Belgique

« Ceux qui disent que je souhaite une régionalisation de la justice sont dans le mensonge. Ou alors ils n’ont pas compris les réformes en cours »

La décision de justice dans l’affaire Sanda Dia a suscité de très nombreuses critiques sur une justice considérée injuste. Que répondez-vous à ces citoyens et à ces personnalités politiques qui dénoncent une “justice de classe” ?

J’ai l’impression que le débat est surtout vif en Flandre et moins en Wallonie. Quoi qu’il en soit, le public et la presse ont le droit d’être critiques à l’encontre d’un jugement, c’est quelque chose de sain dans une démocratie. C’est vrai que le débat autour de ce jugement est intense et le premier enseignement à en tirer, selon moi, c’est qu’on a besoin de transparence et de pédagogie, surtout lorsqu’il est question de décisions de justice aussi longues et complexes. Les citoyens ont le droit de comprendre pourquoi la justice tranche de telle ou telle façon. C’est dans cette optique que je vais mettre en place, à partir de septembre, “Just Judgment”, la base de données de tous les jugements et arrêts accessibles au public, et que l’on est en train de recruter 20 communicateurs pour expliquer ces décisions. L’existence des magistrats de presse va dans le même sens. Et pour l’affaire Sanda Dia, il y a eu beaucoup d’explications et de pédagogie. Le jugement fait 118 pages. Il faut le lire et ensuite tenter de tirer l’une ou l’autre conclusion. En le lisant, moi, je n’y vois aucune justice de classe.

« Quand je regarde qui occupe les prisons, je constate – et c’est un simple constat – que la majorité des gens qui y sont ne sont pas d’origine belge. Doit-on en conclure que c’est parce que la justice belge est raciste qu’ils y sont ? Non. Doit-on en conclure que les personnes d’origine étrangère sont plus criminelles ? Bien sûr que non. »

Au-delà de la transparence, ici, ce sont les peines prononcées (des peines de travail qui ne seront pas visibles sur le casier judiciaire) qui ont été critiquées…

Ce qu’il faut se poser comme question, c’est de savoir s’il y a, dans notre société, une justice de classe ou s’il n’y a pas plutôt un sentiment, un ressenti qui va dans ce sens. On entend aussi que la justice est raciste alors que même la famille de Sanda Dia n’a jamais fait état de racisme. Vous voyez bien que le débat est passionné, pas toujours très rationnel. Je crois donc qu’il faut objectiver les choses. Moi, ce sont des questions qui m’intéressent aussi et quand je regarde qui occupe les prisons, je constate – et c’est un simple constat – que la majorité des gens qui y sont ne sont pas d’origine belge. Doit-on en conclure que c’est parce que la justice belge est raciste qu’ils y sont ? Non. Doit-on en conclure que les personnes d’origine étrangère sont plus criminelles ? Bien sûr que non. Par contre, des recherches ont démontré qu’il y a des liens entre criminalité et origine socio-économique. C’est d’ailleurs ce qu’a souligné dans un ouvrage la magistrate Ine Van Wymersch. Dans les prisons, 80 % des gens n’ont même pas de diplôme de secondaire. C’est quelque chose d’objectif et qui permet un début d’explication plus rationnelle. Quant aux peines infligées, lorsqu’il s’agit de personnes qui n’ont aucun passé judiciaire et qu’elles ont la possibilité de se réinsérer parce qu’elles ont un diplôme ou un emploi, la justice prendra cela en compte. C’est ce qui s’est passé dans l’affaire Sanda Dia.

Selon certains criminologues, cette décision de justice démontre que même lorsqu’il y a mort d’homme, la peine de prison est évitable, et qu’il faut en profiter pour des alternatives à l’enfermement…

C’est déjà ce qui est prévu dans le nouveau Code pénal. Je l’ai toujours dit et je le répète : la prison doit être l’ultime recours. Le taux de récidive est 47 % plus élevé après une peine de prison qu’après une peine de travail. Et puis, la peine de travail permet une meilleure réinsertion et coûte moins cher à la société. Par ailleurs, dire que les peines de travail sont légères – comme cela a été souvent dit pour l’affaire Sanda Dia -, c’est ne rien comprendre au système pénal. Il existe, au sein de nos sociétés, une volonté d’être plus dur, plus répressif. Cela va à l’encontre de l’idée de la réinsertion. Le philosophe Cesare Beccaria disait, déjà en 1765, que ce n’est pas la lourdeur de la peine qui détermine la sécurité d’une société, mais plutôt le fait qu’on ne puisse pas échapper à la peine. En Belgique, beaucoup de courtes peines n’ont pas été exécutées et cela dure depuis 1972. Dans la réforme du système qui est en cours, je fais en sorte que toutes les peines, même les plus courtes, soient exécutées. Depuis le 1er septembre 2022, on exécute les peines entre deux et trois ans. À partir du 1er septembre 2023, on exécutera aussi les peines de moins de deux ans.

« Je ne dis pas que l’opposition défend les casseurs, mais ils défendent le droit absolu de manifester. Pourtant, il n’y a pas de droit absolu, des limitations mêmes minimes peuvent être imposées. Par exemple pour des raisons de sécurité. C’est ce que nous faisons ici. »

Au sein du monde judiciaire, on s’inquiète grandement de la réforme dite de l’autonomie de gestion qui, si elle aboutit tel quel, risque de réduire l’indépendance de la justice…

L’autonomie de gestion est importante, pour moi, et elle est sacrée pour l’indépendance de la justice. Le but de cette réforme, c’est de permettre aux magistrats de se gérer eux-mêmes pour que l’exécutif soit moins impliqué. C’est donc sain comme objectif. On en parle depuis 2014, il est plus que temps d’aboutir. Pour le faire, je n’ai pas travaillé seul dans mon coin. Il n’y a aucune volonté d’imposer cette réforme coûte que coûte.

C’est pourtant l’une des nombreuses critiques émises par les magistrats…

Évidement que j’entends les critiques, et je ne veux pas aboutir sans l’aval de la majorité de la magistrature. D’ailleurs, le 23 juin, j’ai convoqué une grande réunion avec l’ensemble des acteurs concernés. Je suis prêt à opérer tous les changements nécessaires pour aboutir d’un commun accord. Je veux les convaincre et j’ai bon espoir d’y arriver.

Beaucoup de magistrats rencontrés estiment que cette réforme va mener à une régionalisation de la justice, que cela va favoriser les arrondissements judiciaires flamands, au détriment des francophones. Vous êtes favorable à cela ?

Ce n’est pas correct. Ceux qui disent que je souhaite une régionalisation de la justice sont dans le mensonge. Ou alors ils n’ont pas compris les réformes en cours. S’il y avait une volonté de régionaliser la justice, c’est possible avec ou sans réforme sur l’autonomie de gestion. Mais ça n’est de toute façon pas mon but. Je crois qu’il y a de la confusion. Le but de cette réforme, c’est de donner à la magistrature les outils pour sa propre gestion, et moins de pouvoir à l’exécutif, c’est tout. Je ne vois pas le lien avec une volonté de régionaliser.

Vincent Paul Marie Van Quickenborne, né le 1ᵉʳ août 1973 à Gand, est un homme politique belge flamand, membre de l'Open Vld. Il a été ministre des Pensions et Vice-Premier ministre du Gouvernement Di Rupo
Vincent Paul Marie Van Quickenborne, né le 1ᵉʳ août 1973 à Gand, est un homme politique belge flamand, membre de l’Open Vld. Il a été ministre des Pensions et Vice-Premier ministre du Gouvernement Di Rupo ©cameriere ennio