Belgique

« Vous pourriez vivre, vous, avec un mort sur la conscience ?”

Il faut dire que cette école n’a pas attendu qu’un cadre général soit fixé pour s’emparer de la thématique (lire par ailleurs). “Il y a une dizaine d’années environ que nous avons commencé à mettre des choses en place, explique le directeur Thomas Jadin. Une cellule est aujourd’hui constituée d’une dizaine d’éducateurs et d’enseignants. Il s’agit essentiellement de prévention et d’écoute, principalement dans le cycle inférieur.”

L’amélioration du climat scolaire et la lutte contre le (cyber) harcèlement à l’école seront encadrées dès l’année prochaine

« L’école a voulu quelque chose de plus frontal”

“Aujourd’hui pourtant, l’école a voulu quelque chose de plus frontal”, confie Wendy Marchand, une des éducatrices impliquées dans la cellule “Hayeffes et moi” (c’est son nom). L’idée est d’informer sur les aspects légaux, de faire prendre conscience aux élèves des conséquences possibles de faits de harcèlement. De dire que c’est grave.

L’inspecteur Grégoire, de la police locale, fait son entrée dans la cour de récréation. Sa stature en impose, comme son uniforme. Ces jours-ci, il enchaîne les échanges dans les sept classes de première année. Il a l’habitude : il intervient régulièrement sur le thème dans la plupart des écoles du coin. Il est 10h25. Direction, la “première L” où une vingtaine d’élèves l’attendent déjà.

L’homme ne perd pas de temps. Après une rapide présentation, il entre dans le vif du sujet. Pas besoin de réviser longtemps les fondamentaux. “Même en première, ils en savent parfois plus que nous”, avait prévenu l’éducatrice, insistant sur la nécessité pour elle de se mettre à jour en permanence. Son constat se confirme. Définition du harcèlement, triangle d’acteurs (harceleur, victime, témoins), formes diverses de violence, différence entre rire et se moquer : les doigts se lèvent pour répondre aux questions de l’inspecteur. Vite fait.

Mont-St-Guibert - Collège des Hayeffes: Activité de lutte contre le harcèlement scolaire. Le service jeunesse de la police y dispense une sensibilisation à cette problématique dans une classe de première secondaire. A Mont-St-Guibert, le 12 avril 2023
Mont-St-Guibert – Collège des Hayeffes: Activité de lutte contre le harcèlement scolaire. Le service jeunesse de la police y dispense une sensibilisation à cette problématique dans une classe de première secondaire. A Mont-St-Guibert, le 12 avril 2023 ©JC Guillaume

“Ceux qui ne font rien sont aussi des harceleurs”

Dès les premières minutes, l’accent est mis sur les témoins. “Car ceux qui ne font rien sont eux aussi des harceleurs”, répète le policier dès qu’il en a l’occasion. La langue de bois, ce n’est pas “son truc”. “Quelles peuvent être les conséquences d’un harcèlement pour la victime”, interroge-t-il ? La liste s’étoffe. Là aussi, les ados sont au courant : “Isolement, dépression, honte, anorexie, décrochage scolaire, automutilation, suicide.” Mais l’inspecteur Grégoire appuie là où ça fait mal. “À Charleroi, une jeune fille de 14 ans s’est suicidée : vous pourriez vivre, vous, avec un mort sur la conscience ?” Et encore : “Et si la victime se retrouve paralysée pour toute sa vie ? Le danger est réel : si vous voyez quelque chose, parlez. C’est possible dans l’anonymat.”

Pour les auteurs aussi, le harcèlement a des répercussions. “Parce que quand on fait une bêtise, on est puni”, souligne le représentant de l’ordre en commençant soft. Mais cela ne dure pas. Voilà qu’il dessine le triangle des punitions. Plus on monte de la base au sommet, plus les sanctions sont sévères. En bas, se trouvent les parents et l’école, puis la police et le parquet. “À Nivelles, le procureur prend les affaires de harcèlement très au sérieux”, prévient celui qui sait. En haut, figurent les IPPJ (Institutions publiques de protection de la jeunesse), les centres fermés, la prison. Les élèves ne sont plus en terrain connu.

C’est le moment de projeter les images d’une expérience. Devant les caméras, cinq influenceurs connus rencontrent à tour de rôle un de leurs plus grands fans. Ces derniers sont invités à lire une sélection de messages relevés sur les comptes de celles et ceux qu’ils admirent. Au début, beaucoup de sourires accueillent les compliments. Ensuite, le ton change. “Tu es moche.” “Tu ne sers à rien.” Jusqu’à conseiller à cette “influenceuse maquillage” de se défigurer : “Tu n’as que ça à faire”. Les “vedettes” sont sous le choc. Leurs admirateurs, désolés. Les face-à-face se terminent par quelques larmes et des câlins de réconfort.

Dans la classe, pas un bruit. “Vous avez vu ce que ces messages peuvent faire, même à des adultes habitués aux médias ?, souligne encore le policier. À votre âge, par contre, on n’est pas préparé à subir cela. Le harcèlement, ce n’est pas un jeu. Les conséquences peuvent être lourdes, y compris au niveau judiciaire.”

Et d’insister une dernière fois sur le rôle des témoins : “Il faut briser le silence, c’est le silence qui crée le harcèlement”. Une position que défend encore un jeune homme connu sur les réseaux sociaux pour ses vidéos marrantes. Projeté sur l’écran, il dépose une citation à la classe, toujours silencieuse : “Ceux qui luttent ne sont pas sûrs de gagner, mais ceux qui ne luttent pas ont déjà perdu”.