France

La K-Food, l’autre soft power de la Corée du Sud pour diffuser sa culture

Rue d’Antin, dans le 2e arrondissement de Paris. Bouchera pianote sur son téléphone en attendant son plat. Puis, sous les effluves de piment et de viande grillée émanant de la cuisine, une serveuse se dirige vers elle. Elle dépose sur la table un bibimbap crépitant encore dans sa petite marmite en pierre chauffée. Du riz, des légumes sautés, de la viande de bœuf, le tout agrémenté d’un œuf au plat… Bouchera est venue chercher un peu de Corée du Sud chez Gatt. « Ce qui me plaît, c’est le mélange de saveur. C’est à la fois frais et légèrement épicé », explique la jeune femme de 27 ans.

Comme elle, ils sont nombreux à être séduits par la hansik, la cuisine coréenne. Si en France, le nombre de restaurants serait globalement stable en province – une petite centaine – il aurait en revanche doublé dans la capitale en l’espace de quelques années. Selon la Korea Agro-Fisheries and Food Trade Corporation, une organisation gouvernementale sud-coréenne, Paris en compterait aujourd’hui 250, contre 120 en 2018.

La promo des films et séries

Cette K-food participe à la hallyu (la popularisation de la culture coréenne) au même titre que le cinéma, la musique – la K-pop – ou les séries – les K-dramas -. Et ces autres piliers en font aussi sa promotion, la cuisine coréenne étant fortement mise en valeur dans l’industrie du divertissement. « Dans toutes les séries et les films, il y a de longues scènes dédiées au temps du repas. On y voit les Coréens soit en train de boire [du soju], soit en train de manger, et ça donne envie de consommer comme eux », explique Luna Kyung, autrice de Corée Gourmande (ed. Mango, novembre 2022).

Exemple avec Parasite, primé à quatre reprises aux Oscars en 2020. Dans une scène, une mère de famille mélange deux types de nouilles instantanées de la marque Nongshim. Dans la foulée, la firme coréenne, cotée en Bourse, a vu ses ventes de ramen atteindre des records outre-Atlantique, avec une hausse de 26,5 % des ventes aux Etats-Unis, selon un article du Korea Herald. Et ce n’est pas le fruit du hasard. « C’est une manière pour l’industrie du divertissement de faire connaître cette culture au monde. Cela passe par les placements de produits culturels, très utilisés dans les clips vidéo et dans les K-dramas », poursuit Benjamin Joinau, anthropologue et professeur à l’université de Hongik, en Corée du Sud.

En témoignent les séries axées autour de la cuisine coréenne. Dans Business Proposal, qui parle d’une entreprise agroalimentaire rêvant de mondialiser le kimchi et les raviolis coréens, les protagonistes mettent en avant, tout au long de la série, les produits de la société Bibigo. La rom-com, diffusée à l’international sur Netflix, a permis à l’entreprise d’augmenter ses bénéfices de plus de 3,5 % sur l’année 2022, selon la compagnie mère, CJ CheilJedang.

« Korean Cuisine to the World »

Mais la promotion de la K-food est aussi une affaire gouvernementale. Dès 2008, le Premier ministre de l’époque, Han Seung-soo, annonçait le « début de la mondialisation de la cuisine coréenne ». L’année suivante, Séoul lançait la campagne « Korean Cuisine to the World », avec l’objectif de figurer dans le top 5 des cuisines du monde d’ici à 2017.

Le lobbying a été mis en place sur le terrain, avec des cours proposés dans les écoles de cuisine et les centres culturels, notamment à Paris. Autre initiative : les festivals gastronomiques. Depuis 2016, la mairie du 15e arrondissement organise par exemple chaque année la Korea Expo, où sont mises à l’honneur les spécialités culinaires. « La Corée du Sud a développé sa gastro-diplomatie pour rayonner à l’international. Des plats totalement inconnus, comme le bulgogi, commencent à gagner en popularité à l’étranger et deviennent des marqueurs identitaires du pays », atteste Benjamin Joinau.

Les grandes soeurs chinoise et japonaise

Au final, la Corée du Sud n’a pas obtenu le résultat escompté ; elle se plaçait au 19e rang du TasteAtlas en 2022. Mais la progression est là. Selon le Korea Food Promotion Institute, le nombre de restaurants coréens à l’étranger est passé de 10.000 à plus de 33.000 entre 2009 et 2018. Avec près de 400 établissements dans le monde, l’enseigne de poulet frit Bonchon témoigne de cette ascension.

Certes, la K-food est encore loin de concurrencer ses voisines chinoise et japonaise. Mais elle « va devenir une cuisine importante, au même titre que la cuisine péruvienne, en plein essor », conclut Benjamin Joinau.