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En Cisjordanie, les colons fêtent “un pas en avant vers la Rédemption”

Ce pragmatisme enrage une partie de sa base, qui l’avait pourtant accueilli comme une pop star lors d’une marche vers l’avant-poste sauvage d’Evyatar, au sud de Naplouse, deux jours plus tôt. Au moins 15 000 personnes (50 000 selon les organisateurs) avaient fait la route vers ce que la population locale appelle le Mont Sabih. Le chef du parti Force juive porte assez bien sa gloire : depuis son arrivée au gouvernement, l’avocat échevelé s’est métamorphosé en politicien bien rasé. Ses costumes sont repassés, son discours plus poli. Adi et Anat, deux copines de 16 ans, ont fait un selfie devant lui en trépignant. “On l’aime parce que les autres parlent, mais lui, il fait”, explique Adi.

Six autres ministres et une quinzaine de députés étaient présents à la fête, dont certains du Likoud. Tour à tour, ils se sont adressés à une marée d’hommes portant kippa brodée et M16 en bandoulière, de femmes aux jupes longues et turbans colorés, d’enfants sautant gaiement sur des châteaux gonflables. “Cela fait quarante ans que je suis ici, et je n’ai jamais vu ça, c’est magnifique”, exulte Masha Narman. Cette septuagénaire américaine fond en sanglot en regardant un groupe d’homme danser en cercle, les drapeaux israéliens flottant au vent.

Evyatar, Homesh et les autres

On est à Evyatar, mais dans les esprits, il y a aussi Homesh, un autre “avant-poste” situé à quelques kilomètres au nord. Le 22 mars, la Knesset (le parlement israélien) a voté en faveur d’un amendement qui autorise les Israéliens à revenir légalement à Homesh et dans trois autres colonies juives de Cisjordanie évacuées en même temps que Gaza en 2005. Cette décision, c’est “un grand pas en avant” résume Serach Lisson, 36 ans, son septième enfant dans les bras. Évacuée de Gaza en 2005, elle fait partie de la cinquantaine de familles qui composent maintenant la communauté d’Evyatar en exil. “Homesh, Evyatar, et puis le retour au Goush Katif, des étapes vers la Rédemption”, le contrôle complet de la Terre promise et l’arrivée du messie.

Pour protéger la marche, l’armée israélienne s’est déployée en force, faisant près de 200 blessés, dont une vingtaine par balles en caoutchouc, dans les villages palestiniens voisins. Cela fait une dizaine d’années que les colons essaient de prendre cette colline. En mai 2021, ils avaient monté des préfabriqués à la faveur de la nuit, puis goudronné des routes à la va-vite. L’idée était de tester le nouveau gouvernement (de Bennett et Lapid). Ce dernier a conclu un accord pour que les colons partent. Aujourd’hui, ils réclament leur retour, avec le soutien public de ces quelques ministres.

Une provocation ?

Cela ressemble à une provocation, tant c’est à l’encontre de la démarche sécuritaire du gouvernement, qui veut éviter les tensions pour ne pas enflammer le front palestinien, et froisser son allié américain. Une provocation, mais aussi une technique d’opposition, un signe de faiblesse. Alors que les politiciens s’enchaînent à la tribune, Shachar Cohen les alpaguent avec un mégaphone : “Vous parlez, vous parlez, mais vous ne faites rien”, crie l’homme de 34 ans. “Depuis toujours, ils gueulent contre l’inaction du gouvernement, maintenant c’est eux le gouvernement, et qu’est-ce qu’ils font vraiment ?”, renchérit-il.

Malgré le succès électoral des suprémacistes juifs auprès des laïcs et des jeunes, ces derniers ne sont pas au rendez-vous. La confluence des luttes a donné de la force à l’extrême-droite mais celle-ci est artificielle et reste purement politique. Or le gouvernement a été secoué par les manifestations et les inquiétudes sécuritaires -Benjamin Netanyahou, qui a donné la clé du pouvoir aux suprémacistes, n’a jamais été aussi bas dans les sondages.

La politique est accessoire”, résume Yossi Abutbul, 27 ans, qui habite du côté Cisjordanie de la ligne verte mais travaille à Tel-Aviv, trente minutes à peine en voiture. “De chez moi, on voit la mer. Si les gauchistes voyaient ce que je vois -l’aéroport en contrebas, Tel-Aviv à portée de n’importe quelle roquette- ils comprendraient qu’on ne délaissera jamais les contreforts de la Samarie. La religion et la politique, c’est du bruit. Ce qui compte, c’est le contexte stratégique”.