95 % les mêmes séances que ce que James envoie. Mais on se demandait si c’était bien de le faire au moment où on le faisait, s’il ne fallait pas faire plus de ceci, moins de cela. C’était incertain. On était novices, autant eux que moi Maintenant, le trio avec James est hyper équilibré. Et pourtant, James, je ne l’ai vu que trois fois depuis janvier. Je l’ai quatre ou cinq fois au téléphone dans la semaine, il débriefe et échange avec les coachs.

Gibson dit que vous ne pouvez pas être constamment à 100 %, que vous avez besoin de « certains moments pour respirer et être français ». Qu’est-ce que ça peut bien vouloir dire ?

(Rires) Je ne sais pas ! Il est anglais, on ne sait pas comment on nous perçoit dans le monde entier, mais moi, je suis très comme ça. On m’a toujours dit que j’étais très intelligent dans l’entraînement. Je n’écoute pas toujours le coach.

Vous êtes un rebelle ?

Je ne le vois pas comme ça. Quand je reçois un programme de l’année, de la semaine, ou d’une séance, je sais où je dois être bon. Je me fixe des moments où je m’interdis d’être mauvais. Généralement, dans ces moments-là, je suis largement meilleur que les autres à l’entraînement. Mais à côté de ça, il y a des séances ou je suis un peu en dessous. J’ai besoin de moments à 120 % et à 80 %. Les moments à 120 % sont les moments que j’estime être importants, et James l’a très bien compris et les autres coachs aussi.

C’est un peu le secret votre longévité, non ? Parce qu’on peut commencer à parler de longévité, il n’y en a pas beaucoup qui dans le sprint ont connu de carrière très longue.

J’ai choisi ma vie. Quand j’ai arrêté en 2016, les gens ont dit « oh, il arrête alors qu’il nage super vite ». Mais je m’en fous. J’arrête parce que je n’ai plus envie de nager. Je ne nage pas pour les autres, même si le sport est un spectacle et qu’on donne du plaisir aux gens J’ai lu une interview de Max Verstappen où il dit qu’il arrêtera peut-être en 2028 parce qu’il n’est pas là pour battre des records. C’est génial. Le mec fait ce qu’il veut, c’est sa vie. Quand on devient célèbre par le sport, on appartient aux gens. Et les gens veulent décider de notre propre carrière. Mais si j’ai envie de faire autre chose, je fais autre chose. On se fait juger en tant que personnage public, mais ça ne m’empêche pas de faire mon chemin. Ça ne m’a pas trop mal réussi pour le moment.

On sent qu’il y a quand même une bienveillance assez inédite autour du bien-être et de la santé mentale des sportifs de très haut niveau, non ?

On en parle beaucoup plus. On se rend compte que le résultat n’importe que très peu dans la santé mentale. Simone Biles, multiple championne olympique, Michael Phelps, Caeleb Dressel… Que des multiples médaillés olympiques. Des types dont on pourrait se dire qu’ils sont heureux parce qu’ils ont obtenu ce pour quoi ils se sont entraînés toute leur vie. Mais la réalité c’est que le résultat ne te rend pas heureux. Evidemment, sur le moment, c’est un truc de ouf, mais quand, deux semaines après tu dois replonger, la santé mentale rentre en jeu. Il n’y a pas beaucoup de métiers où tu es confronté aux meilleurs du monde et où, une fois que tu as été premier, tu ne peux plus faire mieux. Si tu fais 4e après avoir été premier, on va dire que tu as régressé.

Est-ce que, concernant la plupart des athlètes que vous avez cités et dans lesquels on peut vous inclure, il y a aussi cette fatalité du champion précoce ? Vous avez commencé par gagner les JO, donc littéralement par ce qui se fait de mieux dans le sport.

Quand tu gagnes, tu t’y habitues, et les autres aussi. Tu atteins un niveau qui n’autorise plus la progression. Par contre, si tu as été 2e la fois d’après, tu as été moins bon. Donc tu t’entraîneras toute ta vie pour être moins bon. Pour prendre un exemple très récent, les gens ont été très déçus de perdre la finale de la Coupe du monde de football contre l’Argentine. Les gars sont quand même en finale. Ils sont 2e. Et nous, on est tristes parce qu’ils ont gagné la dernière fois. On se détend, les gars. Combien ne sont même pas allés en finale ? Il ne faut pas croire que parce qu’on a gagné une fois, on va gagner toute notre vie. Ça ne marche pas comme ça. Et selon ce mode de raisonnement, 4e, c’est un mauvais résultat. Mais c’est faux ! J’ai fait 1er sur 7 milliards, puis 2e sur 7 milliards, etc. C’est quand même pas mal (rires).

Malgré ça, vous avez retrouvé un sens à tout ce que vous faites au quotidien dans le bassin ?

Je marche au plaisir. Là je suis très bien en ce moment, mais si demain je vais mal, j’arrête. Ça ne sera pas le cas, parce que je suis super bien. Mais c’est ce qu’il s’est passé en 2016 : j’avais d’excellents résultats, mais j’avais envie de faire autre chose, et j’ai arrêté. Je fais un peu ce que je veux.

Plonger dans le grand bain
Plonger dans le grand bain – Alfredo Falcone

Il y en a un, qui marche très bien et à qui on met déjà beaucoup de pression, c’est Léon Marchand. Pour le moment il est un peu dans sa bulle, mais en anticipant les JO 2024, l’aspect psychologique est une chose sur laquelle vous pourrez lui apporter votre expérience ?

Je pense qu’il est hyper bien en ce moment. Si je vois qu’il est bien, je ne vais pas aller lui parler, lui mettre des idées dans la tête, ça serait inutile. Mais si je vois qu’il souffre un peu de ça, oui, évidemment. Je lui parlerai forcément avant les Jeux, parce que les Jeux à la maison c’est différent. Même si moi je ne l’ai jamais vécu, je connais beaucoup d’athlètes qui ont fait les Jeux chez eux et c’est une approche différente, donc je discuterai avec lui, mais comme je discuterai avec tous les autres membres de l’équipe de France.

Vous serez un peu en mode capitaine dans le vestiaire ?

Oui ! Après, c’est mon rôle. J’ai été éduqué par les plus anciens d’autres générations, et j’essaye de rajouter ma patte et d’essayer d’expliquer ce que j’ai compris du sport de haut niveau. Mais chacun a son histoire et vit sa carrière comme il l’entend.