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Guerre froide en Asie du Sud: la relance ratée du dialogue entre l’Inde et le Pakistan

Lorsque Subrahmanyam Jaishankar prononce le discours inaugural, il étale le ressentiment indien à l’égard de son voisin. “Le terrorisme est injustifiable et doit être éradiqué sous toutes ses formes, y compris le terrorisme transfrontalier. ” Deux semaines plus tôt, une embuscade imputée à un groupe islamique armé pakistanais, a tué cinq soldats au Cachemire. Islamabad et New Delhi se disputent la souveraineté de cette région depuis 1947. L’ISI, les services de renseignement militaires pakistanais, appuie des groupes djihadistes depuis 1989 pour déstabiliser l’armée indienne qui déploie des centaines de milliers d’hommes sur ce territoire.

Journalists watch live on a big screen at the media center, as Indian foreign minister S. Jaishankar welcomes his Pakistan counterpart Bilawal Bhutto Zardari prior to the Shanghai Cooperation Organization (SCO) council of foreign ministers' meeting, in Goa, India, Friday, May 5, 2023. (AP Photo/Manish Swarup)
La très rapide rencontre entre les ministres indien et pakistanais des Affaires étrangères, vue de la salle de presse. ©Copyright 2023 The Associated Press. All rights reserved.

Dans le golfe du Bengale, une île mystérieuse inquiète l’Inde

Tout à gagner

Les deux puissances nucléaires ont pourtant tout à gagner dans une paix durable. L’Inde, qui a déjà livré trois guerres à son voisin à cause du Cachemire, pourrait alors concentrer ses moyens militaires sur la Chine. Les tensions avec Pékin autour de la ligne de contrôle et à la frontière ont atteint un niveau jamais vu depuis la guerre de 1962 : vingt soldats indiens ont été tués par des troupes chinoises près de la rivière Galwan, dans l’ouest de l’Himalaya, en 2020. Le budget de la défense indien est trois fois inférieur à celui de son rival. Le premier ministre Narendra Modi jouit d’une majorité au Parlement. Sa cote de popularité lui donne la légitimité pour relancer le processus de paix.

Le Pakistan n’a plus que quelques semaines de réserves de change.

Côté Pakistanais aussi, on a intérêt à faire la paix. Le pays n’a plus que quelques semaines de réserves de change et traîne une dette de près de 100 milliards de dollars qu’il est incapable de rembourser. L’inflation est au plus haut. Les Pakistanais sont de plus en plus nombreux à s’expatrier. La fin des tensions permettrait de rediriger les crédits militaires vers l’éducation et la santé publique. “Veut-on consacrer nos ressources à acheter plus de munitions […] ou utiliser ces maigres fonds pour renforcer notre économie […], endiguer le chômage et la pauvreté”, avait déclaré le premier ministre Shehbaz Sharif au quotidien anglais The Guardian en octobre dernier.

La pression des extrémistes

Et pourtant, rien n’avance. New Delhi campe sur une position : le Pakistan doit cesser d’appuyer l’insurrection au Cachemire indien. Sinon, pas de dialogue. L’Inde a été échaudée par de nombreux attentats aussi spectaculaires qu’humiliants perpétrés par des organisations pakistanaises comme le Jaish-e-Mohammed et le Lashkar-e-Taiba : attaque du Parlement en 2001, attentats de Bombay en 2009, attentat contre la base aérienne de Pathankot en 2016… En 2019, une voiture suicide pulvérise un convoi au Cachemire tuant 46 paramilitaires. En représailles, l’Inde lance un raid aérien sur le sol pakistanais, une première. Narendra Modi profite de l’opération pour se poser en “vigile” de la patrie. Ce slogan devient un argument de campagne pour les législatives qui se déroulent au même moment.

Aujourd’hui encore, le leader du BJP, la droite nationaliste hindoue, en use pour décrédibiliser l’opposition et s’affirmer en protecteur de la nation alors que le sous-emploi et l’inflation persistent et qu’il a échoué à concrétiser sa promesse de “jours meilleurs”. “Le parti du Congrès passe son temps à apaiser les terroristes. […] Après la frappe chirurgicale (de 2019) il a douté de nos forces armées. […] Le BJP a brisé l’échine du terrorisme” a-t-il déclaré le 3 mai.

L’autonomie perdue du Cachemire

Le Pakistan aussi reste intransigeant. Outre son soutien sans faille aux djihadistes anti-indiens, il exige que New Delhi restaure l’autonomie du Cachemire indien abrogée en 2019. Une volte-face qui serait un suicide politique pour Narendra Modi tant la droite hindoue considère la région comme partie intégrale de l’Union indienne. Mais sans rétablir l’autonomie, “discuter reviendrait à trahir le peuple cachemiri qui a tant souffert” nous avait confié Imran Khan lorsqu’il était encore premier ministre pakistanais, en février 2021.