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Kaja Kallas, une histoire personnelle qui pousse à aider l’Ukraine

S’ils en sont arrivés là aujourd’hui, c’est parce que Kaja Kallas, la Première ministre estonienne, avait proposé aux Vingt-sept, au mois de février, d’acheter en commun ces pièces d’artillerie, “un peu comme nous avons su le faire pour les vaccins pendant la pandémie de Covid-19”, avait-elle déclaré alors. “La Russie est passée en économie de guerre, avec des usines qui tournent vingt-quatre heures sur vingt-quatre.” Il s’agit donc d’accélérer la cadence en Europe également.

Le plan inédit de l’Union européenne pour (essayer de) livrer plus d’obus et plus vite à l’Ukraine

À son arrivée au Conseil européen, elle s’est dite “très, très heureuse” qu’un accord puisse être entériné en cinq semaines seulement, avant de rappeler sa volonté d’avancer aussi dans la mise en place d’un tribunal international pour juger les crimes d’agression.

Déportées en Sibérie

Depuis que la Russie essaie de faire main basse sur l’Ukraine, Kaja Kallas, 46 ans en juin, a pris du poids sur la scène européenne. Sans doute son histoire familiale, qu’elle a livrée devant le Parlement européen le 9 mars dernier, est-elle pour quelque chose dans sa fermeté à l’égard de Moscou.

Son arrière-grand-père, Eduard Alver, décédé en 1939, était commandant de la Ligue de défense estonienne pendant la guerre d’indépendance du pays (1918-1920). Dans les années 40, sa mère, qui n’avait que six mois à l’époque, sa grand-mère et son arrière-grand-mère ont été déportées en Sibérie dans des wagons à bétail sous Staline. Elles y sont restées dix longues années.

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Nous avons une expérience avec la Russie, que nous essayons de partager avec l’Union européenne depuis que nous l’avons rejointe.”

“Nous avons une expérience avec la Russie, que nous essayons de partager avec l’Union européenne depuis que nous l’avons rejointe”, a ajouté Kaja Kallas, même si sa mère lui a toujours dit “qu’il était impoli de dire ‘je vous l’avais bien dit’.

Rattrapée par la politique

Kaja Kallas, qui forme avec son second mari banquier une famille recomposée de trois enfants, est entrée dans la vie active en tant qu’avocate, diplômée en droit de l’Université de Tartu, puis en économie à l’École de commerce. Mais la politique devait se trouver dans ses gènes. Elle est la fille de Siim Kallas, fondateur du Parti de la réforme dont elle a repris les rênes en 2018, ancien Premier ministre et commissaire européen.

Élue au parlement estonien en 2011 et en 2019, elle a passé quatre ans à Bruxelles comme eurodéputée libérale (2014-2018), spécialisée dans les questions numériques. Puis, son accession à la tête du gouvernement estonien en janvier 2021, après la démission du Premier ministre centriste Jüri Ratas, l’a fait entrer dans le cénacle du Conseil européen.

Belgium's Prime Minister Alexander De Croo, center, speaks with Estonia's Prime Minister Kaja Kallas, left, during a round table meeting at an EU summit in Brussels, Thursday, March 23, 2023. European Union leaders meet Thursday for a two-day summit to discuss the latest developments in Ukraine, the economy, energy and other topics including migration. (AP Photo/Olivier Matthys)
Kaja Kallas en discussion avec le Premier ministre belge Alexander De Croo, au Conseil européen, ce 23 mars à Bruxelles. ©Copyright 2023 The Associated Press. All rights reserved

Lorsque, un an plus tard, la Russie a déclenché la guerre en Ukraine, Kaja Kallas n’a pas hésité un instant à apporter son aide à Kiev. Et quelle aide : plus de 1 % du PIB de l’Estonie, ce qui fait de l’ancienne république soviétique de 1,3 million d’habitants, devenue indépendante en 1991, le plus gros soutien à l’Ukraine proportionnellement à sa richesse. Pour la “nouvelle dame de fer de l’Europe”, comme on la surnomme pour ses attaques contre Vladimir Poutine, il ne s’agit pas seulement d’aider l’Ukraine, mais de gagner la guerre dont l’issue constitue un enjeu existentiel pour l’Estonie.

Cette politique engagée, qui plus est, paie sur la scène nationale. Kaja Kallas a remporté les élections avec 31,2 % des voix le 5 mars dernier, devançant largement le parti d’extrême droite, plus conciliant envers la Russie. Aujourd’hui, elle le répète, il n’y a qu’un agresseur, la Russie, et “la guerre cessera quand elle comprendra que c’était une erreur”.

L’heure des Baltes ?

Elle, comme ses collègues des autres États baltes, influence aujourd’hui la politique européenne plus que jamais auparavant, notamment sur la question des sanctions contre la Russie. Aussi, dans un entretien à Politico, Kaja Kallas a estimé qu’il était temps de leur confier des postes en vue au sein de l’Otan et de l’Union européenne, dont Tallinn est membre depuis 2004. “Nous avons fait nos preuves dans ces deux organisations.”

Pensait-elle à elle en disant cela ? Son nom fait partie de ceux qui circulent pour succéder à Jens Stoltenberg à la tête de l’Alliance atlantique. “C’est un grand hommage pour moi, et aussi pour mon pays, que nous soyons considérés comme des égaux autour de la table.” Mais il est “très peu probable que l’on me propose un tel poste”, a-t-elle embrayé. Par fausse modestie ? Bien qu’elle soit encore en train de former une coalition gouvernementale en Estonie, la porte bruxelloise n’est visiblement pas fermée.