Suisse

Ce que la session d’hiver du Parlement réserve aux expatriés

Les parlementaires nouvellement élus visitent leur futur lieu de travail. Le 4 décembre, la session d’hiver marque le début d’une nouvelle législature en Suisse.. © Keystone / Peter Klaunzer

Le session d’hiver des Chambres fédérales aborde une série de sujets qui, en tant que Suisses de l’étranger, vous concernent directement. C’est d’abord la question du droit de succession en Europe. C’est ensuite la politique étrangère de la Suisse, qui continue à faire débat.

Ce contenu a été publié le 04 décembre 2023 – 08:25



Loi sur le droit international privéLien externe a des effets positifs. Elle leur offre davantage de clarté en cas de succession transfrontalière.

Illustration: une citoyenne suisse vit en France puis y meurt. Avec des biens dans les deux pays, aujourd’hui, la situation peut s’avérer particulièrement corsée pour ses descendants. Il se peut que son testament suive le droit suisse et que dans le même temps, les autorités françaises se déclarent compétentes. Au pire, on débouchera sur deux décisions, qui plus est, contradictoires.

«Il existe un risque dans ce cas que les autorités des deux États interviennent dans la même affaire», a souligné la ministre suisse des finances Karin Keller-Sutter devant le Conseil des États, au moment d’expliquer cette modification de loi au moyen de l’exemple cité ci-dessus.

Le Conseil fédéral souhaite donc minimiser de tels conflits de compétence avec les États-membres de l’UE en modernisant le droit successoral helvétique. Cela signifie une sécurité juridique et de planification accrue pour les 450’000 Suisses établis dans l’UE. La nécessité est avérée, selon la ministre, sachant que «notre société est toujours plus mobile. Les gens sont de plus en plus nombreux à passer une partie de leur existence à l’étranger».

Questions épineuses

Les deux chambres du Parlement devraient mettre un point final à cette révision de la loi au cours de cette session d’hiver, agendée à partir du 4 décembre. Seules quelques divergences doivent encore être aplanies.

Des divergences qui, toutefois, charrient d’épineuses questions. En termes d’égalité notamment. Les doubles nationaux sont avantagés légalement par rapport aux (simples) citoyens suisses en cas de succession transfrontalière puisqu’ils ont plus d’options, juge le Conseil des États, ce qui va à l’encontre de l’égalité des droits. Ce conseil veut donc que les doubles nationaux, s’ils ont le choix, soient contraints d’opter pour le droit suisse, ce que refuse le Conseil national. D’où la recherche d’un compromis. Il faut savoir que trois Suisses de l’étranger sur quatre disposent de la double nationalité.

Cachet de l’Office des successions de la ville de Berne. © Keystone / Gaetan Bally

Une motion similaire mais plus spécifique est également à l’agenda. Elle cible une injustice en matière de taxation lors d’héritages à cheval entre la France et la Suisse. Cette motionLien externe du député du Centre Vincent Maître, déjà entérinée par le Conseil national, demande que la Suisse négocie avec Paris une nouvelle convention visant à éviter la double imposition lors de successions. Une éventualité qui n’est pas à l’ordre du jour actuellement. Nous avons déjà approfondi la question ici.

Intervention du Parlement

Une autre intervention sur le thème Suisse-UE est à bout touchant. Elle veut garantir au Parlement davantage de contrôle et de participation dans ce dossier sensible. Le problème étant qu’avec une politique étrangère par principe en mains du Conseil fédéral, le Parlement demeure à l’écart, y compris dans les discussions actuelles entre Berne et Bruxelles. L’initiative parlementaire de la commission de politique extérieureLien externe du Conseil national réclame au moins que les élus puissent avoir voix au chapitre sur les programmes existants, auxquels la Confédération attribue des fonds.

Il s’agit concrètement d’Horizon Europe ou d’Erasmus mais aussi de l’encouragement au cinéma. L’initiative, appuyée par 44 cosignataires, a obtenu le soutien du Conseil fédéral et l’aval du Conseil national. Reste à voir ce que dira le Conseil des États, amené à se prononcer le 12 décembre.

Commerce extérieur en ligne de mire

Les parlementaires réclament avec toujours plus d’insistance une participation accrue en matière de politique étrangère. A chaque session ou presque, de nouvelles interventions sont déposées. Plus les crises s’ajoutent les unes aux autres dans le monde, et plus la Suisse y apparaît exposée sous l’angle de ses relations économiques – que l’on évoque la Chine, la Russie ou l’Iran. Et cela intéresse le monde politique.

Lors de cette session, l’attention se porte sur le contrôle et la transparence en début de processus, autrement dit lorsque Berne étudie, négocie ou conclut des accords avec d’autres pays. Mais l’objectif est plus profond. Avec son postulat en faveur d’une révision de la loi fédérale sur les mesures économiquesLien externe, la commission de politique extérieure du Conseil national prépare le terrain à une mise à jour plus substantielle de la politique économique extérieure de la Suisse. Avec pour résultat davantage de transparence, de gestion du risque et de démocratie.

De fait, si ce postulat devait entrer en force, Conseil fédéral et Département fédéral des affaires étrangères ne pourraient plus modeler seuls les relations économiques bilatérales. Ils devraient œuvrer en étroite concertation avec le Parlement. S’ajouterait aussi une possibilité de référendum.

«Il convient de doter la politique économique extérieure de la Suisse d’une base légale solide au moyen d’une loi qui définira en détail la politique économique extérieure et fixera les principes et les règles régissant l’ouverture de négociations et la conclusion d’accords», indique la commission. Le Conseil fédéral doit encore examiner cette idée et prendre position.

Dispute autour de Taïwan

Une autre motion, concernant Taïwan celle-ci, a tout d’une curiosité. En mai dernier, le Conseil national a opté pour une collaboration plus intense avec le parlement de Taïwan. Il fallait y lire un signal politique de la part de la chambre basse du Parlement helvétique en soutien à une démocratie assiégée par la Chine, sans que la Suisse officielle ait à s’exposer.

Le Conseil des Etats, une chambre aux pouvoirs importants. Keystone / Anthony Anex

Le hic étant que la Suisse dispose d’un parlement bicaméral et Taïwan monocaméral. Une motionLien externe déposée par l’UDC au Conseil des États veut freiner le Conseil national afin d’éviter de donner l’impression que les deux chambres de l’Assemblée fédérale ont approuvé un renforcement des relations avec le Yuan législatif, «ce qui n’est pas le cas». En clair, l’UDC demande qu’une chambre seule ne puisse pas établir de relations directes avec des parlements monocaméraux. Si la motion passe, la Chine devrait s’en réjouir.

Durant cette session d’hiver, il sera également question des accords économiques avec la Corée du Sud Lien externe(libre-échange), l’IndonésieLien externe (protection des investissements) et les Émirats arabes unisLien externe (convention de double imposition).

Le Conseil fédéral répond à côté

D’autre part, avant le début de la nouvelle législature, le Conseil fédéral a répondu à trois interventions parlementaires concernant les Suisses de l’étranger. Elles émanaient du Parti vert’libéral, déposées en dernière minute. Elles ne figurent pas encore à l’ordre du jour mais les réponses du gouvernement sont révélatrices.

Il est d’abord question de la problématique des lacunes de pensionLien externe pouvant survenir lorsqu’un ou une Suisse de l’étranger mène une partie de son parcours professionnel à l’étranger. Le problème se pose surtout pour le 2e pilier, la situation apparaissant nébuleuse en matière de prévoyance professionnelle, estime la conseillère nationale Melanie Mettler. «Une prévoyance professionnelle sûre doit pouvoir être offerte aux Suisses qui reviennent au pays après un séjour professionnel à l’étranger», juge-t-elle.

Dans sa réponse, le Conseil fédéral donne raison à l’interpellatrice. «Étant donné les écarts de salaire et les différences dans le niveau de protection, le montant total des rentes versées est alors généralement plus faible qu’après un parcours professionnel réalisé uniquement en Suisse, et cela indépendamment de toute caractéristique personnelle ou professionnelle», écrit-il. Ensuite de quoi il n’argumente qu’à propos du 1er pilier, l’assurance-vieillesse obligatoire, qui ne pose guère de problème aux yeux de Melanie Mettler.

En définitive, le gouvernement rejette le texte. Pour lui, aucune mesure n’est nécessaire. Son argument? «L’assurance de rentes suisse n’a pas pour rôle de garantir aux personnes qui travaillent à l’étranger et qui y sont soumises à l’obligation de s’assurer le même niveau de rente qu’aux personnes ayant travaillé uniquement en Suisse.» Affaire à suivre donc.

Autre motionLien externe, celle qui demande que la Suisse reconnaisse le PACS français (pacte civil de solidarité). Une sorte de partenariat enregistré, plus contraignant que le concubinage, moins que le mariage. Une forme juridique de communauté de vie aussi courante que le mariage en France mais qui n’est pas reconnue en Suisse. Pour les 200’000 Suisses de France, cela entraine inévitablement une insécurité juridique.

Réponse du gouvernement: le Conseil des États planche actuellement sous l’angle du droit sur l’introduction d’un PACS pour la Suisse. Et «la question de la reconnaissance et des effets des PACS étrangers devra également être examinée dans le cadre de ces travaux».

Enfin, une interpellation s’enquérait d’éventuels projet d’extension des essais d’e-voting. Le gouvernement rétorque que la décision revient aux cantons. Et en effet, celui des Grisons est le quatrième à rejoindre l’expérience depuis la semaine dernière.

>> Comment le nouveau Parlement pourra-t-il travailler ensemble sur les gros dossiers de la législature? Notre débat filmé:

Traduit de l’allemand par Pierre-François Besson

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