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Dans les zones sinistrées par le tremblement de terre, le soutien de la population fidèle à Erdogan est fissuré mais ne s’est pas écroulé

Sur le campus de l’Université de Sütçü Imam, près de 15 000 personnes sont logées sous tente depuis le séisme. Les répliques de faible magnitude continuent de secouer régulièrement les murs du centre culturel, mais les rescapés conservent leur calme. La vie quotidienne s’est réorganisée et a retrouvé un semblant de normalité. ONG, associations diverses et initiatives privées proches du gouvernement encadrent les depremzedeler (rescapés du séisme, NdlR). Elles assurent les repas, et répondent aux besoins de base. Vue d’ici, la réponse gouvernementale apparaît sans faille.

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”Aucun État n’aurait pu faire mieux”

Le ministre de l’Intérieur, Süleyman Soylu, est venu à Kahramanmaras dès le premier jour. Les secours étaient là dès le 2e jour alors qu’il y avait une épaisse couche de neige qui bloquait les routes. Vu l’ampleur de la catastrophe, aucun État n’aurait pu faire mieux”, poursuit Mustafa, se réappropriant les éléments de langage du gouvernement. À l’image de la majorité des habitants de Kahramanmaras, il glissera sans hésitation un bulletin en faveur de l’AKP (le Parti de la Justice et du Développement, NdlR) et de Recep Tayyip Erdogan, candidat à sa réélection à la présidence le 14 mai prochain. Aux dernières élections de 2018, le président avait remporté 74,2 % des suffrages dans la province.

Les deux tremblements de terre de magnitude 7.8 et 7.6 ont dévasté 11 régions du sud et de l’est de la Turquie. Le bilan provisoire fait état de 50 000 morts, mais il ne s’agit là que des corps ayant été retrouvés et certaines estimations atteignent les 100 000 victimes. Des disparus manquent encore à l’appel, et les rescapés ayant perdu des proches sont encore dans l’incapacité de faire leur deuil. Près de 1,5 million de personnes survivent dans la zone, logées sous tentes, ou dans des conteneurs organisés en petites villes construites ex nihilo.

À Kahramanmaras, grande ville la plus proche de l’épicentre du séisme, l’essentiel des monceaux de gravats a été déblayé dans les quartiers centraux. Les arrondissements le plus touchés présentent désormais des centaines de mètres carrés de terrain vague où se mêlent armatures de métal et morceaux de béton abandonnés sur place, dans un paysage de désolation.

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Au lendemain de la catastrophe, l’arrivée tardive des secours, leur nombre insuffisant et les lacunes dans la coordination de l’assistance avaient provoqué la colère des rescapés du séisme. “Malheureusement, en raison de l’effet dévastateur des secousses, des conditions météorologiques défavorables et des dégâts causés aux infrastructures routières, nous n’avons pas pu travailler de la manière que nous voulions à Adıyaman pendant les premiers jours. Je demande pardon pour cela”, avait admis le président Erdogan lui-même en février.

Une bulle informationnelle au service du pouvoir

Le scandale de la vente des tentes du premier organisme caritatif de Turquie, le Croissant rouge turc, à l’ONG Ahbap a approfondi la crise de confiance de la population turque vis-à-vis des institutions proches du gouvernement. Cependant, la concentration médiatique accentuée ces dernières années contribue à enfermer certains segments de la population dans une bulle informationnelle qui ne relaie que la communication pro gouvernementale.

Certains électeurs de l’AKP qui ont perdu des proches et ont vu leur maison s’effondrer sont en colère et affirment qu’ils ne revoteront pas pour l’AKP. Mais la majorité lui reste très fidèle”, assure Sermet Cuhadar, sexagénaire habitant de Kahramanmaras, proche du CHP (principal parti d’opposition) et fin connaisseur des équilibres politiques locaux.

Des sondages favorables au leader de l’opposition

Survenue à trois mois des élections présidentielles et législatives cruciales, la catastrophe pourrait avoir des conséquences politiques lourdes. Le président Recep Tayyip Erdogan se présente pour un 3e mandat après plus de 20 ans au pouvoir. La grave crise économique qui frappe le pays avait déjà altéré sa popularité, mais son parti conservait une base électorale solide, crédité de 36,9 % des intentions de vote jusqu’en janvier.

Bien que les enquêtes présentées par les nombreux instituts de sondage depuis le séisme suscitent souvent de la réserve, les résultats de 12 instituts présentés ces derniers jours confirment une avance entre 1,5 et 14 points du candidat de la coalition d’opposition (Alliance de la Nation), Kemal Kiliçdaroglu, allant de 42,6 % à un score de 57,1 % qui le qualifierait dès le premier tour.

La catastrophe sismique a porté un coup à l’image de puissance de l’État que Recep Tayyip Erdogan tente de conserver. Le montant des dégâts pourrait s’élever à plus de 104 milliards (soit 12 % du PIB du pays, NdlR), a déclaré le président turc le 20 mars lors de la conférence des donateurs, à Bruxelles. Le malaise du président lors d’une émission en direct, ce mardi 25 avril, alimente aujourd’hui toutes sortes de spéculations concernant une dégradation de son état de santé. Le président souffrirait d’un simple virus intestinal, mais l’opposition veut y voir un affaiblissement aux allures de chant du cygne.