France

Grève des éboueurs : « Elle trouve un trottoir moins chargé sur le chemin de son travail pour déposer ses poubelles »

Depuis un peu plus d’une semaine et les premiers jours de grève des éboueurs parisiens contre la réforme des retraites, les déchets commencent à s’accumuler dans les rues de la capitale. En tout, ce sont près de 5.600 tonnes, selon la municipalité, de sacs-poubelle, cartons d’emballage, détritus en tout genre qui inondent les trottoirs faute de n’avoir pu être collectées.

En parallèle à la lutte politique que se livrent la municipalité de Paris et le gouvernement, les Parisiens se voient obligés d’improviser et de s’adapter à l’invasion, principalement dans les rues denses et commerçantes, par exemple, la rue du Faubourg Montmartre dans le 9e arrondissement.

Garder ses poubelles le plus longtemps possible

« On va bientôt devoir marcher sur la chaussée ! » Plus amusée que dépitée, pour le moment, Jackie habite le quartier depuis plusieurs décennies : « C’est une rue spéciale, il y a des logements, des commerces, des restaurants, des bureaux et les théâtres », commente la sexagénaire pour justifier de l’affluence en ce lundi matin.

Une fréquentation qui justifie également les amas de poubelles qui jonchent les trottoirs. « C’est cinq mètres de trottoirs, cinq mètres de poubelles, sur toute la rue », constate Kiliane, habitante de la rue qui descend justement un sac qu’elle superpose à des dizaines d’autres devant son immeuble : « J’ai essayé de le garder le plus longtemps possible chez moi mais là ça commence à vraiment sentir. »

Pourtant, la jeune femme avait trouvé une astuce pour épargner aux badauds un sac supplémentaire sur le trottoir de sa rue : le stocker pendant quelque temps sur le rebord de sa fenêtre à l’extérieur : « Ce n’est pas vraiment un balcon, mais il y a la profondeur pour un sac-poubelle. C’était pratique jusqu’à ce que mes voisins se plaignent. » Tancée par ses voisins de palier, et de fenêtre, elle s’est résolue à rentrer ses détritus dans sa cuisine. « Franchement, il ne sent pas à l’extérieur, et ça soulage un peu les trottoirs. Je pense retenter ma chance, à moins que mon propriétaire ne m’appelle pour me demander d’arrêter. »

Délocaliser ses déchets

Si cela arrivait, Kiliane envisagerait de prendre exemple sur une voisine qui transporte tout simplement ses déchets… plus loin : « Elle met ses poubelles dans un Tote bag et trouve un trottoir moins chargé sur le chemin de son travail. »

Elle n’a pas la chance, comme Bernard de profiter d’une cour et de la collaboration de ses voisins d’immeuble : « On s’est mis d’accord pour stocker dans la cour tous les déchets non alimentaires. » Avec de la bonne volonté, Bernard explique même comment il a organisé, avec sa femme, une entreprise de pliage des cartons et emballage afin d’en limiter le volume : « Ça a donné des idées aux voisins qui nous copient maintenant. Un a même ramené deux caddies, d’on ne sait où, pour pouvoir les mettre dedans. Ça évite qu’ils traînent par terre. » Fier de cette organisation, Bernard sait qu’elle ne durera qu’un temps, la cour n’étant pas extensible.

Alimentaire et peur des rats

Surtout, pour les déchets alimentaires et organiques, la destination de transition reste bien la rue. Pour limiter les odeurs de ses déchets et pouvoir les garder plus longtemps dans son studio, Martin a commencé à nettoyer les emballages alimentaires. Une méthode dont il doute de la valeur écologique mais qui permet au moins de rendre la situation un peu plus tenable selon lui : « Et puis je me force à ne rien jeter. Ça m’oblige à tout finir. » Une habitude facile à prendre pour celui qui dispose d’un petit budget alimentaire : « J’ai pensé à me mettre au vrac. Mais pour le moment, c’est encore trop cher pour mes finances d’étudiants. »

Aucun tranche de la rue du Faubourg Montmartre n'est épargnée
Aucun tranche de la rue du Faubourg Montmartre n’est épargnée – R.Le Dourneuf/20 Minutes

Ceux qui pourraient voir leur budget alimentation augmenter avec cette grève, ce sont bien les rats du quartier : « Pour le moment, on ne les voit pas plus que d’habitude, mais c’est vrai qu’on craint une multiplication avec les déchets, d’autant plus qu’on utilise beaucoup de matières premières », redoute Cécilia, employée à la boulangerie Denis. En effet, avec tous les commerces de bouche qui ornent la rue et ses artères adjacentes, la crainte de voir nos voisins du sous-sol sortir davantage s’étend malgré les efforts des commerçants.

« Jusqu’à maintenant, on a réussi à les stocker en bas, explique un employé du restaurant Mamie, mais on est limité en place, il va bien falloir les sortir. »

Des tensions entre commerçants

Un restaurateur de la rue, confie avoir trouvé une solution plus « radicale » : transporter ses déchets dans une rue perpendiculaire à la rue du Faubourg Montmartre : « Je ne suis pas fier, mais ça commence à trop s’accumuler devant ma boutique et il n’y a presque rien dans les rues d’à côté. Je suis désolé pour les voisins, mais il faut bien disperser. »

Gageons qu’il ne fait pas partie des voisins dont se plaint Jean, directeur du Franprix de la rue Geoffroy-Marie : « On s’organise pour limiter au maximum de mettre les déchets alimentaires sur le trottoir. Mais certains en profitent. » En effet, pour faire face à l’absence de ramassage des déchets, le commerçant a sorti une de ses bennes à ordures pour y mettre ses déchets, à l’abri des rongeurs et pour éviter qu’ils ne s’éparpillent dans la rue. Problème, d’autres commerçants en profiteraient sans son consentement : « Le pire, c’est qu’ils mettent de la viande. Avec la putréfaction, les odeurs ne sont pas les mêmes. »

Reste le choix du privé

Heureusement pour lui, il bénéficie de la compréhension d’une plateforme du groupe qui reprend certains de ces déchets, habituellement réservés aux éboueurs : « On fait des ballots de cartons, bien compacts et filmés qu’on leur envoie ensuite. » Un ballot est justement présent dans le magasin, pas le choix, plus de place dans les stocks : « Ce n’est pas très esthétique, mais ce n’est pas sale ni en contact avec les produits. Et puis ça ne reste pas longtemps. »

Comme lui, l’Hôtel Pulitzer, situé quelques dizaines de mètres plus loin fait appel à un service privé chargé de passer tous les trois jours pour récupérer tous les déchets : « C’est indispensable pour un hôtel quatre étoiles », explique une employée à l’accueil. Sa collègue confie devoir parfois pousser de quelques mètres les déchets accumulés sur le trottoir lorsque ceux-ci s’approchent un peu trop de la vitrine mais avoue craindre être dépassée si la grève continue trop longtemps.

Elle en saura sans doute un peu plus ce mercredi, avec la réunion de la commission mixte paritaire qui permettra d’en savoir plus sur la poursuite, ou non, du mouvement. Quoiqu’il arrive, il faudra tout de même s’armer de patience puisque Emmanuel Grégoire, premier adjoint d’Anne Hidalgo à la Mairie de Paris a confié lors d’un point presse, ce lundi qu’il faudra plusieurs jours, après la fin du mouvement de grève, pour résorber tous les déchets accumulés.