Suisse

«En Suisse, l’école est considérée comme une machine à intégration»

Désormais, l’abaya n’a plus sa place dans les établissements scolaires, comme ici devant le lycée Henri IV à Marseille. Keystone / Vallauri Nicolas

École et religion ne font pas toujours bon ménage: en France et en Belgique, la rentrée de septembre s’est accompagnée de vives tensions. La situation est bien différente au sein des écoles suisses, qui restent relativement épargnées par les disputes religieuses.

Ce contenu a été publié le 04 octobre 2023 – 13:00




validéLien externe l’interdiction de cette longue robe ample et couvrante principalement portée dans les pays arabes dans les écoles françaises, estimant que le port de ce vêtement «s’inscrivait dans une logique d’affirmation religieuse».

guideLien externe à l’intention du personnel enseignant dispensant ces cours d’éducation sexuelle a mis le feu aux poudres. Une coalition hétéroclite regroupant notamment des fondamentalistes religieux aussi bien catholiques que musulmans dénonce pêle-mêle une «hypersexualisation des enfants», l’«entrée de la pédophilie à l’école» ou encore la «promotion d’une idéologie LGBTQIA+».

La polémique n’a cessé d’enfler et de nombreuses fake news sont devenues virales sur les réseaux sociaux. Cela a conduit à des manifestations et même à des actes de violence avec huit écoles incendiées en Wallonie et plusieurs autres vandalisées.

En Suisse, en revanche, les relations entre école et religion semblent plus apaisées. Pour Hansjörg Schmid, directeur du Centre Suisse Islam et Société (CSIS) de l’Université de Fribourg, et qui a dirigé une recherche sur la diversité et l’enseignement religieux, cela s’explique notamment par la tradition politique du pays basée sur la recherche du consensus.

swissinfo.ch: Les récents événements en France et en Belgique ne sont pas une première. Le milieu scolaire voit assez régulièrement l’émergence de conflits ayant une base religieuse ou identitaire. Pourquoi l’école cristallise-t-elle les tensions?

Hansjörg Schmid: Ce qui est conflictuel, c’est la question de savoir quelles valeurs transmettre à la jeune génération et par quels canaux. Il y a d’un côté les parents, qui considèrent la transmission de valeurs comme une tâche prioritaire dans l’éducation et de l’autre, dans nos sociétés modernes, le cadre étatique qui a la responsabilité des écoles.

Celles-ci transmettent des savoirs certes factuels, mais elles se positionnent également sur des valeurs telles que la tolérance ou la responsabilité. Lorsque ces deux gouvernances – parents et école – n’ont pas la même vision des choses, cela peut déboucher sur des conflits.

Le port de certains vêtements se retrouve souvent au centre de ces tensions. L’interdiction de l’abaya, en France, n’est que le dernier épisode d’un long feuilleton. Pourquoi cette crispation autour de vêtements?

En ce qui concerne l’islam, on a pu constater ces dernières années que le débat public se focalise sur des symboles visibles, car il s’agit surtout de gérer la question de l’islam dans l’espace public. Une abaya, un voile, mais aussi un minaret, sont des symboles visibles de la présence de musulmanes et musulmans dans nos sociétés. Ces symboles donnent l’occasion de projeter des peurs et de polémiquer sur l’islamisation de la société.

Comment régler cette question des vêtements à l’école?

Dans l’espace anglo-saxon on trouve la tradition de l’uniforme, qui présente l’avantage d’être neutre et de renforcer l’égalité. Cela pourrait constituer une solution assez logique, mais il n’est peut-être pas très réaliste de vouloir introduire des uniformes dans les pays qui n’ont pas cette tradition.

Il est également possible d’établir un code vestimentaire à l’école. Mais c’est toujours très compliqué, car le port d’un vêtement est quelque chose de très personnel, surtout pour des jeunes qui expriment leur identité de genre à travers les vêtements. Et puis, la mode change. Par exemple, une jupe qui à une certaine époque a pu être considérée comme courte est plutôt longue aujourd’hui.

Hansjörg Schmid est directeur du CSIS. www.stemutz.com

Si l’on examine la question sous l’angle de la diversité culturelle, c’est très compliqué. Des vêtements comme l’abaya, le voile ou autres n’ont pas une seule signification. Ils peuvent être l’expression non seulement d’une religion, mais aussi d’une identité ou d’une culture. Les interdire peut donc vite devenir discriminatoire.

Et comment faire pour que l’éducation sexuelle à l’école ne se heurte pas frontalement à des sensibilités religieuses ou culturelles, comme en Belgique?

Science et religion doivent dialoguer de manière respectueuse. En effet, le sentiment de ne pas être reconnu en tant que parent ou personne religieuse est souvent à l’origine de ce genre de conflit. Par exemple, en parlant de création, on peut souligner qu’il existe différentes perspectives et que ce n’est pas une contradiction d’étudier la théorie de l’évolution selon Darwin et de lire parallèlement des récits poétiques dans la Bible ou le Coran qui louent Dieu comme celui qui a créé la terre et l’être humain.

Là où l’enseignement religieux est présent dans le cadre de l’école publique comme en Belgique et dans beaucoup de cantons suisses, il n’est pas un pupitre pour proclamer des dogmes, mais il peut jouer un rôle de médiation. Concernant l’éducation sexuelle, on doit être sensible aux changements sociétaux.

Par exemple, un jeune couple ne pouvait autrefois pas vivre sous le même toit sans être marié, alors que c’est presque la norme aujourd’hui. L’autodétermination est devenue très importante, mais il faut prendre conscience du degré d’influence qu’ont sur nous les attentes sociales, mais aussi culturelles et religieuses.

Une approche interdisciplinaire permet de montrer qu’il existe différentes perspectives qui peuvent se croiser et se comprendre.

Les écoles suisses semblent moins sensibles aux tensions religieuses et culturelles. Pourquoi?

En Suisse, l’école est très inclusive. Il y a peu d’écoles privées et moins de ségrégation que dans d’autres pays. Du fait de cette mixité sociale et de l’investissement considérable de l’Etat dans l’éducation, l’école est considérée comme une machine à intégration. La population étrangère y est aussi très diversifiée. Ce grand mélange à l’école donne la possibilité de faire l’expérience de la diversité de manière positive.

Par ailleurs, dans le système éducatif suisse, on cède moins au particularisme. On hésite à accorder des dispenses, par exemple pour les cours de natation ou des excursions. Ces activités font partie de l’école obligatoire et tout le monde doit y participer.

Lorsque de telles directives sont appliquées, on essaie de négocier et d’expliquer –comme dans la politique suisse – les raisons d’une décision, de construire une relation de confiance entre les parents et le corps enseignant. Cette idée d’une école qui a des principes clairs, mais qui reste ouverte au dialogue avec les familles et les parents représente un élément du succès du modèle suisse.

Reconnaissance du Conseil fédéral

Créé en 2015, le Centre Suisse Islam et Société de l’Université de Fribourg est en partie financé par la Confédération (actuellement 500’000 francs par an jusqu’en 2024).

En réponse à un postulat, le Conseil fédéral fait procéder à un audit externe sur les activités du CSIS en lien avec l’octroi de contributions fédérales.

Le gouvernement a adopté le rapport d’évaluation du CSIS lors de sa séance du 23 août.

Se basant sur ce rapport, le gouvernement a indiqué dans un communiquéLien externe que le CISS «contribue dans une large mesure à l’intégration de l’islam dans la société et à la prévention de la radicalisation». 

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