Belgique

”1984” de George Orwell est la boussole de Sammy Mahdi : “Je l’ai lu plus de dix fois”

guillement

C’est le seul livre que j’ai lu à plusieurs reprises. Et quand je le parcours, je découvre de nouvelles références en lien avec l’actualité ; et j’ajoute encore des Post-it…« 

L’univers décrit par Orwell est l’antithèse des démocraties libérales : un mélange de stalinisme, de nazisme et de fascisme qui détruit l’individu. Le personnage central de 1984, Winston Smith, est lui-même un cadre du régime d’Océania, l’un des trois empires qui se partagent le monde. Il travaille au “ministère de la vérité”. Sa tâche consiste à modifier les archives afin de les rendre conformes à la réalité politique du moment. Lorsqu’Océania attaque un autre bloc géopolitique, Winston Smith est chargé de faire disparaître toute trace de l’ancienne alliance qui les unissait encore deux jours avant.

Grand portrait de Sammy Mahdi, l’homme qui pourrait sauver le CD&V.

Poutine, la Russie et l’Ukraine

”Le totalitaire, c’est toujours l’autre, analyse Sammy Mahdi. Quand, dans 1984, les trois continents mènent une guerre l’un contre l’autre, les ennemis d’hier deviennent les amis d’aujourd’hui. Le nouvel ennemi l’a toujours été. Et il est alors désigné comme le nazi, le totalitaire. C’est exactement ce que fait Poutine avec son peuple dans le cadre de l’invasion de l’Ukraine.”

Sur le mode orwellien, le président russe et ses propagandistes présentent l’invasion de leur voisin comme une nécessité provoquée par une pseudo-menace que les pays de l’Otan feraient peser sur la Russie. Moscou prétend combattre les “nazis ukrainiens” dans le cadre d’une “opération militaire spéciale” qui ne serait pas une guerre. Et la population est priée de croire à ces mensonges. Ceux qui doutent des affirmations poutiniennes finissent, au mieux, en prison. Dans 1984, ils auraient été condamnés pour un “crime de pensée”…

La Russie de Poutine ou le culte de la mort.

Pour le président du CD&V, les menaces décrites dans l’œuvre de George Orwell concernent également nos démocraties, rongées de l’intérieur par un mal qui devient de plus en plus évident : l’avènement de l’ère de la post-vérité, où l’opinion publique ne s’embarrasse plus des faits objectifs. “Comme dans 1984, l’information est devenue dangereuse. Désormais, chacun a sa propre info à laquelle il croit. La vérité est devenue de plus en plus compliquée à défendre ou même à connaître. Les gens que je rencontre dans mes activités politiques me disent qu’ils ne savent plus qui croire ou quoi croire… Ce contexte est très dangereux.”

Existe-t-il, en Belgique, en 2023, des périls comme ceux décrits par Orwell ? “Oui, avec la venue des réseaux sociaux, chacun est dans sa bulle, chacun est devenu son propre ministère de la vérité, tranche Sammy Mahdi. Ma page Facebook est différente de la vôtre et articulée probablement d’une manière très différente. Quand on voit l’impact politique des réseaux sociaux… L’influence des Russes est claire dans nos élections : ils diffusent des fake news. Il y a un lien à faire entre totalitarisme et réseaux sociaux. Cela fait peur.”

guillement

Avec la venue des réseaux sociaux, chacun est dans sa bulle, chacun est devenu son propre ministère de la vérité. »

Big Brother dans les smartphones

Dans 1984, Big Brother est le chef suprême d’Océania. Il s’invite dans la sphère privée des habitants par des écrans installés à domicile. Ces écrans ont une double fonction : ils diffusent les messages aliénants du parti et permettent de surveiller les habitants dans leur vie intime. George Orwell pressentait l’impact culturel qu’aura l’installation des postes de télévision dans les foyers après la Seconde Guerre mondiale (1984 a été publié en 1949).

De nos jours, une révolution de plus grande ampleur encore se déroule dans nos téléphones, outils d’information et d’ouverture sur le monde, mais aussi, parfois, de désinformation et de contrôle social. “Dans 1984, quand on se lève le matin, on est confronté à un écran auquel on parle. Aujourd’hui, l’écran, on l’a dans notre poche : c’est notre smartphone. Via nos appareils, il y a un Big Brother qui nous présente une réalité à laquelle on s’accroche, on se sent regardé et on ressent un devoir de faire passer un certain message aux autres. On essaie de sourire et de dire que tout va bien aux caméras de nos smartphones : on doit se montrer autrement que ce qu’on est vraiment.”

1984 Nineteen Eighty-Four de MichaelRadford 1984 (d'apres George Orwell) REPORTERS / Rue des Archives
Une image tirée du film « 1984 » de Michael Radford, d’après le livre de George Orwell. ©Rue des Archives / REPORTERS

Autre inquiétude du chrétien-démocrate : l’usage des nouvelles technologies par les dictatures. “Je pense notamment à la Chine et aux caméras à reconnaissance faciale ou à l’Iran où les femmes qui ne portent pas de voile peuvent être détectées immédiatement et être recherchées par la police. Ici aussi, c’est Big Brother.” Grâce à des millions de caméras installées dans l’espace public, la Chine de Xi récompense ou sanctionne ses habitants en fonction de leur niveau de “vertu” sociale.

Sammy Mahdi ne pense pas que les démocraties libérales glissent sur la même pente. Mais… “En Europe, on est très prudent par rapport à l’usage de ces technologies. Mais la réalité, c’est qu’elles pourraient avoir un impact si quelqu’un, animé de mauvaises intentions, prenait le pouvoir. Certaines de nos libertés conquises par le passé peuvent disparaître demain. Certaines évolutions m’inquiètent : les combats contre la communauté LGBTQIA en Hongrie ou en Pologne, par exemple. Cette dérive a même un impact chez nous, en Belgique. Je vous rappelle que Dries Van Langenhove (ex-député fédéral élu sur les listes du Vlaams Belang, il a quitté la Chambre en février) a fait l’objet d’une plainte pour avoir comparé l’homosexualité à la pédophilie…”

guillement

En Europe, on est très prudent par rapport à l’usage de ces technologies. Mais la réalité, c’est qu’elles pourraient avoir un impact si quelqu’un, animé de mauvaises intentions, prenait le pouvoir.« 

Au-delà de 1984, plusieurs autres livres d’Orwell ont façonné l’esprit de Sammy Mahdi et ont orienté sa vision du monde. La ferme des animaux (Animal farm), en particulier. Si 1984 est le roman de l’écrasement de toute pensée déviante, ce court livre publié quatre ans avant est une foudroyante satire de la révolution russe. Dans une ferme, les animaux se révoltent et chassent les humains. Ils tentent alors de s’organiser, mais seuls les dirigeants – les cochons – deviennent gros et gras… “Je voulais montrer que cette sorte de révolution (une révolution violente menée comme une conspiration par des gens qui n’ont pas conscience d’être affamés de pouvoir) ne peut conduire qu’à un changement de maîtres”, expliquera George Orwell dans sa correspondance.

« Animal Farm » : Quand le pouvoir, totalitaire, triomphe par la terreur (spectacle).

Orwell était très engagé à gauche, mais d’une gauche ouvriériste, hostile aux belles consciences morales et aux philosophes de salon. Une attitude qui plaît au président du CD&V. “J’aime la critique sociale chez Orwell. Il donne un esprit critique aux jeunes par rapport à la classe politique ou à la société telle qu’elle existe. Dans La ferme des animaux, il est écrit que ‘tous les animaux sont égaux mais certains sont plus égaux que d’autres’ (le dernier slogan qui restera sur le mur de la ferme après la révolte), rappelle Sammy Mahdi. Dans un combat contre les inégalités et l’injustice, en tant que jeune ket qui a grandi à Bruxelles, issu d’une famille modeste qui essaie de faire son chemin et d’un parcours migratoire, cela me parle. Orwell a bien observé les choses.”