Belgique

”La taxation des plus-values mobilières sera l’enjeu des élections de 2024”, selon Conner Rousseau

Excellent. Le contact est toujours bien passé entre nous. On a fait du bon travail ensemble lors des négociations gouvernementales. Je pense notamment à l’augmentation des pensions minimum, aux investissements sans précédent dans les soins de santé et au maintien de l’indexation automatique des salaires. Nous ne sommes pas continuellement l’un chez l’autre, mais nous nous concertons dès que la situation l’impose.

À l’occasion de la fête du travail, le Premier mai, le PS n’a que modérément apprécié votre sortie médiatique portant sur vos mesures pour activer les personnes sans emploi…

Oui, bon. Chacun a sa conception propre du socialisme tel qu’il faut le pratiquer au vingt et unième siècle. Mais nous avons quand même pas mal d’idées en commun comme l’augmentation du salaire minimum, la réduction des charges sur le travail, un impôt sur les très hauts revenus… Défendre les intérêts des travailleurs, c’est notre combat commun. Mais il y aura toujours quelques différences, oui…

Quelles sont les différences entre le socialisme de Vooruit et celui du PS ?

Je fais déjà partie d’une autre génération. Je m’exprime et j’agis comme mes contemporains. Et puis, nous avons dû nous réformer pour espérer grandir. Le PS n’était pas obligé de passer par là. Il est le plus grand parti de Wallonie et le restera. La composition sociologique de la population n’est pas la même non plus. En Flandre, il y a moins de demandeurs d’emploi, moins de pauvreté et une pénurie de main-d’œuvre plus importante dans toute une série de secteurs. Il y a sans doute davantage de raisons de sanctionner ceux qui refusent de façon répétitive un emploi. Je souligne bien que nos propositions d’activation du chômage visent la Flandre. De plus, nos propositions d’activation (coaching sur mesure, accompagnement…) visent à permettre aux gens de trouver un emploi rapidement. Dans ce cadre, celui qui s’obstine à refuser se met hors jeu lui-même. Il est important de récompenser ceux qui veulent travailler. En tant que socialistes, nous devons oser dire qu’il y a des droits et des devoirs.

Vous insistez beaucoup sur les droits et les devoirs, vous rejoignez le pragmatisme conservateur de la N-VA en réalité ?

Mais c’est une idée de gauche ! Les plus vulnérables sont les premiers à tirer les bénéfices d’une société bien organisée. Si on parvient à réduire les inégalités, le bien-être pour tous augmentera. Des études le prouvent. Les exemples des pays scandinaves et de la Nouvelle-Zélande l’attestent. Une société plus juste et bien organisée requiert des règles claires, coulées dans du béton. Des règles qui doivent être respectées coûte que coûte. C’est comme les feux de signalisation : cela ne se discute pas, il faut les respecter, point final. Les paroles de “L’Internationale socialiste”, composée fin du XIXe siècle, mentionnaient déjà les droits et les devoirs de tout citoyen…

Êtes-vous favorables à la limitation dans le temps des allocations de chômage ?

Nous, ce qu’on veut, c’est limiter le chômage. Après deux ans d’inactivité, nous proposons un emploi de base (emploi requérant peu de qualifications, NdlR) que le demandeur d’emploi est tenu d’accepter s’il veut continuer à bénéficier de ses droits de protection sociale, de pension, etc.

Le PS prétend que cette proposition est en réalité une recette des libéraux…

Que du contraire. Libéral veut dire : chacun pour soi, débrouillez-vous. Les socialistes, c’est la solidarité, l’entraide.

Mais le MR et l’Open VLD ont applaudi à l’annonce de votre mesure…

C’est un petit jeu politique. Mais ils n’ont pas bien retenu ce que nous voulons vraiment. Nos mesures sont des mesures très sociales. Pour nous, il est important d’investir dans la formation des chercheurs d’emplois et de les accompagner durablement. Le VDAB (l’équivalent du Forem en Flandre, NdlR) ne fait pas ce qu’il devrait faire. Le libéralisme égale moins d’État, moins de sécurité sociale, la débrouille. Pour nous, les épaules les plus larges (les plus riches) doivent aussi participer à l’effort financier, cela me semble équitable. Je suis favorable à taxer les plus-values sur les dividendes, évidemment. Citez-moi un pays d’Europe où ce n’est pas le cas… Si les libéraux sont contre cette taxe, qu’ils le disent. Ce sera l’enjeu des élections en 2024. Nombre de sociétés de Bernard Arnault (patron de LVMH, NdlR), première fortune d’Europe, sont domiciliées à Bruxelles pour y payer moins d’impôts. Les salariés de Delhaize paient, eux, leurs impôts normalement.

Vous voulez aussi augmenter le salaire minimum de 12 à 14 euros à l’heure ?

Oui, la différence entre le travail et l’inactivité doit être plus grande. Nous préconisons cette mesure plutôt que de baisser les allocations de chômage. Cette dernière mesure n’est pas bonne. On envoie les gens dans la pauvreté. Mieux vaut les inciter à travailler. Cette mesure va stimuler, booster le pouvoir d’achat des travailleurs moins qualifiés. C’est plus positif.

Comment remédier aux dysfonctionnements dans les structures d’accueil de la petite enfance en Flandre ?

C’est la crise. Le prix des crèches des enfants en bas âge est trop élevé, jusqu’à 600 euros par mois. Il manque cruellement de places. Et il y a une pénurie de travailleurs. Vooruit propose, dans un premier temps, de garantir la gratuité de l’accueil des plus petits pendant six mois. Il veut aussi une revalorisation salariale du personnel des crèches. Pour financer nos propositions, nous voulons mettre à l’agenda une réforme des allocations familiales et des droits de succession. C’est fondamental. La crèche est l’endroit par excellence où les petits enfants apprennent la langue. C’est un investissement pour l’avenir.

Que proposez-vous pour les droits de succession ?

Nous proposons de ne pas taxer l’héritage d’un bien estimé à 250 000 euros ou moins. Au-delà de ce montant, on ira vers une imposition progressive, par tranches. Ce serait plus équitable. Nous pourrions, selon nos calculs, trouver 1 milliard d’euros grâce à une telle réforme.

« Ce n’est pas le modèle fédéral, mais le modèle politique qui est périmé »

Selon vous, une nouvelle réforme de l’État est-elle nécessaire après les élections de 2024 ?

Je souhaite une réforme fiscale, une réforme des pensions, une réforme climatique, poursuivre la réforme des soins de santé mise en œuvre par Frank Vandenbroucke (Vice-premier ministre et ministre des Affaires sociales, de Vooruit, NdlR) depuis le début de la législature au fédéral… Mais une réforme de l’État ne peut être un objectif en soi. La question à laquelle une réforme de l’État doit répondre, c’est : comment mieux organiser le pays et comment gérer l’argent du contribuable plus équitablement, plus efficacement ? Et pas de savoir s’il faut donner plus de compétences aux Régions ou au fédéral.

La N-VA affirme que le modèle fédéral actuel est périmé…

C’est le modèle politique qui est périmé… Regardez le gouvernement flamand. Trois partis flamands qui peinent à s’accorder sur l’essentiel. Ils passent d’une crise à l’autre. Parfois, je regarde aussi les présidents de partis francophones se disputer à la télé… Que doivent penser les citoyens de tout cela ? Il faut dépasser les oppositions entre partis et la frontière linguistique pour réapprendre à travailler ensemble. Au-delà des frontières des partis, des frontières linguistiques, nous voulons faire des choix importants pour organiser la société de demain. La politique doit se réinventer. Réduire le nombre de parlementaires, réduire le financement des partis, réduire le nombre de gouvernements (ne serait-il pas possible de se limiter à un gouvernement au lieu de deux en Belgique francophone ?). Voilà les choix qu’il faut faire.

Vooruit pourrait-il se retrouver dans le gouvernement fédéral sans le PS ?

C’est plutôt une question à poser au PS (rires). En 2007, le PS était au fédéral sans nous. Mais la logique veut que nous soyons ensemble au fédéral puisque nous y faisons cause commune (pensions, salaires) sur beaucoup de sujets.

Êtes-vous favorable à l’entrée de la N-VA au gouvernement fédéral ?

Ce qui m’importe, c’est plutôt de connaître le contenu. Quels leviers pouvons-nous actionner ? Les libéraux ont pris quantité de mesures lors de la précédente législature, c’est évidemment une politique de droite. Dans ce gouvernement-ci, nous avons obtenu, au fédéral, le relèvement des pensions les plus basses, la baisse de la TVA sur l’énergie et le maintien de l’indexation des salaires.

Alexander De Croo et Paul Magnette se sont tous les deux déclarés au poste de Premier Ministre pour la prochaine législature. Lequel préféreriez-vous ?

En tant que socialiste, je préférerais y voir un socialiste. Mais en soi, cela n’a pas tellement d’importance. Pour moi, c’est le contenu qui est l’essentiel. Je souhaite que Vooruit ait assez d’impact pour remettre de l’ordre dans le pays.

En Flandre, la nouvelle poussée de l’extrême-droite vous inquiète-t-elle ?

Le Vlaams Belang est un réel problème en Flandre. Si un gouvernement d’extrême-droite l’emporte en Flandre, ce sera la fin du pays, je crois… Nous, ce que nous voulons, c’est briser l’immobilisme et réformer le pays. Il est grand temps que Vooruit prenne ses responsabilités au niveau flamand. Avec ou sans la N-VA, l’électeur en décidera.

Pensez-vous que N-VA et Vlaams Belang puissent un jour entamer des négociations ensemble ?

En politique, il ne faut jamais dire “jamais”. Egbert Lachaert (président de l’Open VLD, NdlR) n’avait-il pas dit qu’il ne partagerait jamais le pouvoir avec les verts ? Je ne pense pas que Bart De Wever souhaite une alliance avec le Vlaams Belang. Zuhal Demir (ministre flamande de la N-VA, NdlR) non plus. Mais il y a des élus à la N-VA qui sont prêts à discuter avec ce parti. Les francophones devraient comprendre que la vraie menace pour la Flandre, ce ne sont pas les socialistes, c’est le Vlaams Belang. Un vote pour le Vlaams Belang en Flandre et le PTB en Wallonie, c’est un vote pour l’immobilisme complet. Ce serait alors la fin de l’État-Providence.

En juin, Vooruit élira son prochain président. Êtes-vous candidat à votre propre succession? Y a-t-il d’autres candidats ?

Oui je suis prêt pour un nouveau mandat qui passe maintenant de quatre à cinq ans. En effet, je suis le seul candidat. Je crois que le meilleur est à venir…