France

Fusillades à Marseille : « Ils tuent nos enfants », une manif au Castellas pour sauver « la jeunesse perdue »

« Quatorze ans. Vous vous rendez compte ? Moi, à cet âge-là, je jouais aux billes. Eux, ils se font tuer. » Frédéric est né et a toujours vécu aux Aygalades, cité du 15e arrondissement de Marseille. Et comme tous les habitants du coin, il a entendu la nouvelle ce lundi matin. Dans la nuit et à deux pas de chez lui, des fusillades ont éclaté dans la cité phocéenne. Trois personnes sont décédées à quelques heures d’intervalles, à la cité du Castellas dans le 15e arrondissement, puis près des Aygalades, à la cité de Frédéric, et enfin dans le 2e arrondissement, près du quartier de la Joliette.

Au cours du week-end, 12 personnes ont également été blessées. Et parmi ces victimes, de très jeunes adolescents : à la Joliette, le jeune homme décédé dans la nuit de dimanche à lundi avait à peine 16 ans. Un autre adolescent de 15 ans a été visé lors de cette fusillade et se trouve entre la vie et la mort. Le jeune homme avait été condamné pour trafic de stupéfiants le 31 mars dernier, soit trois jours avant cette fusillade. Un troisième garçon, âgé de 14 ans, a été blessé moins grièvement.

« C’est des bébés »

« Ça craint, soupire Frédéric. Ça me choque. C’est des bébés. Moi j’ai peur pour mes enfants. J’ai deux filles qui ont 16 et 18 ans. Il suffit qu’elle traîne avec des copains et ça peut leur arriver. Ça me fait de la peine de voir qu’il y a des jeunes qui se font tuer juste pour de l’argent. On va où ? » « Je suis triste pour cette jeunesse perdue », abonde Sonia. La jeune femme habite au Castellas et y est responsable d’une association. La fusillade s’est déroulée sous ses fenêtres. « Mon fils a 17 ans et il était dehors, comme c’est le ramadan. Il était avec d’autres copains. Quand il a entendu les balles, il était dans les escaliers et il a eu peur. Il a couru. Je me mets à la place des mamans. Ce n’est pas facile. Une balle perdue arrive vite. On n’est pas en sécurité. Il n’y a rien qui est mis en place pour les jeunes. »

La mère de famille fait partie des dizaines de personnes qui ont répondu, ce lundi, à l’appel du collectif des familles à manifester au Castellas, quelques heures seulement après les sanglantes fusillades de la nuit. Ce collectif réunit des proches de victimes de règlements de comptes à Marseille. Sous le soleil et les objectifs des nombreuses caméras, entre deux hommes politiques, une trentaine de personnes défile derrière une banderole « Stop à la mort de nos enfants, », en tentant d’interpeller les mères de famille qui les lorgnent du coin de l’œil, cloîtrées dans les barres d’immeubles de la cité. « Ne nous regardez pas, rejoignez-nous ! », crient des manifestants. « C’est vos enfants qu’ils tuent, ça suffit, ils tuent nos enfants ! », ajoute une autre manifestante.

« Moi, j’ai commencé à 15 ans »

Car à Marseille, ce n’est pas la première fois que des adolescents sont visés durant ces fusillades. Loin de là. Ces dernières années, la guerre de territoires, pour récupérer des points de deal rémunérateurs, fait des victimes de plus en plus jeunes, parfois mineures. Le 10 février, un jeune homme de 15 ans a été grièvement blessé par la balle, à la cité de La Paternelle, dans le 14e arrondissement. Cinq jours plus tard, un garçon de 17 ans, connu pour « dealer », y a été lynché à mort.

En cause, deux nouveaux phénomènes conjoints. D’une part, depuis peu, les petites mains des trafics de stupéfiants comme les « choufs » chargés de la surveillance ou les « charbonneurs », qui s’occupent de la vente, sont les premières cibles des règlements de comptes qui, autrefois, s’attaquaient prioritairement aux têtes de réseaux. Or, les trafiquants font de plus en plus appel à une jeune main-d’œuvre, parfois mineure.

« Moi, j’ai commencé à 15 ans », confie Adel à 20 Minutes. Le jeune homme âgé de 21 ans aujourd’hui habite depuis toujours au Castellas et dit avoir été l’un des maillons d’un trafic de stupéfiants, avant de tout arrêter au moment de son mariage. « Du moment où tu dois de l’argent à personne, c’est à toi-même de partir. Il n’y a personne qui vous met un couteau sous la gorge pour vous dire de rester. Moi, j’ai commencé par l’appât du gain comme on dit, avec l’argent facile. Je ne savais pas ce que je voulais faire de ma vie. J’ai guetté. Je voyais le vendeur qui vendait. Et je me suis dit :  »Pourquoi ne pas être à sa place ? Il est mieux payé et il prend moins de risques ». J’ai commencé par le shit et j’ai fini par la cocaïne. J’ai fait ça pendant six ou sept mois. Mais tout ça me rend triste, parce qu’il ne faut pas oublier qu’il y a des mamans derrière », explique Adel, posté à quelques mètres de la manifestation.

Derrière la banderole, au centre de la première ligne du cortège, Laëtitia a du mal à contenir sa colère. La jeune femme a perdu son neveu en août 2021, tué au fusil d’assaut à l’entrée de la cité des Marronniers, dans le 14e arrondissement de Marseille, près d’un point de vente de drogues. Il avait 14 ans et est, à ce jour, la plus jeune victime de règlements de comptes à Marseille. « Ça me fait froid dans le dos, confie la jeune femme. A chaque fois qu’on voit un assassinat à la télévision, ça me replonge dans le drame qu’on a vécu. » Ce lundi, la procureure de la République de Marseille Dominique Laurens a rappelé qu’il y a dix ans, à Marseille, la moyenne d’âge des victimes de règlements de comptes était de 27 ans. Elle est de 23 ans, aujourd’hui.