France

Banque : « Le métier ne fait plus rêver » … Chez les conseillers bancaires, la pression, la désillusion et la démission

Depuis des mois, vous échouez à contacter votre conseiller bancaire à propos de votre livret A. D’ailleurs, voilà un bout de temps que votre agence a l’air bien vide. Et en y repensant bien, le responsable client a changé trois fois en deux ans… Votre impression vise juste : le secteur de la relation bancaire traverse une zone de turbulence. Frédéric Guyonnet, président national du SNB CFE-CGC, premier syndicat du secteur bancaire en France, parle avec nostalgie d’un temps que les moins de 20 ans ne peuvent pas connaître. « Avant, on croulait sous les CV. Maintenant, on multiplie les initiatives pour recruter : Pôle emploi, prime au recrutement, présence sur tous les salons de l’emploi… »

Des actions « coups de filet » impensables il y a encore une décennie. Seulement, en quelques années, l’image du banquier s’est sérieusement écornée. « Aujourd’hui, le métier ne fait plus rêver », résume sobrement le syndicaliste. A ses yeux, la crise financière de 2008 et les « gilets jaunes » dix ans plus tard « ont terni l’image de la banque et de ses agents ».

31 % des départs en CDI en raison d’une démission

Fin du rêve, et début de l’hémorragie. En 2021, 350.400 salariés travaillaient dans la banque, selon les chiffres de l’Association française des banques (AFB). Ils étaient 30.000 de plus en 2012. Une perte de 10 % en dix ans que l’AFB tient tout de même à relativiser : le secteur recrute 40.000 têtes par an en moyenne. Oui, mais voilà : les recrues arrivent, mais ont rapidement des envies d’ailleurs.

« La tendance est particulièrement marquée chez les conseillers de clientèle, surtout chez les jeunes de moins de 30 ans. Ils ont une autre vision du travail, plus d’envie de mobilité et le concept de carrière au sein d’une même banque ne fait plus rêver comme la génération précédente », estime Frédéric Hatsadourian, manager de la division banque et assurance au sein du cabinet de recrutement Robert Walters. En 2022, le groupe BPCE – qui regroupe la Banque populaire, la Caisse d’Epargne, Natixis, la Banque Palatine et Oney – notait ainsi que 31 % des départs de CDI étaient dû à une démission, raison numéro un, loin devant les autres (23 % pour une mutation, 15 % pour une retraite et 10 % pour un licenciement).

Sur la pente raide depuis des années

La problématique n’est pas nouvelle et ne date pas de la pandémie. Entre 2014 et 2019, la part de démission dans le secteur bancaire est passée de moins de 25 % à 40 %, selon l’AFB. Et qui trouvait-on déjà en haut de la liste ? Les chargés de clientèle, avec un départ sur deux en raison d’une démission. Une pente sacrément raide, qui ne surprend pas Zoé*. La trentenaire, conseillère en banque en CDI depuis moins d’un an en Bretagne, a déjà des envies de départ : « Deux mois après la signature de mon contrat, j’étais en burn-out. La cadence est infernale et la pression permanente ».

Chaque semaine, les chiffres du nombre d’assurances, prêts et contrats signés par les conseillers, sont diffusés à tous les salariés. Officiellement, « ce sont des jeux-concours qui peuvent parfois rapporter des places de concert ou des verres. » Officieusement, « cela dresse une ambiance malsaine entre nous, on est en compet’ permanente ». Selon une étude de la société Upside – Rapport 2022 du burn-out dans le secteur bancaire –, 86 % des banquiers se sont sentis obligés de prendre des congés à cause du stress et 72 % des salariés envisagent de quitter le secteur pour éviter un burn-out.

Des équipes diminuées

Une pression accrue en raison de la diminution des services. Le secteur bancaire perd en moyenne 1 % de ses effectifs chaque année, beaucoup de départs n’étant pas compensés. « Les banques ont dû revoir leur marge lorsque les taux d’intérêt étaient très bas, et réduire leurs dépenses en conséquence. C’est ce qui peut expliquer en partie cette perte d’effectif, notamment parmi les conseillers clients », renseigne Catherine Karyotis, professeure de finance à Neoma BS. Un secteur déjà éprouvé par la digitalisation de certaines tâches et la fermeture d’agences à travers la France. « Enfin, plusieurs fusions de banques expliquent également la diminution des effectifs. Certaines fusions se font d’ailleurs en vue de faire des économies », poursuit la spécialiste.

Cette réduction des équipes exige plus de tâches aux restants. « On est sous l’eau, à devoir faire à trois le travail qu’on faisait il y a encore trois ans à cinq », soupire Aurélie*, conseillère à la Société générale depuis 7 ans. A 35 ans, la Bretonne dit devoir travailler pendant ses congés ou ses week-ends, « afin d’abattre la charge de boulot nécessaire. »

Perte de sens

A cette pression constante s’ajoute la perte de sens, poursuit Bérengère Dubus, ancienne conseillère bancaire et désormais présidente du Syndicat des Intermédiaires de Crédit (UIC) : « Les banquiers n’ont plus de vision économique et stratégique en agence. Les conseillers doivent appliquer ce que leur direction leur demande, sans avoir d’esprit d’initiative ou de prise décision. Il y a donc le bâton – la pression – sans la carotte : l’autonomie, le sens ou un salaire très important. » Ce que Zoé résume d’un soupir plein de désillusions : « On dit qu’on est conseillers, mais en réalité, je suis une vendeuse. Je dois vendre des assurances, des contrats, des prêts. » Et là encore, les effectifs réduits aggravent les choses : « Il n’y a plus de temps pour l’humain, on fait tout par mail, ça va plus vite. Mais c’est triste et monotone. »

Conséquence de ces désillusions, « quand une personne démissionne d’une banque, elle quitte souvent le secteur bancaire pour faire autre chose. D’où un métier sous tension », développe Frédéric Guyonnet. Ce fut le cas de Lucie*, ancienne conseillère, partie il y a deux ans : « Tu fais ça pour le contact humain, aider des gens à réaliser leur rêve d’une maison ou d’un bateau avec un prêt, et tu te retrouves à passer des journées à remplir des fichiers Excel et à faire signer des tas de papiers. Non merci, je n’ai pas fait Bac + 5 pour ça. »

La pénurie va-t-elle se prolonger ? « Il y a eu moins de démissions en 2021 qu’en 2018-2019 », se rassure la FBF. Même ton rassurant chez Frédéric Hatsoudarian : « Avec l’inflation et la peur d’une crise du secteur bancaire, la tendance va marquer le pas, les employés préférant la sécurité de l’emploi. » Une crise peut en chasser une autre.

* Les prénoms ont été modifiés