Belgique

PS et Écolo veulent imposer des quotas de femmes dans les comités de direction des grandes entreprises : « L’égalité ne se réalise pas naturellement »

Posons le débat. Le féminisme connaît plusieurs chapelles. Quelles sont vos références intellectuelles ?

Pierre-Yves Dermagne : Annie Ernaux (écrivaine féministe de gauche, prix Nobel de littérature). Et Florence Aubenas (journaliste française). Cette dernière a publié un livre exceptionnel – Le Quai de Ouistreham – dans lequel on voit la conjonction des inégalités de classes sociales et de la discrimination dans les métiers à temps partiel.

Marie-Colline Leroy : Titiou Lecoq (journaliste et essayiste française). Elle a été très inspirante au sujet de la carrière des femmes. Elle vulgarise très bien les difficultés qu’une femme rencontre dès la naissance et dès son parcours scolaire. Le choix des études, par exemple, est très stéréotypé : les femmes sont vues plutôt dans les métiers du Care (le secteur des soins). Tout au long de la carrière, jusqu’à la pension, des mécanismes sont à l’oeuvre et amènent aux constats que l’on pose aujourd’hui sur la place des femmes dans les comités de direction ou sur l’écart salarial vis-à-vis des hommes.

Faut-il alors imposer ou renforcer les quotas de femmes au sommet des entreprises privées ?

P-Y.D. : J’y suis favorable car la pratique montre que l’égalité ne se réalise pas de manière naturelle. Si on regarde le nombre de diplômées qui sortent du supérieur ou de l’université par rapport à la faible proportion de femmes qui arrivent à la tête des entreprises, on voit qu’il y a un problème….

M-C.L. : Cette absence des femmes au sommet (des entreprises) n’est clairement pas liée à leur compétence. Pour les entreprises privées qui ont les épaules solides, celle du Bel20 par exemple, la loi imposant un quota dans les conseils d’administration a permis une bonne évolution (actuellement, ce quota est fixé à un tiers des membres du CA). Mais, dans les comités de direction, il reste une difficulté (il n’existe pas de quota). Sur le long terme, il faut que les entreprises se fixent comme objectif de faire émerger des femmes dans leur hiérarchie interne. Les quotas sont vus comme une contrainte mais, sans quota, on n’y arrive pas.

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Sur le long terme, il faut que les entreprises se fixent comme objectif de faire émerger des femmes dans leur hiérarchie interne. Les quotas sont vus comme une contrainte mais, sans quota, on n’y arrive pas.« 

Comment allez-vous procéder ?

M-C.L. : Il y a une directive européenne à transposer en droit belge sur cette question, allons-y ! D’autres pays européens sont en train de le faire. Ce texte prévoit d’augmenter le quota de femmes à 40 % pour les conseils d’administration et d’introduire un quota dans les comités de direction pour un tiers des postes. C’est un débat que l’on doit avoir au sein de la Vivaldi. Bien sûr, il faut fixer une trajectoire et laisser aux entreprises le temps de s’adapter.

P-Y.D. : Cette directive doit être en principe transposée pour décembre 2024. Si on veut le faire avant les élections, il ne faut pas traîner. Je souscris à la proposition mais j’ai une interrogation sur la méthode : doit-on appliquer ce quota pour les comités de direction aux entreprises du Bel20 ou aux entreprises qui ont un certain nombre de travailleurs et de travailleuses ?

Oui, la politique belge est un monde sexiste : « Propos graveleux, regards lourds… Certains utilisent cela comme une arme politique »

Quand le dossier va-t-il arriver sur la table du gouvernement ?

P-Y.D. : En principe, ce dossier relève du ministre de la Justice, Vincent Van Quickenborne (Open VLD), car on touche au code des sociétés. Mais, pour l’instant, on a trop peu de données sur la représentation des femmes dans les structures internes, dans les comités de direction. On va donc utiliser le moment des élections sociales (mai 2024) pour avoir un retour d’information des entreprises.

M-C.L. : Au sein du gouvernement, on est encore dans des discussions informelles. Mais ce projet a du sens. D’ailleurs, personne n’a levé les yeux au ciel quand j’en ai parlé, aucune porte n’a claqué. J’ai envie de travailler avec les collègues de la Vivaldi, je reste malgré tout enthousiaste. Je suis sûr qu’on pourra avancer.

Avez-vous une autre mesure basculante en faveur de l’emploi des femmes en Belgique ?

P-Y.D. : Il y a une réflexion à avoir sur la proportion de temps partiels imposés dans des secteurs comme la distribution, le nettoyage, les titres-services… Cette inégalité homme-femme dans la répartition du temps de travail, donc de la rémunération, se répercute et s’accentue ensuite sur la pension. Les temps partiels sont un enjeu dans des secteurs surtout féminins. Pour être cash, je pense que si la profession de caissière avait été beaucoup plus masculine, cela ferait longtemps que les conditions de travail et de rémunération de cette catégorie de travailleuses seraient différentes.

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Les temps partiels sont un enjeu dans des secteurs surtout féminins. Pour être cash, je pense que si la profession de caissière avait été beaucoup plus masculine, cela ferait longtemps que les conditions de travail et de rémunération de cette catégorie de travailleuses seraient différentes. »

Bruxelles - Rue Ducale: Pierre-Yves Dermagne (PS), Vice-Premier ministre et ministre de l’Economie et du Travail et Marie-Colline Leroy (Ecolo) Secrétaire d’État à l’Egalité des genres, à l’Egalité des chances et à la Diversité, adjointe au ministre de la Mobilité, réunis afin d'évoquer ce qui les rassemble politiquement à moins d'un an des élections. A Bruxelles le 14 septembre 2023
Bruxelles – Rue Ducale: Pierre-Yves Dermagne (PS), Vice-Premier ministre et ministre de l’Economie et du Travail et Marie-Colline Leroy (Ecolo) Secrétaire d’État à l’Egalité des genres, à l’Egalité des chances et à la Diversité, adjointe au ministre de la Mobilité, réunis afin d’évoquer ce qui les rassemble politiquement à moins d’un an des élections. A Bruxelles le 14 septembre 2023 ©JC Guillaume

”Avec Écolo, le PS a des collaborations qui deviennent structurelles sur une série d’enjeux”

PS, Écolo… On approche des élections. Faut-il voir dans cet entretien croisé des “convergences de gauche”, un message politique en vue de futures majorités ?

P-Y.D. : On a toujours plaidé au PS pour des gouvernements les plus progressistes possible. Avec Écolo, le PS a des collaborations qui deviennent structurelles sur une série d’enjeux et je m’en réjouis. Face aux dérives auxquelles on est confronté dans la société et dans le monde politique, il est important de mettre en avant nos convergences et combattre ensemble.

M-C.L. : Je ne suis pas vice-Première ministre ni présidente de parti : ce sont des discussions qui devront se tenir par ailleurs. Mais ce qui est sûr, c’est qu’au sein de ce gouvernement, je cherche des alliances et je les trouve chez les socialistes quand il s’agit de ne pas donner des réponses trop faciles à des questions complexes, quand il s’agit de ne pas enfoncer des personnes qui sont déjà dans des situations de discrimination, de précarité. Des convergences existent. “Progressiste”, cela veut bien dire ce que cela veut dire. Il faut éviter de faire de la politique pour un petit nombre de personnes ultra-privilégiées.

Comment expliquez-vous que, malgré le féminisme combattant qui existe depuis plusieurs dizaines d’années, on en soit encore là aujourd’hui ?

M-C.L. : Si on veut permettre aux femmes d’avoir plus d’espace dans leur carrière, à un moment donné, il faut partager les zones de décisions. Et accepter que l’on est porteur de privilèges. Cet effort doit être fait par toute personne privilégiée : je suis une femme et donc je connais la question des discriminations mais je suis aussi une femme blanche et, à ce titre, je connais des privilèges.

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Je suis une femme et donc je connais la question des discriminations mais je suis aussi une femme blanche et, à ce titre, je connais des privilèges.« 

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