International

Ce territoire aux règles très spéciales est le seul de l’Union européenne interdit aux femmes

Durant la période byzantine, de premiers moines s’installent dans la région, autour du mont Athos, et en 963, l’un d’eux, prénommé Athanase, va construire un premier monastère grâce au soutien de l’Empereur Nicéphore II. D’autres monastères vont progressivement voir le jour, fondés notamment par des moines serbes, russes ou encore bulgares. Tout s’organise toujours sous l’œil attentif de Constantinople qui veille à garantir l’autonomie du mont Athos. Très vite, vers 1045, la règle interdisant les femmes est instaurée.

En 1453, la chute de l’Empire byzantin a finalement très peu d’implication sur le mont Athos. Car le nouvel empereur ottoman, Mehmet II, se voit en successeur des empereurs byzantins et veille à la liberté religieuse. Plusieurs siècles plus tard, une bataille sanglante éclate entre les Grecs et les Ottomans. Si les Grecs obtiennent leur indépendance en 1830, il faut attendre 1913 pour les voir prendre le contrôle du mont Athos. Mais une fois encore, la tradition va être respectée et le statut spécial des lieux garanti. Dans la Constitution grecque, il est stipulé que le mont Athos est une partie auto-gérée de la Grèce avec des règles propres qui s’y appliquent. L’Etat grec veille simplement au maintien de l’ordre.

Le Mont Athos en Grèce
Le Mont Athos en Grèce ©Associated Press/Reporters

Lors de l’entrée de la Grèce dans l’Union européenne en 1981, Bruxelles s’engage à respecter la particularité du mont. Ni la charte des droits fondamentaux de l’UE signée en 2000 (assurant l’égalité homme-femme dans tous les domaines), ni les critiques de certains députés en colère face à ce petit Etat disposant tout de même de fonds européens ne changeront la donne.

Pourquoi les femmes sont-elles interdites?

Depuis 1045 et une décision (appelée règle de l' »abaton ») de l’empereur byzantin Constantin IX Monomaque, les femmes sont interdites dans la péninsule. La légende raconte que la Vierge Marie, en route vers Chypre, est tombée sous le charme du mont Athos, au point de demander à Dieu de lui donner la montagne en cadeau. « Que cet endroit soit ton jardin et ton paradis, ainsi qu’un havre de salut pour ceux qui cherchent à être sauvés », aurait répondu le Seigneur. Devenu le « jardin de la Vierge Marie », le mont Ahtos est depuis considéré comme hors de portée de toutes les autres femmes. Pour répondre à ceux qui contesteraient cette version, une autre raison est invoquée: l’absence de femmes est également une façon pour les moines d’éviter les tentations.

Sur le mont Athos, l’interdiction ne concerne pas que la gent féminine. Elle est étendue à tous les animaux vertébrés de sexe féminin. Deux exceptions sont toutefois en vigueur: les poules sont autorisées car leurs œufs sont importants en cuisine comme dans la peinture des icônes ; et les chattes permettent de par leur présence de chasser serpents ou autres rongeurs.

Quelques intrépides

N’y a-t-il vraiment jamais eu, dans l’histoire, une femme qui a bravé l’interdit du mont Athos? Bien sûr que si. En 1347, Hélène de Serbie s’y est réfugiée pour fuir les pirates. En 1924, les navigatrices Hermine de Saussure et Marthe Oulié y ont été accueillies pour se protéger de la tempête. En 1929, dans son livre intitulé « Un mois chez les hommes », Maryse Choisy révèle s’être déguisée en moine afin de s’immiscer dans les lieux. L’écrivaine, considérée comme la reporter la plus casse-cou des Années folles, aurait été jusqu’à pratiquer une ablation des seins pour parvenir à ses fins. Dans les années 1930, Aliki Diplarakou, connue pour être la première Miss Europe grecque, avait elle aussi créé un scandale en violant l’interdiction. Plus récemment, en 2008, quatre femmes et un homme de nationalité moldave ont été arrêtés après avoir été déposés sur la côte grecque par des passeurs.

<img class="w-full lazyload lazyload–opacity object-contain" alt="

Le Mont Athos le 28 mai 2016 en Grèce

 » width= »768″ height= »511″ fetchpriority= »auto » src= »data:image/png;base64,iVBORw0KGgoAAAANSUhEUgAAAAMAAAACCAYAAACddGYaAAAAC0lEQVQI12NgwAUAABoAASRETuUAAAAASUVORK5CYII= » data-sizes= »auto » data-optimumx= »1″ srcset= »https://1001infos.net/wp-content/uploads/2023/04/ce-territoire-aux-regles-tres-speciales-est-le-seul-de-lunion-europeenne-interdit-aux-femmes-1.jpg 768w, https://www.lalibre.be/resizer/ZdvjTcqIke1VSvpFIlKBmW506kI=/1200×798/smart/cloudfront-eu-central-1.images.arcpublishing.com/ipmgroup/7T3YG4XG45GYFPOEGA2JIQWP2E.jpg 1200w »>

Le Mont Athos le 28 mai 2016 en Grèce ©AFP

Les autres particularités de l’endroit

Si les règles sur le mont Athos sont strictes par rapport aux femmes, elles le sont également pour les moines vivant sur place. Leur vie est dictée par le travail dans les champs et oliveraies, la peinture d’icônes ainsi que plusieurs heures quotidiennes de prières, de jour comme de nuit. Les moines n’ont pas le droit de manger de viande, de prendre un bain, de fumer, de s’asseoir pendant les messes ou de parler pendant les repas.

En ce qui concerne les visiteurs, seuls les touristes et pèlerins masculins d’âge adulte peuvent s’y rendre. Mais ici aussi, les règles sont strictes: 100 orthodoxes et 10 non-orthodoxes par jour ; obligation d’obtenir un laissez-passer (au coût de 35 euros environs) au bureau des pèlerins à Ouranoupoli, avant d’accéder aux lieux par la mer.

On notera encore que, sur le mont Athos, personne ne paie d’impôts, les non-orthodoxes ne peuvent s’installer, l’heure est systématiquement remise à minuit au coucher du soleil et le calendrier julien est encore en application (13 jours de retard par rapport à notre calendrier).

Pillages et politique

Au cours de l’histoire, le mont Athos n’a pas échappé à certaines rivalités et les trésors d’une valeur inestimable qui s’y trouvent n’y sont pas étrangers. Dans les années 1960, les agents du KGB soviétique auraient mis le feu au monastère russe de Saint-Pantéleimon par stratégie afin de ramener 300 valises remplies d’objets précieux, à Moscou. En 1988, des moines espions travaillant pour le compte des services secrets de la Bulgarie sont parvenus à dérober, au monastère bulgare de Zographou, un précieux manuscrit relatant l’histoire slavo-bulgare. Leur stratagème? Ils ont photographié minutieusement chaque page du manuscrit pour créer un faux et finalement emporter l’original en Bulgarie en le cachant… dans un sac de noix.

Les moines qui y sont présents ne sont pas les derniers à se mêler de politique également. En 1941, en pleine Deuxième Guerre mondiale, alors que la Grèce est attaquée par les puissances de l’Axe (Allemagne, Italie, Japon), des représentants du mont Athos s’adressent à Adolf Hitler et demandent sa protection personnelle. Le führer accepte, s’imaginant certainement que cela en fera un descendant des empereurs byzantins. Ce geste amical d’Hitler n’empêche pas certains moines de cacher des soldats alliés durant la guerre.

La vie au mont Athos est souvent décrite comme paisible, mais un important conflit est en cours depuis les années 70. A cette époque, le patriarche orthodoxe de Constantinople entame une réconciliation avec les catholiques. Ce rapprochement est très mal vu par les moines du monastère d’Esphigmenou qui se sentent trahis. Ceux-ci font entendre leur mécontentement en hissant un drapeau noir avec le slogan: l’orthodoxie ou la mort. Cette rébellion n’est pas vue d’un bon oeil par les autres monastères du mont Athos qui vont alors tout faire pour les expulser. Mais que ce soit à coups de coupures d’eau et d’électricité en 1974, d’extincteurs en 2007 ou de cocktails Molotov en 2013, ceux que l’on surnomme sur place les « talibans du mont Athos » n’ont toujours pas pu être délogés. Une résistance qui est en quelque sorte la marque de fabrique de la péninsule, qui est parvenue, à travers les siècles, à toujours conserver son autonomie.