France

Forbes : Pourquoi tant de Français parviennent à se hisser en haut du classement des milliardaires

La France avait déjà le meilleur joueur du monde de football avec Kylian Mbappé (si, si…). Et de rugby, en la présence d’Antoine Dupont. Elle possède à présent le milliardaire le plus riche de la planète. Bernard Arnault (et ses 211 milliards de dollars estimés) trône en première position du classement annuel des milliardaires Forbes, dont l’édition 2023 est sortie ce mardi. La France fait même coup double puisque, chez les femmes aussi, une Française domine : Françoise Bettencourt Meyers (80 milliards).

On pourrait presque parler de génération, car cinq Français et Françaises figurent dans le top 50. C’est certes faiblard face au rouleau compresseur américain – 25 citoyens dans le top 50 –, mais la France est la deuxième nation la plus représentée, devant la Chine (4), l’Allemagne et Hong Kong (3 chacun) et l’Inde (2).

Le raz-de-marée du luxe

Pour expliquer cette « performance », il suffit de regarder le profil de ce quinté de tête français. Tout passe par le luxe et les cosmétiques. Bernard Arnault (1er mondial) est le président fondateur de LVMH. Françoise Bettencourt Meyers (11e mondiale et 1re femme), l’héritière de L’Oréal. François Pinault (28e mondial) est quant à lui le fondateur de Kering. Enfin, Alain et Gérard Wertheimer (41es ex æquo) sont les propriétaires de Chanel SA. Le premier Français milliardaire hors luxe est le patron de Lactalis, Emmanuel Besnier, mais il n’arrive « qu’ » à la 71e place mondiale.

Or, « le marché du luxe ne s’est jamais aussi bien porté », indique Aline Pozzo Di Borgo, enseignante et consultante spécialiste du secteur. Un luxe « où la France fait figure de premier marché, et où les marques historiques sont toujours très convoitées », poursuit-elle. Alors que la crise sanitaire a entraîné un sérieux coup de frein – qui se prolonge – pour certains domaines, par exemple l’automobile, « le luxe a au contraire su tirer parti du Covid-19 et se renouveler. L’essor du e-commerce lui est notamment bénéfique, et explique ces résultats records. »

Des secteurs en berne

Principe des vases communicants oblige, cette réussite tricolore s’explique aussi par la perte de vitesse de secteurs où les Français ne sont pas. La place au sommet de Bernard Arnault, par exemple, doit autant à la bonne performance du luxe qu’à la mauvaise passe des Gafa ou du high-tech. Ainsi, malgré ces 211 milliards de dollars, il n’aurait pu rivaliser avec Elon Musk en 2022, qui cumulait 219 milliards. Jeff Bezos, troisième cette année et deuxième en 2022, a perdu 45 milliards dans ce laps de temps.

Mais les secteurs ne font pas tout. Les milliardaires français fleurissent également en raison d’une fiscalité plutôt laxiste, selon l’économiste Thomas Piketty : « Les milliardaires français ne paient quasiment aucun impôt sur le revenu par comparaison à leur fortune ! Des études récentes le montrent très clairement. Il serait temps que le gouvernement français publie chaque année le montant d’impôt payé par les principaux milliardaires français – ou bien au moins donner au moins le top 10 et 100, histoire de faire toute la transparence sur la question. »

Un Etat docile avec les milliardaires

Un constat amer que partage Camille Herlin Giret, chercheuse au CNRS et spécialiste des inégalités de richesse, de patrimoine et de l’impôt : « Alors que les idées reçues parlent d’une France où l’argent n’est pas le bienvenu et où les riches sont surtaxés, les politiques fiscales visent au contraire à peu imposer les milliardaires, ce classement le montre. »

Pour la chercheuse, les personnes fortunées sont peu concernées par l’impôt sur le revenu, puisque leur richesse vient moins d’un salaire que d’un patrimoine et la détention d’actions. L’impôt sur la fortune a été « remplacé » par l’impôt sur la fortune immobilière (IFI), mais prélève bien moins : 1,67 milliard d’euros en 2021 en France, selon la Direction générale des finances publiques, contre 4,2 milliards d’euros pour l’impôt sur la fortune en 2017, dernière année avant sa suppression.

Reste l’impôt sur les sociétés. « Mais il est peu efficace. Beaucoup de filiales des grands groupes se trouvent notamment dans des paradis fiscaux », appuie Camille Herlin Giret. A contrario, « l’Etat a donné des aides importantes aux grands groupes, notamment le Crédit impôt recherche (CIR) et le Crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi (CICE). On n’a pas autant d’ultra-riches sans favoriser leur création. »