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JO de Paris 2024 : Est-ce encore possible de relever le défi de la sécurité privée ?

20.000, 25.000, 30.000… Les chiffres fluctuent mais la réalité est bien là : il va falloir recruter en masse pour assurer la « bosse des besoins en agents de sécurité privée durant les JO », expose Nadine Crinier, directrice régionale de Pôle emploi Île-de-France. En théorie, la sécurité privée s’occupera de l’intérieur et de l’accès des sites sportifs. Mais la première vague d’appel d’offres, représentant 25 % des besoins et qui s’est clôturée il y a une quinzaine de jours, a montré l’étendue du chantier : un lot sur cinq n’a pas trouvé preneur.

La faute notamment au manque de personnels. « La profession est déjà en tension. On estime à environ 20.000 le nombre d’agents manquants à l’instant T » , explique Cédric Paulin, secrétaire général du GES, le syndicat national patronal des entreprises de la sécurité privée, un chiffre confirmé par la directrice régionale de Pôle emploi.  « En Île-de-France, il y a un peu moins de 8.500 demandeurs d’emplois formés à la sécurité privée. Leur nombre est très faible et les inscrits retrouvent très rapidement un emploi. C’est un chômage résiduel ». On peut donc estimer à quelque 40 à 50.000 personnes les besoins actuels pour faire face à la préparation des Jeux à Paris en 2024 en plus de l’activité régulière. Comment le comité d’organisation compte-t-il y faire face et gérer cette branche indispensable pour un tel événement ?

Une formation plus light pour faire face au pic de besoins

Comme en 2016 pour la tenue de l’Euro de foot en France, une formation dite allégée a été instaurée pour former plus rapidement les personnes intéressées. « Cette formation adaptée fait partie d’un dispositif temporaire, narre le secrétaire du GES. Elle va pouvoir servir aussi pour la Coupe du monde de rugby en septembre. C’est la raison pour laquelle elle a été mise en place tôt ». En effet, depuis le début du mois d’avril, les sessions de cette formation, réduite de cinq à trois semaines ont débuté. « A la fin de ces 106 heures, les personnes formées obtiennent une certification qui leur permet de travailler dans la sécurité de l’événementiel uniquement », précise-t-il.

« C’est la garantie en trois mois d’être formé et de trouver un emploi, la plupart du temps en CDI puisque huit offres sur dix proposent ce type de contrat », renchérit Nadine Crinier. L’offre est alléchante mais sera-t-elle à la hauteur de l’enjeu ? « A 500 jours du début des JO, le pari est de taille, admet le député Guillaume Vuilletet, député du Val-d’Oise (Parti écologiste), rapporteur sur le projet de loi relatif aux JO de 2024. Mais tous les agents recrutés n’en font pas forcément un projet de vie. Certains peuvent l’envisager sur une période de trois mois, juillet, août et septembre 2024. Ce n’est donc pas anormal que les premiers coups de pédalier soient plus lents que les autres », disserte-t-il, confiant.

Des opportunités à saisir si le budget suit

Plus prudent, Cédric Paulin donne rendez-vous en septembre pour faire un point après les trois appels d’offres directs passés par Paris 2024 qui devraient constituer 50 % des besoins d’effectifs.

28 entreprises ont été retenues pour cette première manche, durant laquelle le critère prix a été largement prédominant. Les sociétés de sécurité privée ne se porteront candidates que si les marchés sont rentables. Sans oublier que leur activité courante ne s’arrête pas et pourrait même connaître des pics : certains ont déjà demandé à leurs prestataires des renforts pendant la période des Jeux pour l’organisation d’une fête ou la réception d’un client à l’occasion des JO. L’autre moitié sera recrutée directement par des EDE, des grands organisateurs comme le stade de France, le château de Versailles, Roland-Garros, qui ont eux-mêmes une délégation et passeront directement des marchés avec les prestataires ».

Du côté de Pôle emploi Île-de-France, on table sur 15.000 personnes formées en 2023, et 5.000 début 2024. « Notre deadline, c’est la fin du mois d’avril 2024, daté à laquelle seront délivrées les accréditations pour ces personnels », relate Nadine Crinier, qui ajoute qu’en plus de la sécurité privée, « les besoins dans la restauration, plus de 10.000 postes, dans le secteur des transports, entre 3 à 4.000 et dans le secteur du nettoyage, 2.500, seront aussi importants ». Elle salue un secteur « qui intègre des publics très divers – seniors, chômeurs de longue durée – pour qui la formation allégée de sécurité privée peut constituer une opportunité de trouver un emploi dans un délai court ».

L’apport des étudiants

Les étudiants devraient aussi être sollicités : l’objectif est d’en recruter 3.000 pour les JO mais pas que. « On insiste auprès des organismes de formation agréés pour qu’ils proposent le module complémentaire, afin qu’à l’issue des JO, ils puissent continuer à travailler dans la sécurité privée, que ça devienne un job d’étudiant ponctuel », explique Cédric Paulin. Car la professionnalisation progressive du secteur a fait disparaître ce travail d’appoint. « Sur vingt ans, on a perdu le monde étudiant. Avant dans l’événementiel, on trouvait pas mal d’étudiants qui assuraient une vacation un soir de match ou dans un théâtre. Mais avec le durcissement de la réglementation, on les a perdus. Ce qui explique aussi en partie sur le long terme la pénurie d’agents de sécurité privée ».

Les effectifs principaux viendront des demandeurs d’emploi mais il n’y en a pas assez. Les 3.000 places de formation à destination des étudiants et des formateurs de clubs sportifs peuvent permettre d’aller dans le bon sens. A Pôle emploi, on attend de passer la période estivale, plus propice pour ce type de public, pour faire un bilan. Pour l’heure, il n’y a pas de sujet d’inquiétude », assure Nadine Crinier.

En six mois, de septembre à fin février, « 2.480 entrées en formation ont déjà été validées contre 2.800 en 2022 en année pleine », appuie-t-elle. En revanche, la pénurie pourrait être particulièrement prégnante du côté des femmes avec une profession qui peine à se féminiser.

Où sont les femmes ?

Pour tenter d’inverser la vapeur, alors qu’actuellement sur dix professionnels de la sécurité privée en France, seulement deux sont des femmes, la Fédération française de la sécurité privée (FFSP) lance une campagne de communication pour promouvoir la féminisation de leurs métiers. « Ces inégalités restent importantes dans les métiers de la sécurité privée, accentuées par la prégnance de stéréotypes de genre dans le choix de l’emploi à occuper, détaille Pierre Brajeux, président délégué de la Fédération française de la sécurité privée (FFSP). Nos ambitions de mixité sont grandes. Nous avons la responsabilité de prouver aux femmes que nos métiers leur offrent de réelles opportunités de carrière ».

La volonté de recruter davantage de femmes correspond aussi à un objectif de terrain. « Dans un stade, la proportion entre hommes et femmes est d’environ 80-20, ce qui tombe bien puisqu’il y a environ 85 % de stadiers et 15 % de stadières, analyse aussi Guillaume Vuilletet. Or, pendant les JO, il devrait y avoir une quasi-parité chez les spectateurs. Même si on arrive à compenser un peu, il y a quand même un risque qu’il y ait un vrai déséquilibre lors de la fouille ». Pour lui, la solution immédiate pourrait se trouver dans l’autorisation d’utiliser les scanners millimétriques à l’entrée des sites de compétition des JO.

L’armée, le dernier renfort ou la solution de facilité ?

La marche serait-elle trop haute dans l’absolu ? « Jamais le Cojo n’arrivera à recruter d’ici un an les personnels nécessaires en sécu privée », confiait à l’AFP un haut fonctionnaire il y a quelques semaines. Malgré tous les efforts pour recruter tous azimuts, le recours à l’armée, comme à Londres, est-elle une option déjà envisageable ? Dans la capitale britannique, en 2012, les autorités britanniques avaient été contraintes de mobiliser plus de 3.000 militaires supplémentaires, 15 jours avant le début des compétitions, la compagnie privée de sécurité chargée de fournir des gardes ayant fait défaut au dernier moment.

Suivant l’exemple de Gérald Darmanin fin janvier, Cédric Paulin temporise mais reste ferme. « Il reste encore du temps et le Cojo peut faire évoluer sa politique d’attribution des lots et son analyse des critères ». De son côté, Paris 2024 ne cache pas que « tous les scénarios sont sur la table », selon Etienne Thobois, le directeur général du comité d’organisation des JO. Un nouveau casse-tête pour un Cojo déjà bien sollicité.